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Commémoration des événements du 5 octobre 1988
Les manifestants malmenés
Le rassemblement organisé hier à Alger pour la commémoration de cette date symbole a été réprimé. Les services de sécurité sont allés jusqu’à empêcher le dépôt de la gerbe de fleurs à la mémoire des martyrs de la démocratie.
Que dire d’un pouvoir qui a peur d’une gerbe de fleurs ? D’un pouvoir qui a fait de la bastonnade une politique et de la politique un interdit ? Hier encore, la répression, devenue le moyen de communication d’un pouvoir autiste, a frappé. Elle a jeté son fiel sur des jeunes, désarmés, venus parsemer de fleurs là où le mal n’a que trop sévi. Le rassemblement pour commémorer les événements du 5 Octobre a été violemment interdit dans un lieu, théâtre il y a 22 ans d’une répression féroce contre des jeunes aussi désarmés. Ce que le temps n’a pas réussi à effacer, la matraque veut le rendre invisible.
Le Rassemblement action jeunesse (RAJ) qui a appelé, avec l’Association des victimes des événements d’Octobre, à un rassemblement pacifique sur la place des Martyrs, à Alger, en commémoration des journées d’Octobre, a été empêché par la force de quitter les lieux. «Trop c’est trop, chaque année c’est la même rengaine ! Rentrez chez vous», lançait tout de go un policier en civil visiblement imperméable à tout compromis. Comme si ordre avait été donné pour empêcher ne serait-ce que le dépôt de la gerbe de fleurs, les policiers venus en nombre, en civil et en uniforme, ont violemment poussé les manifestants à s’éloigner du kiosque de la place des Martyrs. Les fleurs n’ont pas échappé à la rage des forces de l’ordre.
Tentant vainement de déposer la gerbe commémorative et face à un encerclement par les policiers, le président de RAJ, Hakim Addad, a eu pour acte de subversion de jeter des fleurs sur les présents. Un geste pour affirmer et insister sur le caractère pacifique du rassemblement. Mais ce n’était pas assez pour calmer l’acharnement de la police à interdire le rassemblement. Un autre militant du RAJ tente quant à lui, malgré l’interdiction des policiers, de lire la déclaration de son association. Le texte lui a été arraché des mains, comme tous les écrits brandis par les manifestants.
L’image de la gerbe de fleurs défraîchies, jetée sur le sol, résume à elle seule tout le mépris affiché à l’adresse du peuple et de sa mémoire. «Je suis un Algérien, voici ma carte d’identité, j’ai le droit d’être où je veux quand je veux. Vous n’avez pas le droit de me l’interdire», lançait un jeune, le bras brandi, tenant sa carte nationale. Son geste a été rejoint par d’autres manifestants qui, tout en brandissant leurs cartes, lançaient des slogans que cette place et ce ciel d’Alger connaissent et gardent encore en mémoire : «Algérie libre et démocratique », «A bas la répression, liberté d’expression», «Bab El Oued Echouhada» ou encore «Pouvoir assassin». Au fur et à mesure que la foule grandissait, le nombre de policiers doublait.
«Apparemment, il s’agit d’une délégation de la DGSN qui est venue commémorer avec nous le 5 Octobre», nous dit ironiquement Azouaou. Aux dizaines de manifestants s’ajoutait une foule de curieux, s’interrogeant sur le pourquoi de cette action. «Ils ont raison de dénoncer la hogra. Qui n’est pas atteint par le mal de la hogra dans ce pays ?», nous dit un citoyen de passage. D’autres affichaient des regards de colère en voyant la réaction démesurée des policiers.
Le RAJ dénonce une «féroce répression»
«C’est émouvant de voir ça. Comment répondre avec une telle férocité face à des gens désarmés et pacifistes ? Nous sommes là pour nous remémorer une date, des victimes, des faits, pourquoi tant d’acharnement à nous faire taire et oublier ce qui s’est passé ?», s’indigne Oumahamed, lui aussi victime d’Octobre.
Appuyé sur une canne qui ne le quittera jamais, comme le souvenir de ce 5 octobre 1988 où il était de passage devant la DGSN, Oumahamed a été atteint de deux balles provenant de l’édifice de la police. «Nous réclamons un statut, une reconnaissance. Qu’on dise enfin la vérité et ce qui s’est réellement passé», dit-il. Un représentant de l’association SOS familles de disparus, venu participer à l’action de RAJ et des victimes d’Octobre, souligne : «Il y a danger sur les libertés. Les rassemblements sont interdits et c’est là une grave atteinte aux droits à l’expression.»
Des représentants de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme, des militants du FFS, du MDS, un député d’El Islah, Filali, et le député indépendant Ali Brahimi ont répondu à l’appel de la mémoire en prenant part au rassemblement.
Les deux députés ont été invités par Hakim Addad à faire valoir leur statut de député pour faire libérer le jeune Ferhani, embarqué par la police. Affichant leur carte officielle, les deux élus à l’APN ont demandé aux policiers de laisser le rassemblement s’accomplir. Mais c’était une vaine tentative. «Nous avons vu ce que vous faites et nous en rendrons compte à l’Assemblée», dira le député Filali.
Dans un communiqué rendu public après le rassemblement réprimé, le RAJ, tout en saluant le courage des citoyens présents à la place des Martyrs, dénonce «la féroce répression qui s’est abattue sur les manifestants». Le communiqué souligne que «nul n’a été épargné, pas même les deux victimes de la répression d’Octobre 1988, venus participer au rassemblement. Le membre du RAJ et deux autres citoyens qui ont été interpellés ont finalement été relâchés suite aux négociations avec les responsables de la police locale».