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Ramadan, sacré business


11/08/2009 à 16h:02 Par Leïla Slimani
Ramadan, sacré business Ramadan, sacré business © DR

À l’approche du ramadan, publicitaires, producteurs et programmateurs sont sur le pied de guerre. Pendant un mois, les chaînes espèrent engranger le maximum de profits avec des séries moyen-orientales et maghrébines très attendues.

Le 21 août débutera le ramadan et avec lui la promesse de repas gargantuesques, de grandes messes familiales et, surtout, de longues heures passées devant le poste de télévision. Dans l’ensemble du monde musulman, le tube cathodique est, de loin, le principal loisir pendant le mois sacré. « Les habitudes du télé­spectateur – toutes catégories socioprofessionnelles confondues – se modifient radicalement pendant cette période, explique Mohamed Mamad, directeur des programmes sur 2M, la deuxième chaîne marocaine. La journée de travail est très courte et l’on passe donc beaucoup plus de temps à la maison. De plus, le jeûne favorise une activité casanière qui occupe suffisamment l’esprit pour atténuer le sentiment de privation. »

Pas étonnant que publicitaires, producteurs et autres chargés de programmes soient sur le pied de guerre à l’approche d’un mois réputé faste. Au risque de choquer, un publicitaire marocain confie sous le couvert de l’anonymat que, dans sa profession, « le mois du ramadan est un moment très attendu. C’est avant tout du “temps de cerveau disponible” où les téléspectateurs sont prêts à ingurgiter n’importe quel programme. Et c’est aussi un mois de surconsommation, surtout dans l’agroalimentaire ». On est bien loin de l’image d’un mois sacré où priment la spiritualité et le recueillement…

À l’heure du f’tour (rupture du jeûne), les téléspectateurs maghrébins sont bombardés par une vingtaine de publicités successives. Sur 2M, en temps normal, la diffusion d’un spot publicitaire de trente secondes en prime time coûte au maximum 38 000 dirhams (3 365 euros). Pendant le ramadan, ce chiffre peut atteindre les 65 000 dirhams. La notion de prime time, quant à elle, se modifie. « Nos grilles de programmes changent du tout au tout. Nous avons trois prime times : le premier avant le f’tour, le deuxième pendant, et un dernier vers onze heures ou minuit », explique Mohamed Mamad.

Compétition féroce

Pour répondre aux attentes des télé­spectateurs, les chaînes misent sur la diversité et sur des programmes légers et drôles. « Dans la journée, il y a surtout des sitcoms marocaines et étrangères. Le soir, après la rupture du jeûne, on privilégie les comédies théâtrales, les émissions religieuses ou culinaires », ajoute Mohamed Mamad. Chaque ramadan réserve aussi son lot de nouveautés, et les télévisions se livrent une compétition féroce pour capter une plus large audience. Cette année, Nessma TV, la chaîne satellitaire du grand Maghreb, diffusera pour la première fois une version du très profane Qui veut gagner des millions ?, mais, pour tous, les valeurs sûres restent les grands feuilletons d’inspiration moyen-orientale.

Jusque dans les années 1990, époque à laquelle les productions maghrébines ne brillaient pas par leur qualité de réalisation ou leur originalité, c’étaient les produits égyptiens et syriens qui se taillaient la part du lion grâce à des séries suivies dans tout le monde musulman. Né dans les années 1960, le feuilleton syrien privilégie les intrigues sociales ou historiques tandis que son équivalent égyptien s’est fait une spécialité des histoires d’amours interdites et de vengeance.

Cette tradition des « musalsals », constituées de trente épisodes de une heure, est aujourd’hui encore étroitement associée au mois sacré. « Plusieurs raisons expliquent le goût des téléspectateurs pour ces feuilletons. Cela remonte à la tradition des soirées de conteurs, où tout le quartier se réunissait pour écouter le récit de légendes ancestrales. Mais surtout, le ramadan est pour les musulmans un rendez-vous annuel attendu avec impatience. Et ils sont heureux de retrouver, par la même occasion, leurs héros télévisés », explique le spécialiste du cinéma arabe Ibrahim al-Ariss. Nessma TV ne s’y est pas trompée et a acheté les droits de Bab Al Hara 4, une série syrienne classée par une étude américaine parmi les dix plus regardées au monde. Un investissement coûteux, puisque les producteurs du Moyen-Orient peuvent vendre un épisode de sitcom inédite jusqu’à 100 000 dollars.

Depuis le début des années 2000, les producteurs maghrébins se sont eux aussi engouffrés dans la brèche pour proposer des soap-opéras 100 % maghrébins, plus proches du quotidien de leur public. Et ça marche. En témoigne le succès de Lalla Fatéma, produite par Ali’n Productions et diffusée sur 2M de 2001 à 2003. La sitcom, qui raconte la vie de la famille Benzizi, a rapporté à la chaîne plus de trois fois le montant investi, soit environ 20 millions de dirhams en chiffre d’affaires publicitaire, grâce à un taux d’audience de 72 %.

Succès fulgurant

En Algérie, la chaîne ENTV a réussi l’exploit de doubler sa part d’audience durant le ramadan 2008 grâce à Imarat El Hadj Lakhdar, suivie chaque soir par près de 15 millions d’Algériens. « Le ramadan est une fête familiale et communautaire pendant laquelle on aime à être entre soi et rire, avec tendresse, des travers de sa propre société. D’ailleurs, la diaspora maghrébine est friande de ce type de programme », explique un publicitaire.

Ce succès fulgurant a suscité des vocations. « Aujourd’hui, tout le monde se dit : “Faire une sitcom, c’est facile et ça peut rapporter gros” », explique un réalisateur marocain. Même si des progrès ont été faits, beaucoup regrettent que les productions nationales restent en général extrêmement médiocres. Les scénarios sont mal ficelés, les tournages bâclés et les comédiens insuffisamment préparés. Pour remédier à ces lacunes, des producteurs maghrébins n’hésitent plus à faire appel à des scénaristes étrangers reconnus pour former leurs équipes. De grands réalisateurs de cinéma se sont également essayés au genre, avec plus ou moins de succès. En 2007, Narjiss Nejjar réalise Mazmazelle Kamélia, une série où un jeune provincial monté à Casablanca est contraint de se déguiser en femme pour trouver une colocataire. Jugé trop impertinent, le feuilleton est déprogrammé au dernier moment. La cuvée 2009 s’annonce en tout cas prometteuse. De Zorroh version Maghreb sur Nessma TV à la diffusion de séries turques à succès sur 2M, les chaînes auront certainement de quoi aiguiser l’appétit de leur public.

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