Fortunes
«L'on voit des hommes tomber d'une haute fortune par les mêmes qui les y avaient fait monter.» Jean de La Bruyère
Un assourdissant coup de klaxon suivi d'un crissement de freins et de l'insupportable bruit de tôles froissées fit se retourner les apathiques passagers: une voiture noire rutilante venant dans l'autre sens se faisait percuter par une camionnette chargée de légumes conduite par un jeune homme. «Zenga! Zenga!», s'écria un truculent personnage assis derrière le conducteur. «La vie est ainsi faite», continua le passager. «Il y a des revers de fortune pour beaucoup de gens. Un jour, on est en haut. Un jour on descend. Plus on s'élève et plus dure sera la chute! Alors, il vaut mieux être au milieu à regarder un jour ceux qui vivent mieux que soi et un autre à compatir aux misères de ceux qui sont plus malheureux que soi!» L'employé modèle pensait que la première répartie du passager assis à l'avant, faisait sûrement allusion à l'ancien maître de Tripoli qui venait de se faire déloger de sa capitale par ses opposants armés... avec cependant, un petit coup de pouce des forces de l'Otan.
L'opinion de la rue semblait partagée: certains avaient une certaine sympathie pour l'ancien maître de la Libye, pour ses retournements fantasques, pour son originalité... Il était imprévisible, contrairement à la plupart de ses collègues arabes. Il était entre Idi Amin Dada (mort en exil en Libye) et Bokassa, l'ami de Giscard d'Estaing. D'autres ne l'aimaient pas parce qu'ils le trouvaient ridicule: il donnait une mauvaise image des dirigeants arabes et il n'avait rien fait de positif pour un pays qui avait d'énormes potentialités. Et puis, cette manie de vouloir s'unir avec tous les pays voisins: avec l'Egypte, puis avec la Tunisie, puis avec les pays africains. Les Etats-Unis d'Afrique! Il faut vraiment être naïf pour croire à une telle utopie. Des pays qui ne sont pas encore sortis du tribalisme. L'employé modèle était convaincu que Moubarak a commencé à perdre le pouvoir au lendemain de la défaite de l'équipe égyptienne à Khartoum. Le pauvre! Il pensait qu'un match victorieux effacerait toutes les déceptions d'un peuple. Et puis, cette nouvelle manie des dictateurs à vouloir à tout prix fonder chacun, une dynastie: ils veulent tous voir leurs rejetons ou leurs parents leur succéder quand ils passeront la main.
D'un côté, ils n'ont pas totalement tort: toutes les dynasties ont commencé par des coups fourrés contre un quelconque pouvoir, légitime ou pas. Et les dictateurs ne sont pas pires que les émirs ou les monarques bedonnants. Mais, voilà, l'impérialisme occidental, puisque c'est lui qui dirige le monde actuellement, décerne les bons points à qui il veut. Il ose même qualifier certains despotes «d'éclairés». Ainsi, l'Otan peut se permettre d'intervenir là où elle veut, avec ou sans l'accord des Nations unies. Il faut se souvenir que c'est avec un mensonge gros comme ça que G.W Bush a détruit un pays comme l'Irak. Il s'est conduit quasiment, en dictateur pour mener «sa» croisade. L'armée de ce nouveau dictateur ne s'est pas contentée de bombarder, de tuer, de piller, mais ses services secrets ont enlevé dans la plus complète illégalité, des suspects à partir d'Etats souverains et souvent avec la complicité active des gouvernements, notamment européens ou de pays du tiers-monde à la recherche d'un effacement de dette ou de crédits complaisants...
Après l'Irak, ce fut le tour de la Serbie qui s'est vue amputée d'une province. Le Soudan n'a pas tardé à suivre le même chemin. Et maintenant c'est la Libye. Mais c'est un Sarkozy aux abois, parce qu'il n'a rien à présenter comme bilan à ses électeurs, qui a conduit les opérations contre El Gueddafi. Il avait choisi le dictateur le plus faible pour s'auréoler d'une victoire facile: «A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire!»