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Interview : pourquoi l'Algérie s'enfonce dans la corruption

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Dans l’entretien qu’il a donné au Jour d’Algérie, Djillali Hedjadj, porte-parole de l’association algérienne de lutte contre la corruption (AACC) explique comment et pourquoi l’Algérie a dégringolé à la 99è place dans le dernier classement de Transparency international pour devenir l’un des pays les plus corrompus de la planète.

1. Des critères de calcul indiscutables

Djilali Hadjadj : L’Indice de perceptions de la corruption (IPC) de Transparency International classe les pays en fonction du degré de corruption perçue dans les administrations publiques et la classe politique. C’est un indice composite, un sondage de sondages, faisant appel à des données sur la corruption tirées de sondages d’experts réalisés par divers organismes indépendants.

L’IPC 2007 se fonde sur 14 enquêtes et sondages différents réalisés par 12 organismes internationaux. Transparency International entend s’assurer que les sources utilisées sont de la plus haute qualité et que les enquêtes sont effectuées selon le plus grand niveau d’intégrité. Pour être retenues, les données doivent être bien documentées et suffisantes pour permettre de juger de leur fiabilité. Toutes les sources doivent fournir un classement des nations et doivent mesurer l’ampleur générale de la corruption. L’IPC classe les pays selon une échelle allant de 0 (haut degré de corruption perçu) à 10 (faible degré de corruption perçu). Pour qu’un pays soit noté et classé, il doit faire l’objet de 4 enquêtes au minimum et les résultats de ces enquêtes doivent converger. Par rapport au classement de 2006, l’Algérie recule de 15 places, et son score perd 1/10e de point. Elle a fait l’objet de 5 enquêtes. Les scores et classements de l’Algérie les 4 années précédentes étaient en 2006 : 3,1 sur 10 et 84e place ( sur 163 pays), en 2005 : 2,8 et 97e place (sur 159 pays),en 2004 : 2,7 et 97e place (146 pays) et en 2003: 2,6 et 88e place (sur 133 pays).
Parmi les questions posées dans ces enquêtes et sondages demandés : l’existence ou non de corruption, les conflits d’intérêt, les détournement des fonds, la possibilité d’être confronté à des agents publics officiels corrompus, allant de la petite corruption à la grande corruption politique, la capacité du gouvernement à sanctionner et à contenir la corruption, le «contrôle de la corruption» par le gouvernement, qui comprend les aspects liés à la corruption dans le législatif, le judiciaire, l’exécutif et dans la collecte des impôts, les aspects de l’accès à la justice et aux services de gouvernement sont également concernés, l’étendue de la corruption pratiquée par les gouvernements, etc.

2. Il n’y a pas de volonté politique de lutter contre la corruption

Djilali Hadjadj : La volonté politique pour lutter contre la corruption ne se mesure pas au nombre de discours et de déclarations évoquant la lutte contre la corruption. Elle se mesure à l’existence ou pas d’objectifs clairs, d’une stratégie nationale, d’un programme d’action et d’un calendrier précis. Or à ce jour, rien n’a été fait dans ce sens par le gouvernement algérien. L’existence de lois et d’une réglementation contre la corruption est nécessaire pour peu que ces textes soient conformes aux Conventions internationales contre la corruption (Nations unies et Union africaine) que l’Algérie a ratifiées ; or ces textes (loi contre la corruption du 20 février 2006, décret présidentiels du 22 novembre 2006 relatifs à la déclaration de patrimoine des hauts fonctionnaires et portant création de l’agence gouvernementale contre la corruption ) non seulement sont très en retrait par rapport aux Conventions susmentionnées, mais même certains textes ne sont toujours pas appliqués ! A titre d’exemple, l’agence en question n’a toujours pas été mise en place 10 mois après la publication de son décret, et la déclaration de patrimoine des hauts fonctionnaires (dont la liste, très incomplète au demeurant, a été établie par voie réglementaire) n’est pas fonctionnelle car elle doit se faire auprès de l’agence. Plus grave encore pour les autres catégories de «déclarants», le processus de déclaration de patrimoine est éclaté et dispersé, sans mécanisme de suivi et de contrôle, et surtout non effectif, l’actuel chef du gouvernement et secrétaire général du parti du FLN ne se donnant même pas la peine de rendre publique sa propre déclaration !

3. Transparency International n'en veut pas à l’Algérie comme le dit le ministre de l’Energie et des Mines, Chakib khelil en l’accusant d’être partiale et de travailler pour les intérêts de certains pays dont les entreprises ne sont pas présentes sur le marché algérien tels l’Allemagne

Djilali Hadjadj : Chacun est libre de porter un jugement sur la crédibilité et l’objectivité d’une ONG, et Transparency International n’échappe pas aux critiques. Mais il faut cependant noter que toutes les évaluations et classements faits régulièrement maintenant depuis plusieurs années, par nombre d’ organisations internationales – intergouvernementales ou non-gouvernementales – se rejoignent au niveau des résultats : droits de l’homme, bonne gouvernance, climat des affaires, possibilités d’investissement, sécurité…etc. Vous constaterez avec moi que l’Algérie est malheureusement très mal classée au niveau de toutes ces évaluations. La sempiternelle théorie du complot contre l’Algérie ne tient plus la route. Pourquoi le ministère algérien de l’Energie et des Mines ne conteste pas les classements établis par la Banque mondiale dont il a été salarié pendant de longues années ? L’affaire BRC, qui relève de sa tutelle, est là pour lui rappeler qu’au lieu de remettre en cause l’indépendance de telle ou telle ONG, il devrait s’atteler, avec le gouvernement dont il fait partie, à prendre des mesures efficaces pour que l’Algérie améliore son score et son classement dans ces évaluations internationales.

4. A propos de «la grande corruption» prévalant au niveau des transactions internationales dans lesquelles vous affirmez que l’Algérie «est devenue un acteur important».

Djilali Hadjadj : Vous conviendrez avec moi que les 200 milliards de dollars affectés par l’Algérie pour la commande publique sur 5 ans – 2005/ 2009 – sont l’objet d’une très rude concurrence, notamment pour les grands projets nécessitant l’appel à de grandes firmes internationales. Cette concurrence n’est pas toujours transparente et le rôle des lobbyistes et autres intermédiaires plus ou moins véreux, tant en interne qu’en externe, est déterminant pour l’obtention de marchés se chiffrant à plusieurs milliards de dollars et où la pratique de versement de pots-de-vin est très courante. Nombre de grands marchés attribués ces dernières années ont été l’objet d’irrégularités dans plusieurs secteurs d’activité, et certains volets de l’affaire Khalifa illustrent on ne peut mieux l’existence de ces irrégularités dont la violation de la réglementation sur les marchés publics n’est pas des moindres.

5. La réglementation sur les marchés publics bafouée au plus haut niveau de l’Etat .

Djilali Hadjadj : Depuis 2003, le Conseil des ministres présidé par le chef de l’Etat a autorisé à plusieurs reprises l’utilisation du gré à gré pour des marchés plus ou moins importants. Je rappelle que dans la réglementation sur les marchés publics (contenant de nombreuses insuffisances), le gré à gré doit être l’exception, et encore en le balisant par des garde- fous. Or à ce rythme, il risque de devenir la règle, et l’alibi du respect des délais pour la réalisation du programme 2005-2009, est brandi maintenant par de nombreux ministres et walis pour obtenir le feu vert afin d’user du gré à gré. L’affaire du gré à gré pour les Jeux Africains en est un exemple terrifiant. Quelques exemples du gré à gré libéré par le Conseil des ministres : la reconstruction de Boumerdès après le séisme de 2003, ce qui peut se comprendre ‘ l’achèvement et la gestion de l’aéroport d’Alger ‘ la gestion de l’eau à Alger ‘ d’important d’équipements médicaux ‘ la construction du siège du Conseil constitutionnel ‘etc.

Tout récemment encore, le ministre des affaires religieuses annonçait, suite à l’ouverture des plis pour les études de la grande mosquée d’Alger, que ce sera au président de la République de choisir «l’heureux élu» parmi les 5 bureaux d’études retenus lors de la première sélection ! En vertu de quelle loi et de quelle réglementation sur les marchés publics, ce ministre annonce-t-il pareille décision ?

Entretien réalisé par Boudjemaa M.

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