: RÉFORMES POLITIQUES, LÉGISLATIVES 2012
Par Abdelhak Bererhi(*)
Décidément, le pouvoir est un mauvais élève ! Il n’a tiré aucune leçon ni des épreuves passées, ni de la décennie noire et son cortège de deuils, ni des révolutions du Printemps arabe.
Autiste et aveugle, il réduit toutes les révoltes citoyennes éclatant çà et là dans toute l’Algérie, révoltes sévèrement réprimées, à des problèmes uniquement sociaux. Puisant à profusion dans les caisses de l’Etat, les caisses du peuple, il refuse d’y voir son échec et l’aspiration du peuple algérien à la démocratie, aux libertés, au changement. Dans sa fuite en avant, il poursuit toujours la même démarche pour perdurer coûte que coûte. Contrairement aux allégations officielles, c’est sous la pression des révoltes récurrentes dans le pays et sous la pression implacable des changements intervenus dans le monde arabe avec la chute en cascade de dictateurs, ainsi que sous la pression internationale, que le chef de l’Etat, dans un discours inattendu à la nation, après de longs mois de silence, annonça le 15 avril 2011 une série de réformes politiques à promouvoir. Le CCDR la résuma le 17 avril 2011 en une formule plus que jamais confirmée depuis : «Le changement dans la continuité, avec les mêmes acteurs et le même arbitrage !» Avec d’autres démocrates, le CCDR appelait alors à un dialogue national avec toutes les forces vives du pays, en lieu et place d’un débat dans un cénacle fermé. Le CCDR estimait que cette démarche citoyenne était la seule voie pacifique pour un réel changement. Du reste, il a toujours milité et sans cesse appelé, notamment dans son manifeste du 16 avril 2002, à une transition démocratique pour une véritable alternative démocratique. La suite des évènements confirma ces appréhensions, avec la mise en œuvre d’un débat tronqué, sur mesure, limité à quelques personnalités qui exprimèrent, dans leur majorité, leurs réserves et leur défiance quant à la méthode adoptée. Il y eut ainsi un vrai faux/débat, un simulacre de dialogue avec des représentants de partis «alignés» ou de partis «potiches», ainsi qu’avec des représentants d’une société civile réduite à la portion congrue, avec des laudateurs et des rentiers politiciens. Couronnement de cette mascarade, le Parlement, chambres basse et haute confondues, caisses de résonance assumées, toujours dans un «show» et vrai/faux débat, adopta les lois conservatrices et liberticides «des réformes politiques » censées apporter, sinon le changement, du moins une certaine ouverture La levée de l’état d’urgence et la persistance de l’entrave aux libertés en disent long sur la crédibilité du pouvoir. En fait, en agissant ainsi, le pouvoir ne fait que retarder l’échéance du véritable changement, avec le risque d’une déflagration aux conséquences imprévisibles, la rue. Avec la déferlante verte islamiste et ses deux versants, BCBG et salafiste, opportuniste et récupératrice des révolutions du Printemps arabe auxquelles elle ne participa pas, le pouvoir algérien flirte dangereusement avec l’islamisme dit «modéré», oubliant que l’islamisme est un (l’exemple turc tant vanté, devenu une référence, est en train de le prouver) comme la démocratie est une et ne pourrait en aucun cas être un objectif à géométrie variable. Un certain courant au sein du pouvoir joue avec le feu en encourageant la montée d’un tel islamisme. Alors qu’un autre courant lui oppose un nationalisme simpliste et réducteur, un nationalisme que la jeunesse marginalisée et déboussolée par une histoire confisquée ne comprend pas. En sachant que le nationalisme, et l’histoire l’a démontré, peut conduire à la haine des autres, alors que le patriotisme appelle à l’amour des siens ! A travers le monde, les radicalismes aussi bien nationalistes, religieux qu’identitaires sont en train de frapper de plus en plus fort aux portes républicaines. Cette attitude du pouvoir intervient dans un contexte régional et international favorable à ce dangereux glissement. Devant la révolte des peuples arabes contre la dictature, les pays occidentaux ont encouragé et poussé à la «démocratisation » des régimes autoritaires en intervenant même par la force, au nom du «devoir et du droit d’ingérence» dans certains pays arabes, mais pas tous, comme Bahreïn (livré à une répression sanglante collective ignoble) et les monarchies du Golfe et pour cause ! Dans certains cas, ils ont été jusqu'à financer des ONG, avec à leur tête des apprentis «révolutionnaires », pour former, selon la terminologie consacrée, des «activistes pour un changement pacifique» ! Certaines ont même pignon sur rue en Afrique avec le soutien d’ambassades dûment accréditées ! Exercer une pression politique pour défendre les droits de l’homme et les libertés est une chose, s’ingérer directement sous des couverts humanitaires, en acceptant au final de pactiser, pour des raisons évidentes, avec «le diable» s’il le faut, est une autre affaire ! Qu’on se souvienne du soutien indéfectible accordé par ces pays aux dictateurs déchus. Aveuglés par l’intérêt immédiat (contrôle des ressources énergétiques et des investissements), ces mêmes pays occidentaux n’ont pas tiré de leçons d’un passé douloureux récent. Ils renouent, malgré les drames endurés dans plusieurs pays dont l’Algérie, et les échecs subis notamment en Afghanistan, avec les méthodes d’instrumentalisation de l’islamisme à des fins géostratégiques et géopolitiques, préoccupés uniquement par les retombées financières immédiates, occultant un avenir des plus risqué pour la stabilité, la paix et la sécurité dans le monde. Car l’Histoire a donné la preuve de la nécessité de la séparation du politique et du religieux, condition essentielle et incontournable pour l’édification d’un Etat de droit respectueux de toutes les libertés. Et voilà que, dans une atmosphère politique, économique et sociale des plus délétère et explosive, les élections législatives 2012 sont annoncées à grands cris, avec un activisme et une mobilisation tonitruante de toutes les parties complices du naufrage de l’Algérie. Elles seront le couronnement d’une farce politique sans égal. Comme les précédentes, ces élections législatives sont un leurre, en l’absence d’une organisation neutre de contrôle du fichier électoral et du processus électoral lui-même. L’implication du pouvoir judiciaire ne changera rien aux «habitudes» compte tenu de sa dépendance du pouvoir politique, malgré les frémissements et les soubresauts d’hommes de loi crédibles. Transparence physique des urnes ne signifie nullement élections transparentes ! Toujours manœuvrier et pour faire bonne figure, le pouvoir annonce l’agrément imminent de nouveaux partis dans un pluralisme de façade savamment dosé, après une chape de plomb imposée durant de nombreuses années. Dans la foulée, il encouragera certainement quelques opportunistes à s’intégrer dans le jeu de la machine infernale du système, «équilibre oblige» ! En même temps, les vraies fausses querelles intempestives inter et intra-partisanes, pitoyables effets de manche, se multiplient. Tout cela fait partie du spectacle ; c’est de la poudre aux yeux qu’on nous jette ! Les tractations, la répartition des rôles, la confection du fichier électoral et la mise au point des quotas sont concoctées à l’abri des regards dans des officines rompues à ces manœuvres ! Refuser de participer à la mascarade électorale programmée, la dénoncer, c’est refuser la compromission avec un système et un pouvoir en fin de course qui ne cherchent, répétons-le, coûte que coûte qu’à survivre. Ne pas y participer, c’est refuser de donner un alibi et une caution à un pouvoir et à une gouvernance rejetés par l’Algérie profonde ; une Algérie meurtrie par le terrorisme islamiste ; une Algérie traitée par le mépris par un pouvoir aux antipodes de la démocratie ; une Algérie qui a soif de justice sociale et de libertés ; une Algérie où la citoyenneté, le patriotisme, l’intégrité et la compétence seront les vraies valeurs de conduite de la politique et du développement, en lieu et place du clanisme, de l’opportunisme, de la bureaucratie, de la prébende et de la corruption. En son temps, le CCDR avait déjà appelé les démocrates à ne pas participer aux législatives de 2002. Comme il l’avait fait également le 24 mars 2007, à travers une lettre ouverte fraternelle à ses amis démocrates «tentés» par les législatives de 2007.L’argument avancé à chaque fois par les tenants du pouvoir de l’irresponsabilité de la politique de la chaise vide ne tient plus. Que les courtiers du régime et les loubards politiciens l’occupent comme de coutume : elle a toujours été dressée pour eux sur mesure ! Depuis longtemps, malgré les manipulations et les roublardises, malgré le formatage des fichiers électoraux extensibles à souhait, contrôlés et gérés par une administration aux ordres, malgré la technique ô combien aguerrie et éculée des quotas et le bourrage des urnes, malgré l’annonce d’observateurs étrangers, le peuple algérien n’est plus dupe ! Les forts taux d’abstention (plus de 50%) enregistrés lors des précédents scrutins en sont la preuve cinglante. En se référant au sinistrement célèbre Naejelen, l’élève a largement dépassé le maître ! «Le bûcher des vanités» politiques est entrain de brûler, en reprenant le titre du retentissant best-seller de Tom Wolfe sur la ville de New York ! L’histoire jugera tôt ou tard ! Au risque de me répéter, les partis démocrates sont aujourd’hui, une nouvelle fois, plus que jamais interpellés. Ils ont dû ressentir, avec amertume et impuissance, les brûlures et la fatuité des sièges occupés au Parlement durant les précédentes mandatures. Devant le travail de sape du pouvoir, visant à atomiser toute la classe politique, à juguler toute liberté d’expression, et confinant le citoyen dans des luttes quotidiennes de survie, le nez dans le panier, ils doivent tirer les leçons du passé et ne pas répondre au chant des sirènes. Nous ne le répéterons jamais assez, ils doivent absolument dépasser leurs contradictions, les faux clivages et les fausses querelles et faire table rase du sempiternel faux écueil du leadership, dans un ultime sursaut patriotique. Il y va de leur crédibilité. Sans exagération aucune, leur responsabilité vis-à-vis de l’opinion citoyenne et de l’avenir du pays est plus que jamais engagée. Avec toutes les forces vives républicaines du pays, ils doivent s’unir pour faire front contre ces dérives conservatrices et liberticides, contre le maintien d’un statu quo aux antipodes du changement démocratique ; un changement à l’éclosion duquel ils pourront participer dans le cadre d’un dialogue national patriotique ; un changement que le peuple algérien appelle de tous ses vœux depuis tant d’années de sacrifices et de luttes dans la souffrance.
A. B.
(*) Universitaire et secrétaire général du CCDR.
N. B. : Beaucoup d’amis découragés, désabusés et écœurés m’ont dit : Il n’y a rien à faire, rien ne sert d’écrire ou d’appeler encore au rassemblement. Après plusieurs hésitations, je me suis résolu quand même à nouveau à écrire et à appeler encore une fois au rassemblement démocratique, convaincu qu’une seule voix, même isolée, est un acte d’indignation et de résistance pour rester debout ! En lieu et place d’une lettre ouverte à mes amis démocrates républicains, qui aurait pu être perçue prétentieuse par certains, j’ai préféré avoir recours à une modeste contribution citoyenne, dans un contexte national des plus préoccupants pour l’avenir de mon pays. Si j’étais dans le système et non pas du système que j’ai combattu de l’intérieur comme de l’extérieur, notamment en claquant la porte du Sénat, sans prétention aucune et en toute humilité, j’ai été, je suis et je demeurerai toujours un homme libre, un homme de conviction, un homme qui a servi honnêtement et avec abnégation son pays comme beaucoup d’autres, mais sûrement pas et jamais un «harki» de ce système. En règle générale, si le silence est d’or, il peut être aussi perçu par certains comme un signe de découragement, de fatalité, voire d’indifférence ou au pire de complicité ! Je fais mienne l’une des phrases de Marguerite Duras : «Ecrire c’est aussi se taire, c’est ne pas parler, c’est hurler sans bruit !»
le soir dz