Nous étions à la fin du mois d’août 2007 et le chef de l’ État venait, en cavalier seul, de donner un brusque coup d’accélérateur au pacte avec les intégristes : il accorda aux anciens du Front islamique du salut (FIS, dissous) et à ceux de l’Armée islamique du salut (AIS), le droit de revenir à la politique, contredisant ainsi les lois du pays. Son négoce était clair : obtenir coûte que coûte le cessez-le-feu et se faire consacrer comme l’homme de la paix auquel le troisième mandat serait tout destiné. Les chefs de l’AIS se sont engagés, en effet, à « persuader » leurs amis terroristes encore actifs d’abandonner les maquis.
Dès juillet, ils font parvenir, au nom du président Bouteflika, un « message de paix » aux émirs du GSPC.En contrepartie d’une si louable prestation, les dirigeants intégristes recevraient carte blanche pour créer un « nouveau FIS. »Mais Bouteflika avait violé la loi de la famille : le consensus. Une grande partie de la hiérarchie militaire désapprouvait cette transaction machiavélique, funeste pour le pays, aventureuse pour eux. Les généraux ne sont pas les seuls à grogner. Al-Qaida, par la voix de son représentant au Algérie, Droukdel alias Abou Mossaab Abd el Ouadoud fait savoir le 28 août 2007, qu’elle rejetait l’appel « à déposer les armes » que lui avaient lancé les Généraux par le biais déguisé de l’émir national de l’ex-Armée islamique du salut (AIS), Madani Mezrag.
La riposte était imminente.Elle viendra sous la forme d’une première mise en garde sanglante : le 14 août, une bombe déchiquette la voiture d’un proche de Mezrag, le chef islamiste Mustpaha Kertali, ex-émir de la phalange (katibat) Errahmane. Il en sort vivant mais perd une jambe. « Cet attentat, c’est un message d’avertissement adressé par les ennemis de la réconciliation », dira-t-il sur son lit d’hôpital.
Alors, avec une ruse de diablotin, et comme pour rendre irréversible le pacte avec Bouteflika, Madani Mezrag le rend public le surlendemain 16 août, en conférence de presse, et annonce la création prochaine d’une nouvelle formation politique qui succéderait au FIS. « Des droits politiques et civils nous ont été accordés dans le cadre de l’amnistie, et notamment la participation aux élections, et ces droits inquiètent déjà certaines personnes influentes au pouvoir, qui cherchent à nous barrer la route. Nous concrétiserons ce projet s’il le faut sans l’approbation du ministre de l’Intérieur », ajoute-t-il, laissant entendre l’appui direct de Bouteflika.
C’est là qu’entre en scène l’auguste baladin qui va redonner son lustre au vaudeville : Yazid Zerhouni. Le Grand Vizir hérite, en fait, dans cette foire d’empoigne, du rôle ingrat de greffier gaffeur. Instruit par Bouteflika, il se résigna à confirmer, le 2 septembre, les propos de Mezrag : « Les activistes de l’Armée islamique du salut dissoute, qui ont fait part de leur intention de revenir à l’activité politique dans un nouveau parti, peuvent présenter leurs dossiers ! »
Bien que rien ne surprenait plus de la part d’un personnage aussi lourdaud, les propos du Yazid Zerhouni jetèrent le trouble au sein de l’opinion. Ils sont, en revanche, chaudement accueillis par les dirigeants du parti dissous. « Yazid Zerhouni a agi en tant qu’homme d’État qui respecte la loi et la Constitution ainsi que le droit des citoyens à s’organiser dans un cadre légal » déclare aussitôt Madani Mezrag à El Khabar.
Les choses s’accélèrent et deviennent limpides. Mustapha Kertali, qui avait survécu à un attentat quelques jours auparavant, reçoit une lettre de sympathie de Bouteflika. Bien qu’Al-Qaida ait revendiqué l’opération contre lui, Kertali regarde ailleurs : « Al-Qaida a peut-être perpétré et revendiqué l’attentat mais les bénéficiaires de cet acte sont ailleurs. »
À quelle heure de la nuit les « parrains d’en face » ont-ils fait à Yazid Zerhouni « une proposition qu’il ne pouvait pas refuser » ? Le mardi 4 septembre, fidèle à sa renommée, le ministre se rétracte à partir de Jijel, déclarant devant des journalistes ébaubis : « Tout retour des responsables du parti dissous sur la scène politique est exclu. Ceux qui évoquent aujourd'hui le retour des anciens responsables du FIS à l'activité politique semblent oublier que la plaie du terrorisme est encore ouverte » La pirouette fit rire tout Alger. « Si ça continue comme ça, on va finir par attraper un vilain rhume ou pire une méchante grippe ou pire encore, une angine carabinée, se gausse le chroniqueur du Soir, Hakim Laâlam. M’enfin ! Arrêtez de fermer et d’ouvrir cette porte du FIS sans arrêt ! » Deux jours plus tard, un attentat suicide est perpétré à Batna où se trouvait Bouteflika.