Par                    : Mustapha Hammouche 
 
 Il  y a quelques jours, Abou El Ghaïth, ministre des Affaires étrangères  égyptien, répondait à la question de savoir si la révolte des Tunisiens  pouvait retentir en Égypte par ceci : “Ce sont des paroles vides !” Avec cette assurance empruntée, propre aux dirigeants illégitimes, il  rejetait d’un revers de mot l’idée même que l’autorité de son régime  puisse être remise en cause.
Ce “degré zéro de la politique”, où les  caciques sont agacés du fait de devoir discuter de leur abusive  pérennité, est illustré par les ahurissantes déclarations de  l’ambassadeur d’Algérie à Paris. Comme réveillé de son long  assoupissement communicationnel par les questions de RTL, il  s’offusquait : “Quelles émeutes ?” 
Longtemps après la mort de  Boumediene et quelque temps après le décès de De Bernis, Missoum Sbih  est toujours réglé à l’heure du “plan quadriennal” à “trois milliards de  dollars” ! 
Il ne s’est trompé que d’un an et de 383 milliards, mais  cela renseigne sur l’assiduité dans le suivi de l’état du pays qu’il  représente. Et dire que Son Excellence avait, il y a une dizaine  d’années, présidé la commission de la réforme, virtuelle, de l’État !
Depuis  un certain temps, parler de la situation sociopolitique et de la  tension qui pèse sur le pays est devenu une corvée pour nos officiels.  Si l’on excepte le ministre de l’Intérieur, contraint, à l’occasion, de  répliquer aux interrogations médiatiques, pour tous les responsables,  l’exercice consiste à faire semblant d’activer sans avoir à s’exprimer.  Ould Kablia, comme Abou El Ghaïth, ne se complique pas la démonstration :  “Le peuple algérien est un long fleuve tranquille” et “il n’y a qu’une  seule feuille de route”.
Face à cette forme fossilisée d’expression  politique machinalement exécutée par les vieilles générations de  potentats de carrière, on remarque l’émergence d’un discours concis et  sobre et pourtant expressif d’une fulgurante efficacité  communicationnelle.
Rien de plus succint ni de plus parlant n’a été  inventé depuis le “yes, we can” d’Obama que ce “Ben Ali dégage” des  émeutiers tunisiens. Justement, le message net, si j’ose dire, doit  probablement beaucoup à l’intrusion de l’Internet dans la conduite des  mouvements politiques et dans l’usage inaugural du réseau social par le  candidat Obama. 
Et s’il fallait une preuve que le “buzz” du “yes, we  can” peut être réédité, c’est dans l’appropriation du “dégage” tunisien  par les manifestants égyptiens : société arabophone, et subsidiairement  plus anglophone que francophone, les jeunes activistes d’Égypte ont  préféré l’authenticité significative de la formule originelle au risque  de déperdition du message que comporterait son éventuelle traduction.
Même  dans les actes, les gestes, les mouvements juvéniles empruntent aux  gestes symboliques des révoltes passées auxquelles cette jeunesse  s’identifie : ainsi, ce jeune affrontant seul un camion à canon à eau,  comme le jeune chinois de Tien An Men se jouant à reculons de la menace  d’un char.
Dans ce hiatus communicationnel se résume le décalage  tectonique entre les dirigeants et leur lexique creux et figé et les  nouvelles générations et leur langage bref, numérique et éloquent