Chronique parue le 11 septembre 2003
Pour la mémoire des enfants scouts de Mostaganem souillée par vos dobermans, pour le cri de Sadaoui prolongé dans le râle de Massinissa Guermah, sur la tombe d'Ali La Pointe interdite à Taoufik Ben Brik, pour les années passées avec Saïd Mekbel, sur le mausolée de Sidi Abdelkader et pour le Zaccar du fer et des cerisaies, nous ne nous tairons pas. Vous m'avez pris le passeport et quelques journées passées dans des commissariats à regarder Dilem justifier une inspiration. Je vous plains de m'avoir laissé le reste, mes souvenirs et le temps de contempler vos affolements, piètres monarques à la recherche d'un rab de règne dans un pays que vous avez forcé au mépris, lui qu'insupporte la fatuité des petites personnes se méprenant sur ses indulgences. Massu n'écoutait pas El Anka et Aussaresses ne savait rien de la gasba, mais que n'avez-vous, à votre tour, suffisamment écouté la mélodie de Mustapha Toumi nous rappelant la peur des loups devant le lion même blessé, une vieille légende, sans doute, d'un ancêtre, roi d'Alger désarmé mais protégeant, avec une foi algérienne, Sidi Abderrahmane des appétits ottomans ? Vous n'êtes pas de ce pays, il est vrai, vous n'en savez ni la générosité ni la majesté, vous n'avez donc aucune idée de la futilité de vos complots. Ce pays vous a déjà répudiés. A vous voir cependant opposer tant d'arrogance à la clémence d'une terre rebelle, je crois bien que vous n'êtes d'aucun pays, intrigants apatrides que nul terreau ne revendique, mercenaires sans cause à la conquête perpétuelle d'une identité impossible. Il me revient à l'esprit la taquinerie qu'un confrère oranais s'est cru obligé de commettre à mon endroit, écrivant, avec un humour très approximatif, que le directeur du Matin, interdit de quitter le territoire national, risque d'attraper la conjonctivite. C'était prêter à la conjonctivite des pouvoirs de cécité supérieurs à ceux de la lâcheté : mon vénérable confrère, avec des yeux sains, n'a rien vu du calvaire de Sadaoui, de la prédation organisée par le cercle d'Oujda, de la rapine et des émirs émiratis invités par nos dirigeants à tuer notre faune et à faire prostituer nos femmes. Puis je me suis rangé à cette idée que notre journaliste était victime des apatrides. Enfant du Zaccar, dans cette Miliana où je passais par la maison natale d'Ali La Pointe pour regagner mon école, enfant du Zaccar j'y ai vu des Marocains l'arpenter à la lumière d'une lampe incertaine, ouvriers mineurs chargés d'extraire le minerai au péril de leur vie, des hommes au regard digne des fils du Rif. Ils ont peuplé mon enfance, ces Marocains gueules noires et je plains mon confrère oranais de n'avoir connu, lui, que des Marocains à la sale gueule. C'est une ignorance mère de tous les pédantismes. Je lui sais toutefois gré de s'inquiéter pour mon passeport à la place de mes enfants élevés par leur mère, fille de Bab El Oued, dans la tradition de toujours partager le sort que leur réservent les choix de leurs parents quand ils savent qu'ils sont justes. Bab El Oued, à quelques mètres de la tombe de Sid-Ali Benmechiche, le collègue de leur mère à l'APS, premier journaliste criblé de balles en un octobre 88 qui a vu nos mères commencer à pleurer pour leurs fils.
Pour Sid-Ali nous ne nous tairons pas.
Qassaman !
Pour les années passées avec Saïd Mekbel, Amar Ouagueni et Kheïreddine Ameyar, pour Tahar et Dorban, pour les martyrs de la profession à qui nos plumes doivent d'avoir survécu au doute, pour la mémoire des enfants scouts de Mostaganem souillée par vos dobermans, pour la cité de Kaki devenue celle de Si Affif et pour le gaouel forcé au silence éternel, Alloula qui ne reviendra plus et Medjoubi qui n'accompagnera plus Sonia, pour Alger de Zinet que vous n'avez pas connue et pour Momo dont vous ignorez les mots, pour Agoumi dévitalisé par l'exil et pour les rimes de l'exil de Cheikh Hasnaoui condamné au trépas insulaire, pour toutes les montagnes de mon pays, celle de Baya léguée par Meddour, mon Zaccar où le GIA a remplacé les cerisaies, l'imposant Djurdjura de Abane et de Matoub, l'Ouarsenis de Bougara et les fiers Aurès de Ben M'hidi ; sur la tombe d'Ali La Pointe que vous avez interdite à Taoufik Ben Brik, pour Abdelhak Benhamouda qui vous regarde rire avec Abassi Madani et pardonner aux assassins de Bentalha, pour Moufdi Zakaria et le M'zab de nos ancêtres, qassaman, nous ne nous tairons pas !
Comment pouvez-vous prétendre à la paix des plumes du vivant de Djamal Amrani quand le poète vous a vus, de la main qui pendit Ben M’hidi, étrangler le téton dénudé qui allaita sur la terre berbère, de jeunes dieux et de vieux rêves ?
Nous ne nous tairons pas.
Pour le cri de Sadaoui prolongé dans le râle de Massinissa Guermah, pour l'honneur du supplicié réhabilité par Bachir Hadj Ali pardonnant à ses tortionnaires, pour Embarek embrassant les mineurs de mon Zaccar, pour le fils du pauvre que nous fûmes avant que Mouloud Feraoun ne fasse notre portrait, pour la galette solitaire, repas l'année de la gale, pour Boualem le mécano mort au maquis à 17 ans, pour les gavroches de Tizi vous condamnant à l'infamie pour la postérité, pour la guernina que vous n'avez jamais mangée, pour les bacheraf qui nous ont bercés, pour nos femmes humiliées sur cette terre pourpre, pour nos tombes creusées de nuit dans la forêt quand la haine sacrée suintait des tombes et des minarets, pour cette nuit dans la maison vide où Katia n’est pas rentrée et qu’il pleuvait sur nous les larmes des dieux qui pleuraient, pour les miracles partagés entre les poings levés et les pucelles d’Alger, pour la mer rendue à ses rades par le choix d’Ourida Meddad, par nos serments passés entre le sein et la main qui le caressait, Qassamen nous ne nous tairons pas, je jure sur ton sein que le lis a grandi, mandole rends-moi mes mains, c’est l’heure du combat. Et je jure que nos héroïnes séduites resteront nôtres quand vous les abandonnerez, que nous ne garderons de Zohra que l'épopée de La Casbah du commandant Azzedine et le goût du Vialar de mon grand-père, que de Khalida ne restera que l'image du bandeau sur un front rebelle. Vous n'avez rien à faire dans nos intimes dynasties. C'est comme ça depuis que les fleuves irriguent nos terres et nos orgueils, de la Tafna de l'Emir Abdelkader triomphant de Bugeaud au Chlef qui accueillaient les séguias de nos cerisaies. Interrogez les fleuves et les montagnes, Sidi Mcid et Sidi Lahouari, les nuits d’Oran à l'heure où pleure le banjo, les aubes où renaît l’honneur perdu d’El Murdjadjo, chante banjo mes siècles de sang et laisse pleurer les souvenirs. chante et n'oublie rien de la longue nuit des fils du figuier, interrogez les 3 000 cadres dont vous avez volé le bonheur de vivre, demandez aux veuves de Raïs et de Sidi Youcef, interrogez Sidi-Bouguedour et la dix-huitième mosquée, la brise rue de la Marine, le souvenir de Abane et l’honneur de la Soummam, la violette et l’aubépine que vous avez écrasées, celles que nous baptisâmes Amzal et Guermah, leurs cris jetés dans l’histoire, leur parfum qui embaume la patrie, Tkout et l’enfant arraché à la mère, Nedjma et tous nos amours interdits, Nedjma et l'oliveraie de Thala, Nedjma et le poing levé d’Icherriden, Nedjma et la fleur de Beni Douala...Interrogez Nedjma, interrogez Zhor Zerari Algérienne debout, ou les enfants des patriotes assassinés, ceux-là qui ont peur pour leurs pères à l'heure de la concorde, demandez aux mères des soldats morts à Sidi Ali Bounab, à Kenza qui pleure toujours son papa Lounès, demandez qu'ils se taisent à ces fils d'une Algérie à gagner…D’'une vie arrachée aux entrailles de la mort, nous existerons, nous graverons dans l’histoire l’amour de nos plumes égorgées et du voile déchiré nous libérerons les sourcils d’Alger. Et que brûlent les noms de tes bourreaux sur nos iris, tes bourreaux, patrie, en treillis, en costume ou en kamis, ceux qui, avec la lame du croissant, décapitèrent ta chair ou ceux qui, fils d’Oudja ou Judas aux galons verts leur tendirent la main, te poignardant du pacte de Lucifer, et leurs crocs sur tes seins, vendirent ton lait aux enchères... Nous ne nous tairons pas. Et qu'importe si la défaillance venait à nous surprendre, nos fils ont déjà gravé dans les lignes de leurs mains, le secret de nos femmes et la légende des peupliers ! Elle ne se trouve écrite dans aucun cahier, juste, un soir, dans les yeux de nos mères. Ils jurent déjà que nul ventre de cette terre ne sera assez grand pour vous protéger de leur colère. Vous avez perdu.
M.B.