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  • Pot de confiture : le gros doigt de Chakib et les mouches du régime


    Par Boubakeur Hamidechi
    hamidechiboubakeur@yahoo.fr
    Elle n’attendra pas longtemps avant de reprendre ses droits. Elle sera probablement à l’œuvre dès les prochaines semaines puisque les moulins à prière du Ramadhan viennent d’être soigneusement rangés et que la passion du divin occupera moins les esprits. Avec le retour des jours profanes, les gens seront moins attentifs aux imprécations des bonnes œuvres de la foi et se remettront à l’écoute de ce qui se dit sur la situation du pays, ou bien, connaîtront, comme il se doit, ce que cette fameuse rumeur colporte, voire ce que les «sources bien informées» daignent distiller à leur intention. Et comme il n’y a rien de plus croustillant comme révélations que celles qui se rapportent au catalogue des scandales de la corruption et de la rapine, les premières journées de cet Aïd seront copieusement servies.
    Grâce à la presse qui, dans sa totalité en avait fait sa pâture lors de sa dernière livraison du mois de Ramadhan, l’opinion a pris connaissance des chiffres récents des hold-up commis par Chakib Khelil et ses acolytes. C’est ainsi que pour le seul «casse» réussi, avec la complicité des Italiens de Saipem, l’ami intime du président de la République aurait détourné quelque 197 millions de dollars. Soit l’équivalent de 2 000 milliards de notre pauvre monnaie nationale ! L’énormité du délit, scrupuleusement calculé, vérifié et recoupé par la justice italienne, a même laissé sans voix, ou plutôt sans qualificatif précis les commentateurs des journaux qui s’étaient sobrement contentés de signaler l’étendue du méfait à travers une périphrase à peine digne de la «correctionnelle» des tribunaux. «L’étau se resserre sur…», se sont-ils, presque, accordés pour titrer sur l’évènement alors qu’il eût fallu, pensions-nous, transgresser la prudence journalistique en mettant en exergue ce «point de détail» dans son contexte réel. Celle d’une mafia d’Etat (exactement !) qui a commencé à saigner les finances du pays, il y a déjà 10 ans.
    Et c’est justement «ainsi que parlait» le quidam accoudé au comptoir de son café habituel et ce qu’il répétera dans les jours qui viennent, après la trêve du jeûne. «Il n’est pas possible, dira-t-il, que ce voyou de la République ait pu commettre toutes ces successions de malversations sans que l’appareil de l’Etat ne se soit aperçu de rien !» Pertinemment donc, le mythe du pot de confiture et du seul doigt d’un Chakib pris en flagrant délit ne convainc plus personne. Il était certes le maître d’œuvre et l’homme breveté qui a conçu le procédé à siphonner de l’argent mais pouvait-il seul et de son propre chef accéder aux véritables visas pour développer son «affaire» ? Nul ne le pense, désormais. Indiscutablement, des donneurs de feux verts et des complicités passives ont encadré cet ensemble d’opérations. Les premiers, en tant que facilitateurs, tout comme les seconds auteurs qui par lâcheté et carriérisme se sont servis en silence. Tout ce beau monde n’était-il pas niché dans le premier cercle du pouvoir ? Ce n’est pas peu dire ou écrire donc, que si un procès national de la corruption devait se tenir un jour, il ne pourrait faire la moindre concession ni l’impasse sur l’examen minutieux du rôle joué par l’ensemble du personnel politique ayant gravité autour de l’actuel chef de l’Etat.
    Même si la prescription constitutionnelle immunise le chef de l’Etat de toute poursuite, au nom du concept de «l’irresponsabilité» positive de sa position vis-à-vis des actes de gestion, qui empêcherait par contre la justice d’ordonner des investigations sur les rôles joués par tous les Premiers ministres, ou du moins ce qu’ils en savaient. Au pire et pour ménager certaines susceptibilités politiques, pourquoi ne pas exiger des Benflis, Belkhadem et Ouyahia (dans sa double version à ce poste) d’être entendus comme témoins assistés ?
    Car à la limite, les lézardes dans les institutions de la République sont telles de nos jours, que la prétendue préoccupation d’une succession au sommet devient secondaire tant que le domaine de l’Etat n’a pas été préalablement moralisé par une «révolution» anti-prédation. A ce sujet et sous le bénéfice de la confirmation, nous avons cru lire dans les journaux, d’il y a quelques semaines, que c’est à Mouloud Hamrouche que l’on doit une formule-clé qui résume toute la problématique de ce pays. Substantiellement, il aurait déclaré ceci : «Ce n’est pas tant les noms des voleurs qui font question mais comment des vols avaient pu avoir lieu ?» Ce qui revient à s’interroger essentiellement sur le comment du pillage qui a fini par faire système et son corollaire l’institutionnalisation de l’impunité.
    Point nodal, par lequel doivent transiter toutes les théories du changement et de la refondation, la morale de l’Etat est également le principal sujet des Algériens et précisément celui des électeurs parmi eux. Ceci étant la politique et la quête du pouvoir, qui est son unique vocation, peut-elle encore intéresser une société fortement hostile ? Plutôt à raison qu’à tort, les Algériens ont aujourd’hui des comptes à régler avec l’élite qui gouverne. Ayant dépassé le statut de «veaux» à qui l’on avait fait croire n’importe quoi, ils expriment dorénavant leur discrédit à travers chaque scrutin. Bien plus que l’absentéisme aux urnes qu’ils ont exercé d’une façon récidive, ils sont parvenus à la réfutation même d’un «Etat» en lettres majuscules. Que les Ali, Mouloud, Ahmed ou Abdelmalek soient intéressés par la succession à Abdelaziz n’est que le cadet de leur souci ou de leur choix. Ce qui les intéresse au premier abord, c’est surtout de prendre la bonne mesure de la paille qui a engrossé les panses des élites. Quitte à être abusés par les excès de la rumeur, ils la préfèrent aux mensonges officiels et aux parjures des princes qui les ont gouvernés.
    B. H.