Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Poste-frontière d’Oum T’boul (El Tarf) : Chantage sur les voyageurs par les douaniers


Poste-frontière d'Oum T'boul (El Tarf) : Chantage sur les voyageurs


Le parking est plein à craquer au poste-frontière d’Oum T’boul (El Kala) et la file de voitures s’allonge encore un peu le long de la jolie route en lacets qui mène, à travers les pins et les chênes, vers le col de Haddada. C’est la foule des grands jours. « Entre 6000 et 7000 sorties par jour. 4000 entrées. Entre 2000 et 3000 voitures. Cela dure depuis 15 jours. Maintenant c’est l’inverse, les Algériens reviennent », nous dit le chef de poste de la Police algérienne des frontières (PAF).



Les familles restent dehors, près des voitures ou à l’ombre des chênes, pendant que leurs chefs se bousculent dans le poste pour les formalités. Les commodités se résument en des toilettes repoussantes car en nombre insuffisant et un restaurant ambulant qui ne peut vraiment pas se vanter d’être au service de cette clientèle de passage. Le soleil tape fort, mais sur ces hauteurs, une brise fraîche atténue sa morsure. « Haddada est le plus important point de passage terrestre du Maghreb ; c’est 40% du flux vers la Tunisie, soit 350 000 personnes qui transitent par ce poste, l’équivalent de l’aéroport Houari Boumediène pour les passagers aériens », ajoute le responsable de la PAF, qui précise que « des renforts ont été dépêchés de Souk Ahras pour faire face à la vague des vacanciers. Deux brigades de 46 agents chacune se relayent nuit et jour ». Nous sommes sur les lieux parce qu’en ville a circulé la rumeur de l’existence d’une pétition signée par 1200 passagers dénonçant les agissements des agents du poste tunisien.

Mettant à profit cette manne inespérée de vacanciers, ils useraient de divers artifices pour leur soutirer de l’argent. Mais de pétition, sur les lieux et parmi les voyageurs de passage, il n’y en a aucune trace. Cependant, nous dit un habitué des lieux, « c’est vrai qu’il y a un racket organisé chez nos frères tunisiens, mais les nôtres n’ont rien à leur envier. Je suis chauffeur de taxi, je vais et je viens sans cesse et je vois des tas de choses. Tu veux que je te dise, ce sont les nôtres (les Algériens, ndlr) qui leur ont inoculé le virus de la corruption. Que ce soit de ce côté comme de l’autre, des passagers, que Dieu leur pardonne, préfèrent glisser la pièce, jusqu’à 1000 DA, que d’attendre leur tour ». Dans le hall, c’est la cohue devant les guichets. Des jeunes, sympas, tenues cool, qui ne cachent pas la notoriété de leurs parents dans les affaires à Annaba, avouent sans vergogne recourir à ce stratagème pour passer plus vite : « C’est pourri, ils bouffent tous. Eh bien en veux-tu, en voilà. Alors, pourquoi s’encombrer de scrupules ? » Un jeune émigré en famille, visiblement exaspéré par l’attente et l’incivisme des ses concitoyens, refuse d’abord de livrer ses impressions à des journalistes, puis crache sa colère : « Je suis complètement dégoûté par ce qui se passe ici. Personne ne respecte son tour et les agents semblent entretenir la confusion. C’est le plus friqué, le plus connu, le plus puissant, le copain, le voisin ou la famille des agents qui passent devant les autres. C’est de la hogra. Je crois même que c’est délibéré car nous avons les moyens de mettre en place des procédures moins iniques et c’est valable pour les deux côtés de la frontière. » En retrait, deux magistrats, qui insistent pour ne pas être cités, reconnaissent qu’ils ont dû baliser leur passage en faisant jouer quelques relations. Et ils ne nient pas qu’ils sont prêts à recourir à la pièce du côté tunisien s’ils trouvent du monde. Un 4X4 noir, vitres fumées, s’arrête dans le parking. En descend un individu qui correspond tout à fait à l’arriviste accompli.

Assurance, dédain, étalement de la richesse… Le policier en faction avec lequel nous avons sympathisé nous fait un clin d’œil et nous dit en connaisseur : « Celui-là, c’est 10 minutes max. » En effet, le passager ressort rapidement. Nous l’abordons, mais à nos dépens. « Je ne parle pas aux journalistes. » Ce qui est compréhensible. Vers le milieu de l’après-midi, avec le soleil qui baisse, la foule se dissout côté algérien. « Comme chaque jour, le pic est maintenant passé », nous dit le chef de poste. Ceux qui arrivent du poste tunisien sont épuisés. Le plus gros est fait car les procédures de retour sont moins éprouvantes. « On est passés normalement, sans encombre, mais on a mis le temps », rapportent les uns, alors que d’autres reconnaissent avoir eu à soudoyer un agent pour passer plus rapidement. Vers 18h, à la sortie du poste algérien, un commerçant de Tizi Ouzou déclare que son passage dans les deux postes s’est déroulé sans problème et qu’il a mis exactement 6 minutes chez les Algériens. Ce qui prouve qu’on peut faire mieux. En fait, la corruption et les passe-droits disparaîtraient d’eux-mêmes si les moyens nécessaires étaient mis en place pour éviter la cohue et la bousculade qui profitent aux corrompus.

Mais le veut-on vraiment ? « Cela va beaucoup mieux depuis qu’ils ont changé le chef du poste tunisien. Un certain Ali qui s’était rendu célèbre, il y a deux ans, lorsqu’il a jeté à terre des passeports algériens », nous disent des habitués des lieux. « Ils ne l’ont pas sanctionné sur-le-champ parce les autorités algériennes, à commencer par le ministre de l’Intérieur, n’ont pas fait preuve de fermeté alors qu’ils condamnent facilement des jeunes qui détruisent le drapeau. » Les postes-frontières de Haddada sont de véritables mines d’or et le resteront tant qu’on s’y bousculera dans la confusion. Les autorités du pays sont au courant des agissements des uns et des autres, mais élever le ton serait prendre le risque de voir fermer ce passage, qui est une soupape de sécurité pour le Pouvoir. Chaque année, plus d’un million d’Algériens se rendent en Tunisie. Pour ceux-là, c’est la seule évasion qu’ils peuvent s’offrir.



Par Slim Sadki

Les commentaires sont fermés.