Le gouvernement algérien n’aura pas eu le temps de se réjouir trop longtemps des résultats économiques enregistrés durant l’année 2010. Il y a à peine quelques semaines il se délectait en annonçant un taux de chômage de 10% et une inflation maîtrisée à 4,5%.
Quelques mois plutôt, un ministre du gouvernement remettait en question l’existence même de la pauvreté en Algérie et ce même gouvernement nous présentait le bilan d’un quinquennat amplement réussi où pas moins de trois millions d’emplois et plus d’un million de logements auraient été créés.La révolte aujourd’hui, menée par des jeunes qui se révoltent pour ces mêmes questions, balaie d’un revers de la main tous les chiffres officiels déjà contestés par les experts et les observateurs. Il est vrai que de l’extérieur, il peut paraître paradoxal que les gens se révoltent et dénoncent la mal vie dans un pays qui dispose de 150 milliards de dollars de réserves de change et plus de 4000 milliards de dinars dans le fonds de régulation des recettes.
Une caisse créée initialement pour préparer l’avenir des générations futures, mais ces ressources sont utilisées depuis deux ans pour éponger le déficit budgétaire. Au cours de la dernière décennie, plus de 200 milliards de dollars ont été déboursés dans des programmes de développement pluriannuels dont le citoyen a encore du mal à percevoir les effets sur son quotidien en terme d’amélioration des conditions de vie et du pouvoir d’achat. Et pour cause, 70% de ces montants ont été destinés à des projets d’infrastructure, d’équipement et de logement. Le gouvernement a profité de la hausse des cours sur le marché pétrolier au début des années 2000 pour rattraper le retard du pays en matière de développement infrastructurel. Le président Bouteflika en a également profité pour alléger le pays d’une dette extérieure de près de 40 milliards de dollars, ce qui a contribué à redorer l’image de l’Algérie vis-à-vis de l’étranger.
Des chiffres trompeurs
Mais, si l’Algérie a repris des couleurs sur le plan diplomatique, sa population continuait à en voir des vertes et des pas mûres avec un salaire minimum de 15 000 DA et un chômage qui touche 60% de la population active de moins de 30 ans et 21,5% des 15-24 ans. Certes, le gouvernement a réévalué le SNMG (salaire national minimum garanti) plusieurs fois puisqu’il était de 6000 DA au début de la décennie, mais cela restait bien insuffisant face à la cherté de la vie car selon certains économistes «ce ne sont pas des augmentations, mais des rattrapages de ce qu’il aurait fallu faire il y 4 ou 5 ans». Par ailleurs, comme l’ont expliqué certains syndicalistes, la hausse du SNMG profite beaucoup plus à ceux dont les salaires sont indexés dessus et qui sont surtout les cadres dirigeants. Autant dire que ces augmentations n’ont pas eu une importante incidence sur le niveau de vie d’une grande partie des salariés. D’ailleurs, en 2010, une étude sur le pouvoir d’achat au Maghreb réalisée par l’Intersyndicale de la Fonction publique, avait démontré que le SNMG en Algérie ne couvre que 26% des besoins minimums des ménages.
Mais alors que les salaires évoluaient au compte-gouttes, l’inflation grimpait beaucoup plus vite atteignant près de 6% en 2009 et ramené à 4,5% en 2010, selon les chiffres officiels. Des chiffres qui, de l’avis de beaucoup d’observateurs, reflètent mal la réalité sur le terrain. Selon un chercheur du Cread (centre de recherche en économie appliquée et développement) interrogé précédemment par El Watan Economie, «les chiffres de l’ONS (office national des statistiques) sous-estiment l’inflation» car «il y a l’inflation apparente telle qu’elle est calculée à travers l’indice des prix à la consommation (IPC) et l’inflation ressentie par les gens chaque jour, qui est, elle, mal mesurée». Selon lui, ailleurs dans le monde, on estime que l’indice du coût de la vie est plus proche de ce qu’on ressent chaque jour, car il permet de «couvrir le gap» entre l’inflation apparente et celle qui est ressentie. Or, en Algérie, «il n’est pas calculé».
Injustices et inégalités
Seulement, il n’y a pas besoin d’un calcul mathématique pour constater qu’une large partie de la population vit mal et la progression de la mendicité, la clochardisation, l’informel et la précarité n’en sont que quelques indices.
Ce malaise né d’une situation socioéconomique déplorable est d’autant plus exacerbé par un sentiment d’injustice et d’inégalité vis-à-vis de la répartition de la richesse du pays. «La richesse en Algérie est concentrée entre les mains d’un groupe social par rapport aux autres groupes sociaux », explique un économiste. Beaucoup de gens ne comprennent pas en effet comment un pays qui engrange en moyenne plus de 45 milliards de dollars de recettes en devises annuellement pendant près de 10 ans et accumule 150 milliards de réserves en devise ne parvient pas à faire vivre décemment 35 millions d’habitants.
Pendant qu’une grande partie de la population peine à boucler ses fins de mois, une autre en profite pour s’enrichir. La multiplication des affaires de détournements et de blanchiment d’argent ou encore de corruption touchant tous les secteurs et à tous les niveaux de décision accentue la colère d’une population déjà malmenée. Cela d’autant qu’on a souvent l’impression que les principaux auteurs de ces actes ne sont guère inquiétés par la justice. L’affaire Khalifa ou encore plus récemment celles de Sonatrach et de l’autoroute Est-Ouest en sont de parfaits exemples.