Les choses et leur nom
C’est un ordre, il faut appeler l’armée l’armée et non pas la «Grande Muette», la grosse machine, le syndicat des généraux ou la faiseuse de présidents. L’exigence de vérité est arrivée et les choses ont des noms qu’il faut utiliser, de la même manière qu’un coup d’Etat, comme celui de 1965, ne s’appelle pas un «redressement révolutionnaire» mais bien un putsch, opéré d’ailleurs sous un faux nom puisque l’opérateur ne s’appelait pas réellement Houari Boumediène.
Tout comme la récente dévaluation du dinar ne s’appelle pas un ajustement mais bien une perte de valeur, un pot-de-vin n’est pas une mesure d’accompagnement mais bien de la corruption. Qui fabrique les appellations ? Comme pour l’histoire, ce sont les puissants qui créent les dénominations et les imposent. Tragédie nationale, transition démocratique ou réformes présidentielles sont autant d’expressions imposées mais qui ne renseignent pas sur la chose à définir. Qu’est-ce qu’une tragédie nationale ? Une épidémie de choléra ? Qu’est-ce qu’une transition, sinon une autocratie qui refuse de finir ? Que sont des réformes quand le harcèlement des militants par la police continue, quand la loi sur les associations réprime et restreint encore plus ?
En réalité, les expressions ont une vie ; certaines ont du succès et restent, comme «barons de l’informel» ou «police politique» ; d’autres disparaissent toutes seules comme «la main de l’étranger» et «mafia politico-financière» ou sur demande, comme «la grande muette». Quand aux réformes présidentielles, elles disparaîtront avec le Président puisqu’elles ne sont pas des réformes, même si les médias publics et la «presse parapublique», autre expression célèbre, continuent à les appeler ainsi. Reste un cas particulier : si l’armée continue de choisir les présidents sans rien dire aux électeurs, est-on en droit de l’appeler encore
la «grande muette» sans risquer d’être réduit
au silence ?