Abdelmalek Sellal. Ministre des Ressources en eau
Le 22 mars de chaque année marque la Journée mondiale de l’eau. Les défis pour l’humanité sont de taille. Au stade où sont les choses, nous parlons même d’une guerre de l’eau à l’avenir. Que fait donc l’Algérie pour assurer sa sécurité hydrique ?
La démarche du ministère des Ressources en eau consistait à lancer des investissements assez importants, à l’instar des grandes infrastructures hydrauliques qui ont été réalisées ces dernières années. Nous avons repris certains autres ouvrages, abandonnés pendant les années 1990 et d’autres mal construits, pour en faire un tissu d’infrastructures qui servent aujourd’hui à sécuriser plusieurs régions du pays en matière d’alimentation en eau potable. Nous sommes ainsi passés d’une quarantaine de barrages à la fin des années 1970 à 66 aujourd’hui, dont 63 sont déjà en exploitation. Nous avons prévu, dans le cadre du programme quinquennal 2010-2014, un nouveau lot de 19 autres barrages. Nous allons bientôt lancer les appels d’offres pour la réalisation et nous attendons la livraison, pour l’année en cours, de 3 autres infrastructures hydrauliques à Tizi Ouzou, Relizane et Souk Ahras. A ce tissu d’infrastructures s’ajoute une pépinière de retenues collinaires, destinée en grande partie au secteur agricole.
Mais de cette pépinière d’infrastructures surgissent cinq grands complexes hydrauliques…
Effectivement, nous avons pensé à faire du Beni Haroun (Mila) la grande réserve pour sécuriser la région de l’Est, grâce aux couloirs de transfert prévus pour l’alimentation de six wilayas de la région Est. Nous avons aussi le grand complexe hydraulique de Koudiat Acerdoune qui alimente le sud de Bouira et de Tizi Ouzou, mais dont le grand transfert devra desservir la ville nouvelle de Boughezoul. C’est, en quelque sorte, la grande réserve régionale Centre, d’une capacité de 200 millions m3, soutenue essentiellement par la troisième plus grande infrastructure hydraulique du pays qui est le barrage de Taksebt (Tizi Ouzou). Ce barrage, grâce à ses transferts vers les localités de Tizi Ouzou, Boumerdès et la capitale, devrait sécuriser, en partie, les régions centre du pays. Pour l’Ouest, nous avons le système MAO (couloir Mostaganem-Arzew-Oran) qui a été partiellement mis en service durant l’année écoulée, mais dont l’inauguration est prévue pour avril 2010. La région Ouest est alimentée également par les stations de dessalement mises en place ces dernières années. Le dessalement est un choix stratégique du gouvernement. Son apport consiste à sécuriser en eau potable les villes côtières du pays et orienter les surplus des barrages vers l’agriculture. Ce n’est pas tout, puisque les régions de l’ouest du pays devront bénéficier à l’avenir d’une nouvelle source qui consiste à mobiliser la ressource du Chott El Gharbi. Nous allons bientôt lancer les appels d’offres pour le transfert des eaux de Chott El Gharbi vers les wilayas de Tlemcen, Saïda et Sidi Bel Abbès. Cependant, le grand projet de l’Algérie en matière de transfert des eaux souterraines consiste à mobiliser les eaux d’In Salah pour alimenter l’axe In Salah-Tamanrasset sur une distance de 750 kilomètres en double voie. Le coût du projet est de l’ordre de 190 milliards de dinars, dont les travaux de réalisation sont menés par sept entreprises nationales et étrangères. Les coûts des investissements consentis sont énormes et nous nous acheminons vers les mêmes volumes que ceux alloués pendant le quinquennat précédent. Les montants prévisionnels des quatre prochaines années devraient se situer entre 18 et 19 milliards de dollars, alors que les investissements du précédent quinquennat ont coûté une enveloppe de 20 milliards de dollars.
Votre secteur gère aussi une autre problématique si importante qui est l’assainissement…
Le problème de l’eau est un problème d’ordre public. Sur le plan de l’assainissement, je peux vous dire qu’au début de la décennie actuelle, nous arrivions à traiter à peine 90 millions de mètres cubes d’eaux usées. Nous sommes aujourd’hui à 400 millions de mètres cubes d’eaux usées traitées et le programme actuel nous permettra d’atteindre les 750 millions de mètres cubes et 900 millions de mètres cubes à l’horizon 2015. Nous avons en projet 40 autres stations de traitement et les eaux traitées devraient être orientées vers le secteur agricole. Nous avons aujourd’hui un taux de 90% de la population raccordée aux réseaux des eaux usées et 93%, le taux de raccordement au réseau AEP (alimentation en eau potable). Toutefois, sur le plan de la mobilisation de la ressource et l’alimentation en eau potable, l’Algérie demeure au-dessous du niveau fixé par l’ONU qui est de 1000 millimètres cubes/an/habitant. Nous sommes à 550 millimètres cubes, voire même jusqu’à 600 millimètres cubes/an/habitant. Nous ferons en sorte à ce qu’on mobilise le maximum, car nous recevons quelque chose comme 17 milliards de mètres cubes grâce aux précipitations.
Que fait votre département sur le plan de la gestion de l’eau et des grandes infrastructures hydrauliques ? Il était question que celles-ci soient gérées par des entités autonomes. Est-ce que ce projet est maintenu ?
Il est vrai que la problématique de l’eau est aussi un problème de gestion. Nous œuvrons continuellement pour la remise à niveau et la modernisation des réseaux et des systèmes de gestion. Nous avons fait appel à des étrangers parce que nous ne maîtrisions pas encore la technicité. La stratégie de gestion déléguée de l’eau sera élargie à d’autres wilayas du pays et le gouvernement sera appelé à statuer sur ce projet. Il faut savoir qu’en matière de gestion déléguée de l’eau, l’Algérie a quelque peu innové, car ce qui se fait ailleurs à travers le monde est un modèle de concession pur et simple avec, comme fondements de base, un investissement et un prix fixés par le partenaire étranger. En ce qui nous concerne, nous avons voulu évincer ce modèle de concession incompatible avec la politique de l’Etat en matière de l’eau et nous restons aujourd’hui souverains sur le plan de la tarification et les seuls maîtres de notre politique. Par ailleurs, nous avons aussi opté pour la gestion déléguée de l’eau car elle permet à nos agents de mieux se former et mieux maîtriser les métiers de l’eau. Alger est devenue aujourd’hui une référence en matière de gestion déléguée de l’eau. Les résultats sont aujourd’hui corrects. Nous sommes en train d’améliorer la mobilisation de la ressource et la gestion à Oran et nous constatons qu’il y a une meilleure distribution de la ressource aujourd’hui. A Annaba et Constantine, les choses ont commencé il y a à peine une année et demie. Nous avons amélioré la ressource et nous attendons des entreprises chargées de la gestion déléguée d’améliorer la mise à niveau des réseaux et de la gestion dans les meilleurs délais possibles.
Entendez-vous attribuer la gestion des grandes infrastructures hydrauliques à des entreprises étrangères, ou maintenez-vous l’option de gestion par des entités autonomes ?
Nous avons pensé à créer des entreprises qui se chargeront de la gestion, mais les coûts semblent être énormes et, de ce fait, le prix de l’eau ne répondra donc pas au coût de gestion. Nous allons opter certainement pour d’autres modèles de gestion basés sur des systèmes de management autonomes. Ce sont ceux qui assurent aujourd’hui le suivi des grands ouvrages hydrauliques qui se colleront, en partie, la mission d’assurer la gestion des infrastructures. C’est un choix qui a été fait et il faudra aujourd’hui assurer le bon transfert de gestion.
Le consommateur, industriels et/ou ménages se demandent fréquemment si les prix de l’eau connaîtront une hausse dans les mois à venir. Quelle est votre réponse à ce questionnement ?
Le prix de l’eau est une problématique qui revient également systématiquement. Il faut savoir que le prix de revient est plus important que celui exigé aux consommateurs qui sont répertoriés en cinq catégories. Pour le moment, les capacités budgétaires du pays permettent à l’Etat de subventionner les prix. Pour ainsi dire, aucune hausse n’est envisagée à court terme pour le cas des ménages. Nous avons pensé à une formule qui obligera l’Algérienne des eaux (ADE) à payer 2 DA le mètre cube fourni par l’Agence nationale des barrages et des transferts (ANBT) afin de pouvoir compenser les grands investissements budgétaires consentis. Cependant, nous avons heurté de front l’équilibre budgétaire de l’ADE et nous craignons que cela se répercute sur le prix de l’eau, car si l’ADE paiera l’eau qu’elle reçoit depuis l’ANBT elle sera appelée à revoir nécessairement la tarification. Nous avons donc évité cette formule. Cependant, il faut faire de l’économie de l’eau aujourd’hui un axe principal de tous les modèles de gestion. Il faut aller vers la mise en place de systèmes de rationalisation de l’eau, notamment pour ce qui est du domaine agricole qui consomme, à lui seul, 65% des réserves. Mais, nous continuons à œuvrer pour la mobilisation de nouvelles ressources pour l’agriculture car tout se jouera, à l’avenir, sur la sécurité alimentaire du pays. Pour ce qui est des grands consommateurs de l’eau, des systèmes de rationalisation ont été mis en place grâce à une taxe de 25 dinars imposable aux industriels et une taxe de 80 dinars pour les pétroliers. Cette taxe permettra d’alimenter le fonds de soutien à l’eau grâce auquel l’Algérienne des eaux fait face actuellement à son déficit budgétaire. Cette taxation sert donc d’un système de rationalisation qui permet de maîtriser les niveaux de consommation. Nous avons un plan directeur jusqu’à 2025, destiné à sécuriser le pays en matière d’alimentation en eau, mais ce même plan directeur pourrait être envisageable jusqu’en 2040. C’est sur cette base que nous avons établi nos programmes d’investissement. Nous souhaitons réussir la bataille de l’eau, car l’enjeu est de taille pour les années à venir. C’est l’enjeu de tous les pays et la bataille semble être dure pour tout le monde.
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