Les réformes annoncées par Bouteflika en projets de loi sur l'information, les partis politiques, les associations, sont celles-là mêmes qui ont volé en éclats en Tunisie...
Ce n’est sans doute pas un hasard du calendrier si les projets de loi relatifs à l’information, aux partis politiques, à la vie associative, à la libéralisation des médias lourds interviennent dans le contexte des révolutions arabes qui a précipité la chute des appuis du pouvoir algérien en matière de la liberté d’expression et d’opinion dans les médias étatiques, notamment les chaînes de télévision d’Etat et la sortie sur la scène politique de tous les partis interdits.
Les médias lourds à l’heure des révolutions arabo-maghrébines
En Egypte, la chaîne de télévision Nile TV et Nile TV internationale boite à pandore du régime de Mobarek ont vécu une métamorphose dès la chute du régime de Mobarek. De la place Taharir, des émissions en direct sont diffusées, commentées, analysées par des observateurs politiques et des journalistes. La retransmission du procès de Hosni Mobarek par Nile TV qui ne faisait que son apologie est l’exemple le plus probant de cette soudaine mutation des médias lourds qui n’ont pas attendu que des réformes soient annoncées pour libérer leur tube cathodique de la langue de bois. En Tunisie, la très protocolaire télévision d’Etat, dont les bulletins d’information n’étaient qu’une série de panégyriques de réformes virtuelles du président Ben Ali, s’est mise à l’heure de la contestation populaire portée à l’écran par de jeunes journalistes dans l’animation de tables rondes et de débats politiques de l’heure. En un temps record, tous les partis politiques, élites intellectuelles, opposants divers, ont défilé devant l’écran, invités à la faveur de la chute du régime de Ben Ali. L’exemple de la Libye n’est pas en reste. Si depuis la prise de Tripoli, la chaîne de télévision de Kadafi n’est plus en service, la télé berbère de la libye, LiveTV diffuse des programmes entièrement consacrés à la révolution et à la place de la culture et de la langue amazighe dans le pays.
Au discours d’Obama, l’ENTV préfère des dessins animés
Qui eût dit qu’un tel champ médiatique, dans la multiplicité factice des chaînes de télévision donnant l’illusion de la diversité dans l’Unique, contrôlé, verrouillé, réduit à l’écho de la voix du Prince, allait se libérer et prendre les devants dans la liberté d’expression la plus hardie au moment même où le citoyen la réapprenait avec encore la peur d’être entendu par son voisin, son collègue de bureau, une oreille anonyme…Dans ce contexte de grands bouleversements dans les champs politiques et médiatiques, l’Algérie officielle est restée dans l’attentisme. Après un silence radio observé par toutes les canaux de l’Unique sur la révolution du jasmin en Tunisie, avant la fuite de Ben Ali, la prise de Tripoli et l’annonce du départ de Mobarek, la télévision nationale en a, du bout des lèvres, retransmis les images qui avaient fait le tour du monde. Mais, en dépit de l’importance des événements qui allaient redessiner la carte géopolitique du Maghreb, c’est toujours et immanquablement, le Président de la République qui fait l’ouverture du 20h pour d’insignifiantes informations. L’exemple le plus éloquent illustrant ce grave décalage entre l’ENTV et les révolutions arabes reste le suivant : alors que toutes les chaînes de télévision arabes et occidentales retransmettaient en direct le discours d’Obama qui s’adressait au monde arabe et à l’Afrique, l’Unique du Boulevard des Martyrs diffusait des dessins animés. C’est dire que la libéralisation des médias - presse et audio-visuel - ne peut se décider par le pouvoir qui les contrôle et les asservit. C’est la raison pour laquelle tous les projets de lois énoncés par le pouvoir dans ce contexte de grands bouleversements dans le monde arabe et maghrébin ne peuvent être que de la poudre aux yeux, même pour ceux qui veulent bien croire que des changements peuvent venir de l’intérieur du pouvoir.
Ce que dénonce le Syndicat national des Journalistes
C’est le sens du mémorandum adressé lundi dernier par le Syndicat national des Journalistes ( SNJ) aux députés de l’assemblée nationale sur le projet de loi organique relative à l’information. Ce mémorandum, hormis quelques revendications d’ordre techniques, porte sur le fond politique de la liberté d’informer, de l’exercice de la profession de journaliste de la presse écrite ou de l’audiovisuel dans le champ multipartiste et démocratique. Le texte du mémorandum met en exergue l’inefficacité, voire un grave recul des acquis de l’ouverture démocratique de 1988. Il souligne en effet le retour au musellement par l’article 2 de la loi "qui impose énormément de contraintes dans l’exercice de la profession. Cette série d’interdiction constituent réellement des handicaps pour les journalistes et limitent leur liberté d’action et d’initiatives. "Par le biais de l’autorité de régulation dont les rouages sont toujours extérieurs à la profession, le pouvoir entend dicter, légiférer, censurer par des « pouvoirs publics » occultes : "La création d’une autorité de régulation doit être l’émanation totale et exclusive des journalistes. Les pouvoirs publics n’ont dès lors pas à s’y immiscer, ni de prés ni de loin, et ce, pour éviter une caporalisation certaine de l’instance. L’article 89 n’a, de ce fait, aucune raison d’être." Autant de restrictions imposées à la profession, à la liberté d’informer. Celles-ci font l’objet de plusieurs lois qui limitent l’accès à l’information, agitent le spectre de la violation de la vie privée des personnalités et contrôlent l’octroi des agréments de titres sans observer une posture d’allégeance aux directives du pouvoir : "L’accès à l’information est limitée et conditionnée dans l’article 80 qui énonce une série de restrictions qui font que le journaliste ne pourrait accéder qu’a des informations très superficielles et sans importance (…) L’article 90 constitue une autre restriction aux libertés puisqu’il parle de la violation de la vie privée des personnalités ; un prétexte à toute personne se considérant personnalité, pour traîner le journaliste devant la justice."
Au nom de la concorde civile, le musellement de la presse
L’avant-projet de loi relatif à l’information fait la part belle à la concorde civile de Bouteflika, puisque, souligne le mémorandum « L’apologie du terrorisme n’a, à aucun moment était proscrite par cet avant projet. Etrange omission, pour un pays comme l’Algérie qui a eu à souffrir de deux décades d’une déferlante terroriste sans précédant en son genre. L’on ne peut par ailleurs ne pas revendiquer les droits des familles des journalistes assassinés par le terrorisme et la protection et la préservation de la mémoire de nos confrères assassinés. Depuis 1999, les atteintes à la liberté de la presse se sont durcies. La corporation journalistique a été à la fois la cible du terrorisme islamiste auquel Bouteflika accorde l’impunité et de son pouvoir qui, depuis 1999, n’a cessé d’être l’opposé de Jefferson. Le scandale de l’interdiction du quotidien d’information Le Matin et l’incarcération de son directeur, Mohamed Benchicou, pèse encore de tout son poids sur l’avenir de la presse en Algérie…
R.M