Djilali Hadjadj. Président de l'Association algérienne de lutte contre la corruption (AALC)
«Cacophonie gouvernementale sans précédent»
El Watan, 29 août 2010
- Le président de la République veut réactiver les mécanismes de lutte anticorruption, qu'en pensez-vous ?
Le communiqué du Conseil des ministres du 25 août 2010 contient surtout des effets d'annonce en matière de supposée lutte gouvernementale contre la corruption, car quel crédit accorder à l'annonce de modifications de la loi du 20 février 2006 relative à la prévention et à la lutte contre la corruption, alors que cette loi avec plus de 4 années et demie d'existence n'a jamais été réellement appliquée ? Avant toute modification n'eût-il pas été plus judicieux d'en présenter le bilan officiel de son application ? Le chef de l'Etat avait évoqué en octobre 2009 – lors de l'ouverture de l'année judiciaire – la mise en place d'une commission nationale de lutte contre la corruption : visiblement, les modifications de la loi de février 2006 résultent des travaux de cette commission. Tout ça pour ça ? Résultats bien maigres : on remplace l'organe central de prévention et de lutte contre la corruption par un «office central de répression de la corruption» – remplacement dans la loi uniquement, car l'«organe» en question n'a jamais été installé ! Tout ça n'est pas sérieux et montre bien encore une fois l'absence totale de volonté politique au plus haut niveau de l'Etat à lutter effectivement contre la corruption. Pour rappel et la petite histoire, le Premier ministre avait annoncé en février dernier que l'Observatoire de prévention de la corruption serait installé fin mars 2010 : il n'en a rien été. En juillet 2010, le ministre de la Justice annonçait que cet observatoire serait mis en place avant l'ouverture de la prochaine année judiciaire ! Cacophonie gouvernementale sans précédent. Le comble c'est que dans le même communiqué du Conseil des ministres, le chef de l'Etat «a ordonné au gouvernement de procéder à l'installation rapide de l'Office central de répression de la corruption», alors qu'il sait très bien que cette installation est tributaire d'au moins trois éléments d'ordre législatif et réglementaire : le premier, c'est la publication au Journal officiel de l'ordonnance portant modification de la loi du 20 février 2006 ; second élément, c'est la publication d'un décret présidentiel relatif à l'organisation et à la composition de «l'Office central de répression de la corruption» ; et enfin troisième et dernier élément, la publication d'un décret présidentiel portant nomination des hauts fonctionnaires membres permanents de cet «office». En un mot, l'installation effective de cet «office» dépend totalement du chef de l'Etat, et en termes de rapidité, il faudra encore attendre tout le cheminement de ce processus législatif et réglementaire !
- Pourquoi maintenant ? Cela obéit-il à des pressions internes ou externes, selon vous ?
Les énormes scandales de corruption qui ont marqué l'actualité ces dernières années et qui n'ont pas livré tous leurs secrets, ont certainement obligé le gouvernement à faire des effets d'annonce, à défaut d'agir concrètement sur le terrain en matière de lutte contre la corruption, car pour cette dernière c'est plutôt le statu quo, résultant des luttes intestines au sein du pouvoir et des règlements de comptes par corruption interposée, le tout ayant dangereusement divisé et neutralisé les institutions (justice et services de sécurité notamment), en charge de la lutte contre ce fléau. Les demandes et les pressions externes sur le gouvernement algérien en matière de lutte contre la corruption n'ont cessé de se multiplier ces derniers temps – venant notamment des grandes puissances et de l'Union européenne –, mais sans grand succès et l'exaspération des pays principaux clients et fournisseurs de l'Algérie est à son comble. Les annonces issues du Conseil des ministres du 25 août visent principalement à tempérer cette exaspération et à gagner du temps. Il est probable qu'au plan interne, une partie du pouvoir sensible à cette exaspération et aux pressions externes, ait amené le chef de l'Etat à faire ces annonces mais sans garantie d'effectivité sur le terrain.
- Il a utilisé l'ordonnance présidentielle alors que les lois existaient déjà...
C'est une des constantes – à la limite de la constitutionnalité – du chef de l'Etat de faire fi du Parlement, qui pourtant lui est totalement acquis, et de le contourner régulièrement, non par crainte que ses projets de loi soient modifiés ou rejetés, mais beaucoup plus pour tirer la couverture à lui – et apparaître comme le seul décideur et l'unique pourfendeur de la corruption ! Et puis pourquoi modifier des lois, alors qu'il aurait surtout suffi qu'on les applique d'abord, si derrière ces annonces il y avait une réelle volonté politique à lutter contre la corruption. Cette dernière est manipulée et brandie comme instrument de pouvoir, du pouvoir et de règlement de comptes. Bouteflika, qui a toujours endossé le costume d'ancienne victime de la Cour des comptes, est réticent à mettre en place des institutions spécialisées dont le contrôle et le fonctionnement lui échapperaient. D'ailleurs, il est assez surprenant qu'il ait enfin lâché sur l'élargissement des prérogatives de la Cour des comptes et le renforcement du statut des magistrats ! Mais pourquoi ne veut-il toujours pas rendre public le rapport annuel de la Cour des comptes, publicité qui est une de ses prérogatives législatives ?
- Pourquoi à votre avis la question de déclaration du patrimoine a-t-elle été occultée ?
Tout le monde se souvient du vote scandaleux d'une majorité de députés (FLN et Hamas) en janvier 2006 contre l'article 7 du projet de loi de prévention et de lutte contre la corruption, article visant à sanctionner les élus nationaux et autres agents publics qui ne déposaient pas dans les délais leur déclaration de patrimoine.
Quelques années plus tard, le constat est unanime : le processus de déclaration de patrimoine est à l'arrêt, et ce ne sont pas les quelques ridicules déclarations publiées au Journal officiel en début d'année qui modifieront ce constat. Après cette «fronde mafieuse» des députés du FLN et de Hamas en janvier 2006, il était attendu que le gouvernement revienne à la charge pour mieux défendre cet article : il n'en fut rien. Quelques années plus tard, lors de ce Conseil des ministres du 25 août 2010, une opportunité était donnée au chef de l'Etat et à son gouvernement de réintroduire cet article, et mieux encore, de «réparer» une omission (un «cadeau empoisonné» qui ne dit pas son nom) en élargissant aux officiers supérieurs de l'ANP la liste des agents publics soumis à déclaration de leur patrimoine. La plus mauvaise manière d'agir pour la transparence dans la vie publique, c'est de protéger les «nantis» du moment et donc d'encourager la culture de l'impunité.
Nouri Nesrouche