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  • «L’Algérie est dans un statu quo mortifère»

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    - La tenue de ce colloque sur le Printemps arabe signe-t-elle la (re)connexion de l’université algérienne à la société et les débats qui l’agitent ? 

    Nous sommes très heureux que l’université algérienne s’ouvre. Elle doit s’ouvrir à la fois sur le monde et sur sa société. Parce que c’est à l’université qu’on produit du savoir, qu’on le reproduit et qu’on le transmet. Elle est l’observatoire et veille sur les sociétés du point de vue des changements sociaux.

    Ceci étant, l’université algérienne commence timidement à s’ouvrir, mais je regrette personnellement que les universités ne soient pas autonomes dans leur décision quand il s’agit d’organiser un colloque. Il faut en référer au ministère et sur la thématique et sur les gens à inviter. Qu’est-ce que c’est que cela ?

    Le ministère serait-il plus habilité à gérer les universités que les universitaires eux-mêmes ? Alors que dans le monde d’aujourd’hui, on est dans la décentralisation et la déconcentration, nous, au contraire, on est presque dans un schéma de parti unique qui gère l’université. Tenez, par exemple, au sujet des équivalences, c’est toujours le ministère qui s’en occupe et non pas les départements censés recruter les jeunes diplômés des universités étrangères.

    C’est aberrant ! Aussi dois-je souligner que les recteurs ne doivent pas être nommés sur des bases clientélistes et d’allégeance mais selon les seuls critères de compétences scientifiques.

    - Revenons à ce colloque que vous venez d’organiser sur les «mutations arabes». Quelles sont les principales conclusions que vous en avez tirées ?

    Comme je l’ai dit à la fin des travaux, il faut se garder de faire des appréciations éthiques ou morales sur ces transformations dans le Monde arabe. Je crois qu’il faut les analyser d’un point de vue sociologique et anthropologique. Que pourrait-on en tirer aujourd’hui ? Eh bien, je crois que ce sont des processus longs, c’est-à-dire que ce n’est pas demain la veille que les choses vont changer.

    Je pense qu’il faut intégrer la variable que c’est fait d’allers et retours, de progrès et de reculs. Cela dépend des prises de conscience des forces sociales dans chacun de ces Etats dits du Printemps arabe dans le sens du processus de démocratisation. Un des résultats en est qu’il faut conforter les analyses par des travaux de terrain pour connaître nos sociétés.

    Et les politiques ne doivent pas avoir peur de ces enquêtes et de ces travaux de recherche parce que ce sont aussi des instruments d’évaluation. C’est à travers les conclusions des travaux des laboratoires de recherche que les politiques prennent leurs décisions sur un sujet donné.

    - Quand on observe les dynamiques politiques au Maghreb, on s’aperçoit qu’elles sont très différentes. Le processus de réforme est ainsi long au Maroc, bloqué en Algérie et presque abouti en Tunisie. Pourquoi, selon vous ?

    Il y a une variation parce qu’il faut d’abord prendre en compte l’histoire de ces trois pays, qui est différente. Il faut souligner que le Maroc et la Tunisie étaient des protectorats alors que l’Algérie était une colonisation de peuplement. Donc comme vous le voyez, le rapport à l’Etat est différent. Mais il y a également la société. Par exemple, en Tunisie, il y a cette modernisation léguée par Habib Bourguiba et un système d’enseignement modernisé bien avant l’arrivée des Français, en 1881.

    Il y a eu des réformes dans l’éducation, mais aussi à l’institution la Zitouna qui est un centre de rayonnement. J’ajouterais que malgré l’arabisation, les Tunisiens ont adopté des politiques d’enseignement avant-gardistes. S’agissant du Maroc, il y a plus de 20 établissements d’enseignement supérieur internationaux de qualité. Ils ont mis en place un système d’enseignement de qualité qui contourne ces universités de masse. Le fait est que dans les grandes écoles françaises, il n’y a presque pas d’Algériens alors que les Marocains représentent 20% des étudiants étrangers.

    - Est-ce fait exprès, selon vous, pour permettre au régime de se régénérer à travers sa seule clientèle ?

    Je dirais que la classe politique en Algérie – j’entends par là le pouvoir – a fait l’impasse sur un système d’enseignement efficient et performant qui puisse produire des jeunes de leur temps, qui s’insèrent dans le tissu économique, social et politique. Finalement, l’arabisation a été conçue comme un système de relégation pour la classe moyenne, alors même que ceux qui l’appliquaient envoyaient leurs enfants à l’étranger parce qu’ils ne faisaient pas confiance à l’enseignement en vigueur.

    Le résultat en est que ce sont des multinationales qui travaillent en Algérie. L’automobile c’est Renault, l’eau c’est Suez, la gestion de l’aéroport et du métro ce sont ADP et Alstom, la téléphonie ce sont des étrangers, l’autoroute et les travaux publics ce sont les Chinois, l’expertise et même les coffreurs sont ramenés de l’étranger. Finalement, tout se passe comme si le pouvoir n’avait rien à faire de la formation ! Tout ce qu’il veut, c’est la paix sociale…

    Le ministère, censé réfléchir sur une stratégie de l’enseignement supérieur ouvert sur le XXIe siècle, en est réduit à gérer le déménagement de l’Ecole du commerce vers Koléa !

    - Cette faillite de l’université ne risque-t-elle pas d’impacter négativement l’évolution globale du pays, notamment dans son aspect politique ?

    Oui, on est hélas mal parti. Quand on recrute 25 000 enseignants qu’on «forme» en trois ou quatre jours et qu’on les injecte dans le système scolaire, on ne doit pas s’attendre à des miracles. Je pense qu’il faut réfléchir à une «révolution» dans l’éducation et ne pas se gargariser de mots en faisant du rafistolage. Si on continue comme cela, on va droit dans le mur.

    - Un système d’enseignement archaïque couplé à des élites démissionnaires va donc plomber complètement le changement…

    J’ai une grosse crainte que ce changement se fasse par la violence. Tous les observateurs le disent : la société algérienne a besoin de réformes et d’une oxygénation parce que tous les secteurs présentent des dysfonctionnements. Qu’il s’agisse de l’éducation, de la santé, des transports ou de l’administration, il y a, hélas, des signes non pas d’une explosion, mais d’une implosion, à Dieu ne plaise. Le pouvoir est mis en demeure de réformer sans plus attendre car l’Algérie est dans un statu quo mortifère.
     

    Hassan Moali