Quelques jours après l'acquittement des bourreaux du correspondant d'El Watan à Tébessa, une sourde indignation est montée des profondeurs du pays. Messages de soutien, réactions de révolte et appels à des manifestations, rassemblements et hommages. Bien qu'unanime, le constat d'une justice soumise aux maffieux, aux puissances de l'argent et aux politiques n'est pas une révélation. Ce qui a frappé, c'est de réaliser avec tristesse et crainte comment l'on peut tomber deux fois : d'abord aux mains de féodaux intouchables, puis aux mains d'une justice improbable qui avalise l'attitude des premiers.
Le cas Beliardouh n'est pas une affaire de corporation, mais un drame qui touche tout le monde parce qu'il peut arriver à chacun. Si un homme, déjà violenté, est poussé au suicide, c'est qu'il a eu raison puisque la justice n'a pas réussi à réparer l'injustice a posteriori. Et plus largement, si les correspondants sont ainsi les victimes des barons et des justices locaux, qui pourra alors transmettre ce qu'il se passe dans les régions ? Les termes de cette équation mise en place par les fossoyeurs du pays, autant constitutionnels qu'institutionnels, auront réussi à verrouiller toute solution, puisque même les autres correspondants locaux, témoins à charge des accusés, auront reculé avec cet argument recevable : qui va nous protéger ?
Quand la violence s'imbrique dans l'impunité pour faire corps avec l'injustice, que reste-t-il comme recours ? A part se faire vengeance en s'achetant une arme au grand marché noir de la désillusion ou en montant au maquis par la voie nord de la colère, il n'y a pas grand-chose à faire. D'Alger, du haut d'un immeuble fraîchement repeint pour la visite de Hollande, l’on peut admirer à quel point tout est si loin et si fragile. Et contempler ces usines fumantes de désespoir qui, contrairement aux autres fabriques nationales, fonctionnent si bien et à plein régime.