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L’après-Tounsi : Une succession et des questions

L’architecture de l’appareil de sécurité à l’épreuve de l’hémorragie des ses cerveaux

L’après-Tounsi : Une succession et des questions

Dans la biographie de Ali Tounsi, il est clairement souligné que le maquisard Si El Ghaouti a fait ses classes dans les rangs du MALG, véritable archétype du renseignement militaire, durant la guerre de Libération nationale.


Lorsque le commissaire divisionnaire Lakhdar Dehimi, responsable de la formation dans l’organigramme de la DGSN, a prononcé vendredi dernier, à El Alia, l’oraison funèbre en hommage au défunt Ali Tounsi, il s’est longuement attardé sur le travail de modernisation entrepris par son ex-patron dans le corps de la police nationale et sur le « professionnalisme » qu’il y a imprimé. Extraits : « Combien il est pénible de parler d’un DGSN valeureux qui s’est voué à combattre le crime sous toutes ses formes. Un mentor éclairé qui a su rénover le système de formation de la police nationale et développer ses méthodes au point de la hisser au même niveau que les polices des pays avancés. Il a ainsi formé des générations de policiers prêts à relever tous les défis que lui lancent les forces du mal. » Le défunt a mis un point d’honneur à professionnaliser la police, à moderniser ses méthodes de recherche et d’investigation et à perfectionner la procédure des enquêtes criminologiques.

C’est grâce à lui également qu’a été mise sur pied la police de proximité, en tenant compte de la dimension humaine et en insistant sur le respect des droits de l’homme, même dans les pires circonstances. L’orateur s’est également appesanti sur l’effort consenti par feu Ali Tounsi en vue d’améliorer les conditions de vie et de travail de ses hommes. Il faut dire que tous les hommages qui lui ont été rendus par ses anciens compagnons ont souligné ce travail de fond accompli par le DGSN assassiné. Cela n’occulte pas évidemment les différends et les schismes que sa gestion a pu susciter.

Au fait, qui a succédé à Smaïn Lamari ?

Ces effusions hagiographiques nous amènent à nous poser une question qui coule de source : comment se dessine « l’après-Tounsi », l’homme laissant derrière lui une institution orpheline justement de sa forte personnalité, et de sa façon de concevoir le métier de « flic », un métier fondamentalement impopulaire et ingrat qu’il s’est évertué, sa vie durant, à humaniser et rendre plus sympathique ? Il faut dire que la problématique n’est pas nouvelle. Rappelons-nous la « panique » soulevée en haut lieu par la disparition subite du numéro deux du DRS, l’ancien patron de la DCE (direction du contre-espionnage), Smaïn Lamari, terrassé par une crise cardiaque le 27 août 2007. « La démission fracassante » du général de corps d’armée Mohamed Lamari en 2004 après plus de dix ans passés à la tête de l’état-major de l’ANP avait, elle aussi, laissé perplexes les spécialistes du sécuritaire qui ne donnaient pas cher de la peau de son successeur.

Dans la biographie de Ali Tounsi, il est clairement souligné que le maquisard Si El Ghaouti a fait ses classes dans les rangs du MALG, véritable archétype du renseignement militaire, durant la guerre de Libération nationale. Un autre « malgache » donc qui vient corroborer cette hypothèse que l’ossature du Système Bouteflika est en partie fondée sur cette vieille fraternité des armes qui a vu d’autres têtes d’affiche de la bande à Boussouf rappelée aux affaires. On comprend dès lors la difficulté, en termes de « ressources humaines », de recruter en haut lieu, tant est délicat le choix des profils. Certes, l’Algérie dispose d’une réserve de cadres à même d’assurer la relève. Il est aisé, toutefois, de deviner que ce n’est pas tant en termes de compétences que d’allégeance que le problème se pose, sur fond de « networking », de jeu d’alliances, de guerre des positions et d’équilibres ténus à préserver entre différents clans du pouvoir.

L’enjeu est de savoir qui va contrôler quoi et comment étendre sa mainmise sur un appareil aussi puissant que la DGSN. Si exécrables que puissent être les rapports entre Bouteflika et Toufik, entre Toufik et Zerhouni, entre Zerhouni et une frange de hauts fonctionnaires de la DGSN, la tradition veut que le système fonctionne par un subtil jeu d’équilibres entre les services de sécurité, le cabinet présidentiel et les centres névralgiques de la décision économique. La règle en l’espèce qui a toujours prévalu était dictée par la devise, « celui que tu connais vaut mieux que celui que tu ne connais pas », le règne des mêmes étant interprété comme un « gage de stabilité ».

Avis de tempête au sommet

Aussi, la chute d’un pilier de l’un des clans en présence est fatalement suivie d’une secousse dont la magnitude dépend de son importance dans l’échiquier. Et pour revenir aux conséquences immédiates de la disparition d’un personnage de l’envergure de Ali Tounsi, lui qui a pesé sur le système de police algérien au long de 15 bonnes années, le problème se pose surtout en termes de pérennisation d’une vision, d’un style de gestion et de préservation de la cohésion du paradigme sécuritaire. Il n’est pas dit que la transition se fera forcément dans la douleur. Ce qui est certain, c’est que le rétablissement des équilibres va passer inéluctablement par un jeu de coulisses pour s’attacher le plus de fidélités possibles.

D’ailleurs, le dérapage tragique d’un homme-clé comme le colonel Choueib Oultache par qui la débâcle est arrivée n’est-il pas en lui-même symptomatique de la complexité du choix des hommes aux postes les plus sensibles de l’appareil sécuritaire ? Le pouvoir va ainsi réfléchir à deux fois avant de désigner à Ali Tounsi un successeur définitif. La presse avance qu’un DGSN par intérim vient d’ores et déjà d’être nommé en la personne de l’ex-chef de sûreté de wilaya de Boumerdès, le divisionnaire Abdelaziz Afani (lire El Watan d’hier). Sera-t-il l’homme de la situation ? Souhaitons-lui, en tout cas, bonne chance. En tout état de cause, le régime donne le sentiment de patauger, de partir en vrille, de se chercher de nouveaux repères et de nouvelles prises.

Depuis quelques années, c’est une véritable tempête qui est en train de souffler la pyramide du pouvoir et qui s’abat sur ses parrains les plus en vue. Les uns sont emportés par la vieillesse et la maladie, les autres sont froidement liquidés ou victimes de complot. Et les derniers esclandres financiers ne sont pas faits pour arranger les choses. La bourrasque qui vient de décapiter le personnel pensant de Sonatrach a provoqué à son tour une « crise de management » pour les sphères dirigeantes qui doivent se demander comment assurer, là encore, le remplacement de ces exécutants de seconde main, tous ces hauts cadres consentants qui gèrent avec une forme bien singulière d’abnégation les affaires de l’Etat en acceptant stoïquement de servir de boucs émissaires quand la justice vient à alpaguer des scandales qu’il n’est plus possible d’étouffer.

Autant de pertes qui saignent le pouvoir dans sa chair sans jamais toutefois l’atteindre au cœur. Une hémorragie qui aurait pu être annonciatrice d’une rupture, à tout le moins, d’un changement « par défaut », paresseusement adossé à la molle mécanique du temps et de la biologie, et aux luttes intestines qui mineraient le Palais. Mais faute d’une véritable alternative émanant de la société, le système continue à se régénérer au milieu d’un chaos généralisé qui semble s’emparer du pays. Le régime va-t-il finir par s’auto-éliminer sans passer par la case « révolution » ? Mystère et boule de gomme…


Par Mustapha Benfodil

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