La convocation du maire de Zeralda à la cour de Blida pour juger le dossier de l‘une de ses plaintes relative à la dilapidation du centre des affaires de cette commune reste unique dans les annales judiciaires en Algérie.
En effet, ce jeune maire, accusé d’escroquerie et jeté en prison à la manière terroriste, va rencontrer menotté ses accusateurs alors que la logique et le bon sens voudrait que c’est le contraire qui devrait se passer. Tout porte à croire que tout le monde panique face aux affaires invraisemblables qui lui sont reprochées. Cette situation comique est explicitée dans une lettre que sa sœur adresse au premier magistrat du pays.
Rabah Reghis
Monsieur le Président,
Je vous écris cette lettre au sujet de mon frère de Khatir Mouhib, maire de Zeralda. Je ne vais pas rentrer dans les détails de cette déroutante affaire médiatisée sur le net, dans la presse écrite et relayée par des tas de lettres adressées à qui de droit. A la présidence et aux ministères : de l’intérieur, de la justice, etc. Il a été kidnappé par une brigade antiterroriste dans une impasse sur le chemin de sa maison alors qu’il n’est ni un terroriste ni un dangereux malfaiteur au point où on a été incapable de lui concocter un dossier qui tienne la route. Son seul grief, son originalité, faire le contraire de ce que font les autres. Il a émigré en sens contraire et s’est engagé dans la politique en électron libre alors que personne même feu Boudiaf n’a réussi un tel exploit chez nous. Il a cru corps et âme en vos discours surtout quand vous affirmez : " … conforter l’équilibre entre pouvoirs, garantir les libertés individuelles et collectives et les droits de l’Homme…"
A Paris, au début il s’était retrouvé un jour dans la rue grelottant de fièvre et de froid. Recueilli par un curé, méfiant, il avait jugé utile de préciser à l’homme d’église qu’il était musulman à la vie et à la mort. Ce dernier a répliqué en souriant : "Qu’importe ta religion, je t’aide pour qu’un jour tu puisses me remercier en aidant un autre..." Il a fini par remonter la pente, créer une entreprise, se faire des amis, avec son physique, son éloquence, son aisance financière, il aurait pu comme d’autres Algériens faire de la politique "beur" et profiter de la coloration du champ visuel français. Non, il a préféré déscolariser ses enfants de l’école de Molière à celle de Ben Badis tellement il aimait son pays et avait confiance en ses institutions même la décennie noire ne l’a pas découragé. Comme il était fier d’apporter son savoir-faire pour rénover l’Assemblée nationale, le Théâtre national, l'hôtel Hilton etc. Il aurait pu s’arrêter là, quand on évolue dans les hautes sphères on ne risque pas de tomber mais son cœur d’artichaut tendait vers les bas, là où végètent les malchanceux ceux qui n’ont pas eu sa baraka. La main toujours dans la poche à la vider avec soulagement pour aider les nécessiteux, les jeunes sportifs, embellir les mosquées etc. Comme une drogue, il avait besoin des sourires et des bénédictions de ceux qui ne "comptent pas".
Le proverbe dit que celui qui donne, reçoit et voyez-vous Monsieur le président, quand il est "tombé" ceux qui lui ont tendu la main ont été les démunis, ded femmes de ménage, dde gardiens, ded chômeurs, des repris de justice… Son malheur est d’avoir voulu redonner à Zeralda son prestige d’antan avec le soutien de ses électeurs. Cette ville en accueillant le premier magistrat du pays aurait dû être un havre d’équité, de paix, de joie pour ses habitants, se retrouve frappée d’aphasie, de gâchis, de désespérance. Depuis 1962, elle se laisse dépecer en toute quiétude par une razzia qui avale herbe et cailloux. Tout est passé, des plus belles villas coloniales au complexe touristique et ses bungalows, la forêt choisie par le président Boumediene. Même les sables dorées avec leurs dunes ont été balayés, on dit qu’ils ont fait la fortune du gendre de Chadli. Je m’arrête là pour évoquer la mémoire de cet adolescent, élève prometteur, mort dans les années 1980 pendant le mois sacré du ramadan enseveli par des tonnes de sable à cause d’une maladresse des "voleurs". Son vieux père, un pauvre paysan dont il était l’unique fils a été terrassé par le chagrin en l’enterrant... Zeralda, ce fleuron touristique de la côte, connue mondialement a fini par perdre tous ses attraits que Dieu lui a donnés et porter la poisse à ses enfants fatalistes. D’exportatrice de fruits et légumes vers l’Europe, elle n’a plus de terre arable pour nourrir sa propre population ni assez de terrain pour loger ses autochtones. Tout a été squatté par ces envahisseurs qui deviennent milliardaires du jour au lendemain. Dans ce désastre, il y a eu deux derniers espoirs : le centre des affaires et la gare routière. Ils ont été construits par la commune qui s’était endettée pour des décennies afin d’assurer l’avenir de ses administrés. Mais voilà que même là, les requins veillaient. Mon frère a été élu pour qu’il fasse quelque chose, surtout au sujet du centre des affaires transformé en lieu de "jouissance" pour une certaine faune. Situé au cœur de la ville entre deux mosquées, il enrichissait ses gérants en ruinant les caisses de la mairie qui se saignait pour payer la banque.
Depuis son élection en 2007, mon frère a déposé à ce sujet plus de 27 plaintes, aucune n’a abouti, il passait tout son temps à défendre les intérêts de sa ville d’un commissariat à un autre d’une convocation à une autre, d’un tribunal à un autre délaissant sa famille. Sa femme a été opérée du cœur en urgence, tous ses enfants ont décroché à l’école et son entreprise en faillite. Monsieur le Président, ce dimanche 18 décembre, il devait comparaître au tribunal de Blida, non comme accusé mais comme plaignant. Le procès a été renvoyé aux calendes grecques. Imaginez Monsieur le Président la fierté d’un accusé venant à la barre libre se défendre face à son accusateur extirpé de derrière les barreaux amené dans un fourgon blindé, menotté et encerclé par des agents armés jusqu’aux dents. A ce stade là, Monsieur le Président, quel corps fait de chair et de sang peut résister à cette boite de Pandore cinglée ? Aujourd’hui, il est plus seul que jamais, on n’en parle plus, tous les "zaoualias" qui ont eu le courage de le soutenir ont fini par jeter l’épongepour diverses raisons.
Tout au début, on avais reproché aux gens qui l’avaient élu leur manque d’enthousiasme, l’un d’eux nous a répliqué : "Ma sœur, je jure sur le Coran et la tête de mes enfants que j’ai fait maison par maison trou par trou, je me suis adressé aux vieux, jeunes, femmes et hommes quelle que soit leur condition pour leur dire : "Honte à vous mes frères, cet homme c’est nous qui l’avons sollicité pour venir sauver notre ville des mains de ces rapaces. Il n’avait besoin ni d’argent ni de villa ni de voiture de luxe…, il vivait tranquille avec sa famille. Maintenant qu’il est en prison à cause de nous, on doit l’aider c’est hchouma harr de l’abandonner…" Tous nous ont répondu : "Allah qui voit à l’intérieur de nos cœurs sait que nous prions pour lui tous les jours pour qu’il revienne sain et sauf à ses enfants mais doit-on le faire au risque de sacrifier les nôtres ?! Oui nous avons peur d’eux, on a déjà goûté à leur rancune. Ils ont l’argent et le pouvoir, ils ne feront qu’une bouchée de nous. Regarde ce qu’ils ont réussi à faire de notre maire issu de la famille la plus ancienne de la ville et qui nous a promis de les vaincre…"
J’écris cette lettre en espérant la libération de Mouhib Khatir, maire de Zéralda, kidnappé et mis en prison depuis plusieurs mois pour avoir voulu sauver sa ville des griffes de la maffia locale. J’écris cette lettre surtout parce que j’ai peur que cette injustice finisse par lui empoisonner le sang plus sûrement qu’un poison violent, qu’une grève de la faim illimitée… C’est sans doute ce qu’espère ses adversaires, je ne dirai pas ennemis car on ne peut en avoir quand on défend le droit de ses concitoyens à vivre dignement chez eux. Monsieur le président, en définitive, j’irais même copier cette mère qui a préféré abandonner son bébé que de le voir découpé en deux par le roi Salomon : expulsez-le de Hadjout à l’aéroport mais ne le laissez pas crever derrière les barreaux.
Qu’il reparte rejoindre ces millions de harragas officiels déracinés refusant de revenir comme lui, exemple ce fils de Zeralda, grand cardiologue qui a opéré dans un hôpital français Madame Khatir, née à Paris. Ses six enfants ont besoin d’un père vivant pas d’un héros mort qui s’est trompé de bled et d’époque. Seul Allah peut savoir le sort qui l’attend. Monsieur le président, on dit que vous êtes malade et la mort a dû vous frôler de près alors vous devez connaître le prix de la santé d’un être humain, de surcroît enchainé et humilié pour avoir dit : non à la corruption et à la hogra ! Car rien de bon ne peut découler de ces deux maux qui menacent l'Algérie et vous être bien placé pour le savoir…
Mme Fatiha Khatir, sœur de Mouhib Khati