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  • Gouvernance en Algérie

     

    Le constat sans appel des experts

    Par : Badreddine KHRIS

    “Absence de gouvernance”, “un système de gouvernance qui n’est pas sain”, “les conditions nécessaires pour une bonne gouvernance inexistantes”… Les visions sont multiples mais un seul constat : l’Algérie souffre d’une mauvaise gouvernance.

    “La Révolution algérienne a été bien gérée et mieux conduite que ne l’est le pays indépendant, même 50 années plus tard !”. Cette phrase lourde de sens, prononcée par Hocine Khelfaoui, professeur en sociologie des sciences, Uqam Montréal (Canada), se veut en toile de fond, une véritable diatribe à l’égard des différents régimes qui se sont succédé en Algérie depuis l’Indépendance. C’est un avant-goût qui introduit en fait de manière franche et claire l’opinion des experts algériens de renommée mondiale quant à la manière avec laquelle est géré notre pays depuis 1962. Ces spécialistes qui se sont exprimés dans un reportage consacré à la problématique de la gouvernance en Algérie, réalisé par la Fondation algérienne pour l’action citoyenne (Faac), s’accordent à dire que notre pays “n’est pas bien gouverné”. “Absence de gouvernance”, “un système de gouvernance qui n’est pas sain”, “les conditions nécessaires pour une bonne gouvernance inexistantes”…
    Les visions sont multiples mais un seul constat : l’Algérie souffre d’une mauvaise gouvernance. Les raisons d’une telle contreperformance ont été identifiées et bien définies par ces experts. C’est que les fondements assignés à ce concept de gouvernance ne sont tout simplement pas pris en compte par les… gouvernants algériens. Toute politique ou toute autre stratégie doit être conçue autour du citoyen. Celui-ci doit être, comme l’a souligné le Dr Bachir Mazouz, professeur titulaire en administration publique Enap-Montréal (Canda) mis au cœur de la gestion publique d’un pays. Et tout sera bâti autour de ses valeurs et ses besoins. “On va former les cadres qui vont le servir, fabriquer des produits dont il a vraiment besoin…Et l’on mesure l’efficacité de ces mesures en fonction de son appréciation car sa perception compte énormément”, explique le Dr Mazouz. L’on doit, par la suite, s’organiser en tant que pouvoirs publics et autorités locales et nationales, avoue-t-il, autour du citoyen et non pas l’inverse. La même conception de la chose est partagée par le Dr Omar Aktouf, professeur titulaire en management HEC-Montréal, pour qui la bonne gouvernance est d’assurer de prime abord la dignité du citoyen. La mise en place d’un cadre de gestion efficace à même de dire si une politique publique est bien gérée ou non, est également primordiale.

    Tout bonne gouvernance est bâtie autour du citoyen
    Or, aujourd’hui, force est de constater que ce cadre de gestion est encore purement administratif en Algérie. En termes plus clairs, précise le Dr Mazouz, il est encore au stade des procédures voire à l’état bureaucratique. La gouvernance doit être reliée à la décentralisation et la démocratisation. “La gouvernance qu’elle soit de nature politique ou managériale ne doit pas s’entendre au sens de pouvoir et d’autorité mais au sens de responsabilité à assumer et surtout à en rendre compte. Qu’elle s’exerce au plus haut niveau de l’État ou dans une simple structure ou organisation locales”, affirme le Pr Khelfaoui. Il faut, de ce fait, en finir avec la notion ou le sens du mot “pouvoir” synonyme d’“arbitraire absolu” chez les Algériens. “Détenir le pouvoir et l’autorité, c’est de l’exercer d’abord sur soi-même. Ce qui signifie alors l’engagement et la responsabilité et l’exigence d’avoir et à rendre des comptes”, estime ce chercheur rappelé à Dieu récemment. Ainsi, avant de définir une politique de développement, de sortie de crise, il faut, selon lui, impérativement en finir avec les régimes autoritaires qui, “mieux s’ils n’osent pas opprimer sauvagement, font la sourde oreille aux difficultés de la population”. Gérer de nos jours, c’est de promouvoir la libre circulation de l’information objective et vérifiée dont l’analyse pourrait conduire au savoir à des savoirs compétents. Car l’une des fonctions essentielles d’une bonne gouvernance, c’est de favoriser la circulation de l’information et des idées d’une catégorie sociale à une autre voire au sein de toute la société. Promouvoir une société de savoir est la seule qui garantit actuellement la croissance socioéconomique d’un pays. Il est question donc de briser le monopole du savoir par quelques individus ou groupuscules fermés. Ces spécialistes évoquent aussi un problème de manque d’engagement social et une absence de volonté politique réelle. Le même constat est établi par le Dr Taïeb Hafsi, professeur titulaire en management HEC-Montréal, mais expliqué d’une autre façon. Pour ce professeur, le problème de gouvernance est ce conflit qui existe en propriétaire d’un bien et son gestionnaire.

    “Des dirigeants pessimistes et ne croient pas en Algérie”
    “Le gestionnaire qui dispose ainsi de plus d’informations que le propriétaire peut en profiter pour ses propres intérêts. Et dans ce cas, on dit qu’il y a opportunisme. Et c’est ce qui provoque le premier problème de gouvernance”, relève le Dr Hafsi. Le deuxième problème surgit quand il y a plusieurs propriétaires. Lorsqu’un propriétaire est dominant, il influence le gestionnaire de façon à être favorisé au détriment des autres propriétaires. “La gouvernance est le système mis en place pour régler ce conflit d’intérêts entre le propriétaire et le gestionnaire”, assure ce professeur. Il atteste que la gouvernance s’appuie sur trois piliers. Le premier est d’ordre politique qui traite des droits du citoyen. Il s’agit du respect de l’État de droit, le respect des lois et règlements choisis et des droits démocratiques du citoyen quelles que soient les circonstances (droit à la défense en cas d’accusation d’autrui, le droit d’exprimer son désaccord de manière pacifique…). Le professeur Hafsi met aussi l’accent sur la nécessité de mettre en place un système judiciaire transparent et équitable. Sur le plan économique, il rappelle l’importance de doter le pays d’un cadre économique et financier efficace, une gestion des finances publiques saine et un cadre qui engage la responsabilité sociale des entreprises. La gouvernance doit permettre, en outre, à la société civile de participer de manière efficace à la vie du pays. La gouvernance ne peut être, in fine, saine et bonne que, tel que le définit le Dr Mazouz, si l’on optimise ou “optimalise” les ressources et les moyens dont dispose le pays. “Que chaque dinar algérien dépensé donne la satisfaction voulue. Que chaque centime investi dans des projets publics génère une richesse ou une meilleure qualité de service à la population”, note cet expert. La bonne gouvernance, c’est d’afficher aussi son optimisme dans la gestion des affaires d’un pays. Ce n’est pas le cas des “dirigeants algériens qui demeurent particulièrement pessimistes. Car, ils ne croient pas en Algérie. S’ils laissent la place, les Algériens seront capables de trouver leur chemin et de régler ces questions de façon satisfaisante et l’Algérie s’en sortirait. Dans tous les cas, ça va prendre beaucoup de temps…”, conclut le Pr Hafsi.

     

    Fondation algérienne pour l’action citoyenne (Faac)
    La mission que se donne cette organisation consiste notamment à redynamiser les forces vives algériennes en particulier la jeunesse pour construire une Algérie forte et prospère en prônant le changement par la reconnaissance de l’excellence et de l’effort dans tous les domaines et en redonnant confiance aux citoyens par leur participation active à tous les projets.

    B. K