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La poudrière syrienne et le carnaval occidental

 

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Kamal Guerroua, universitaire

« La démocratie est le nom que nous donnons au peuple chaque fois qu’on a besoin de lui»

Robert de Flers (1872-1927), dramaturge

 

  Pauvre Syrie ! Durant les 16 mois d’une révolte pacifique qui s’est transformé en conflit armé, le pays est presque en déliquescence. Les chiffres en sont là, éloquents, tristes et très pitoyables. Plus de 19 mille  morts et pas moins de 120 mille réfugiés selon les dernières estimations du H.C.R (le haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés), les pays limitrophes à savoir la Jordanie, l’Irak, la Turquie, et le Liban sont les choix de prédilection de ces naufragés d’une guerre civile sans merci. Ce qui est certain est que l’hémorragie interne de la Syrie a donné le là à un sauve-qui-peut général qui n’a guère trouvé d’accalmie depuis. Mais est-ce pour autant la fin de l’espoir pour un si beau pays ?

   En vérité, jusque-là, le conflit syrien reste un cas rarissime dans les annales de ce printemps arabe. Un véritable engrenage de violence qui est allé vite tourner au cercle vicieux. L’ivresse du pouvoir du clan d’Al-Assad et les petites contingences hexagonales qui annoncent l’imminence de la catastrophe ne sont pas près de leur épilogue. On est bien loin, semble-t-il, d’un scénario à la yéménite ou à la libyenne ou bien encore à l’égyptienne. Le soutien de la grande muette à la nomenclature damasquine est à bien des points indéfectible. La dissidence de l’A.S.L (armée syrienne libre), bien qu’efficace sur le terrain, reste pendue aux basques du soutien occidental, lequel tarde vraiment à venir ou ne viendrait pas du tout peut-être. Il est vrai que le positionnement stratégique de la Syrie en plein cœur du Moyen-Orient lui confère le statut peu enviable de «proie convoitée» aussi bien de l’orient que de l’occident. La première puissance à être attirée par ce manège hégémonique est inéluctablement la Russie, laquelle s’accroche à garder coûte que coûte main basse sur le port de Tartous, l’unique base militaire dont elle dispose comme relique de la guerre froide (1945-1990), après avoir perdu, bien sûr, celle de Lourde à Cuba en 2001, celle du Cam Ranh au Vietnam et plus particulièrement au lendemain de la chute de son premier allié stratégique dans la région en mars 2003, en l’occurrence le dictateur Saddam Hussein. Aussi serait-il judicieux de signaler au passage que les bouleversantes péripéties de la crise de Géorgie en 2008 ont remis au goût du jour le bras de fer entre les occidentaux et la Russie. Pour rappel, Poutine, à l’époque président, a mal digéré la décision du président géorgien de rejoindre l’O.T.A.N. En représailles, ce dernier s’est vu infléchir les foudres du Kremlin dès lors qu’il aurait entrepris d’occuper la région sécessionniste d’Ossétie du sud. C’est dire combien les russes ne seront jamais prêts à lâcher prise sur les enjeux géostratégiques en particulier celui de la Syrie, localisé au Moyen Orient de surcroît. Tout au plus, ce printemps arabe s’est incontestablement révélé un hiver pour eux vu que tous leurs clients sont déchus, malmenés ou carrément menacés par ce souffle de révolte sans précédent. Saddam était déjà pendu en pleine fête religieuse de l’Aïd en 2006, El-Gueddafi, lynché en public et à l’initiative des occidentaux par des foules ahuries et sans scrupules, Abdallah Salah ayant pris une honteuse retraite après une fronde sociale et politique des plus violentes que son pays ait connues jusqu’alors, l’Iran toujours sous les feux de la rampe médiatique et pire dans le collimateur des occidentaux pour sa présumée possession d’armes nucléaires et son enrichissement de l’uranium pour des fins militaires (un danger certain pour l’entité sioniste). Ce qui, convenons-en bien, ne fera plus l’affaire de la Russie, laquelle, rappelons-le bien, aurait signé un gigantesque contrat d’armement avec la Syrie en 2008 et la fâcheuse perspective de perdre son marché la rend plus que jamais attachée avec son allié traditionnel la Chine au droit de veto qui décidera du destin des syriens. Sous cette grille de lecture, la Syrie apparaît comme sa fille gâtée dans la mesure où la fin du régime sanguinaire d’Al-Assad signe sans doute l’arrêt de mort de son leadership au niveau international. La deuxième puissance en rapport étroit avec ce qui se passe actuellement en Syrie, c’est l’Oncle Sam. Barack Obama, en misant à fond sur la campagne électorale pour sa réélection  au  mois de novembre prochain, prend à revers les feux de détresse qui clignotent du côté de Drâa, Homs et Alep, Hillary Clinton quant à elle, n’aurait envisagé une intervention militaire en Syrie que sur la base d’une résolution onusienne alors que l’on sait d’expérience que les américains dérogent bien souvent à cette règle lorsqu’il s’agit d’un intérêt vital. C’est pourquoi, la récente découverte des charniers collectifs par les rebelles syriens n’a pas trouvé le langage de fermeté adéquat dans les couloirs de la maison blanche.

    Il semble bien que la petite Syrie est le moindre des soucis du récipiendaire du prix Nobel de la paix pour deux principales raisons, d’une part, il veut épargner la colère de ses compatriotes qui, très las des désastres afghan et irakien, voient mal la réédition d’une «farce interventionniste» à l’irakienne. D’autre part, ce syndrome de «diplomatie de connivence» dont a si bien parlé Bertrand Badie implique une certaine dose de complicité et du mutisme entre les grandes puissances sur des détails qui peuvent, le cas échéant, fâcher. Dommage! Ces grands discours que l’on prononce tout volontiers en Occident sur les droits de la personne humaine  ne sont au final que des salades et des entourloupettes impérialistes que les peuples du Tiers Monde ont avalés des décennies durant sans broncher. La troisième puissance intéressée au conflit syrien est Israël. Le plateau du Golan colonisé en octobre 1967 et les visées de sa rétrocession par la dynastie des Al-Assad seraient en cas de chute de celui-ci enterrés sous la sépulture de l’utopie démocratique du grand printemps arabe à moins que les données actuelles prennent un autre tournant décisif, c’est-à-dire, que les frères musulmans ou les salafistes arrivent à s’approprier les rênes du pouvoir sous l’ère post-Assad. La quatrième puissance qui est de loin concernée par le conflit syrien est bel et bien la France, laquelle aurait nettement changé de discours politique après l’accession de François Hollande à la présidence de la république. Celui-ci, contrairement à son prédécesseur qui aurait accueilli en juillet 2008 Bachar Al-Assad comme invité de marque aux Champs Élysées, comme il l’aurait fait d’ailleurs pour El-Gueddafi, entend implicitement pousser à ses derniers retranchements le clan d’Al-Assad. Comme geste symbolique mais non des moindres, il aurait dépêché en Syrie des équipes de secours et des aides humanitaires d’urgence. Mais le président Hollande marcherait-il sur les traces de cette fameuse «politique arabe de la France», initiée auparavant par le général de Gaulle (1890-1970) ou seulement rebondirait-il là où Sarkozy a failli perdre les pédales, c’est-à-dire, opérer de simples retouches tactiques? Force est de constater que la récente création de «la conférence des amis de la Syrie» sur le modèle de celle qui avait applaudi par ovations incessantes à la guerre menée par l’O.T.A.N contre la Libye nous laisse face à une politique française aux contours encore mal-définis.

   A dire vrai, toutes les gesticulations occidentales en cours s’accordent bien avec l’échiquier géostratégique du Moyen Orient car de l’autre côté du tableau l’on trouve que le quartet (Turquie, Qatar, Irak et Koweït) avec en plus le Liban agissent presque en coulisses pour une soi-disant «transition démocratique douce» en Syrie mais malheureusement sous les auspices des américains. L’alliance historique avec l’Oncle Sam pour la Turquie et la volonté de cette dernière de donner son coup d’éclat spécifique «laïcisant» au printemps arabe, l’odeur des pétrodollars et le désir ardent d’enduire la révolte démocratique des masses d’une couche d’islamisme politique pour le Koweït et plus particulièrement pour l’Arabie Saoudite et le Qatar dont le Roi Hamad bin Khalifa Al-Thani, devenu, l’espace d’un printemps, le bailleur de fonds par excellence des interventions militaires sur le sol arabo-musulman et la coqueluche des chancelleries occidentales, sont bien des motifs d’inquiétude régionaux. Les autorités saoudiennes, adeptes d’un «Islam rigoriste», tiré des enseignements du wahabisme, veulent contrecarrer le Hezbollah, de tendance chiite, confessionnellement et militairement proche allié du clan alaouite d’Al-Assad. De son côté, Hassan Nasrallah, sa tête pensante, se met sur la défensive en accusant implicitement l’Occident de vouloir installer au Liban-Nord, une base contrôlée par les salafistes syriens, soutenus par les saoudiens et des étrangers. Ce qui ouvre la voie, à ses yeux, à l’intrusion du réseau terroriste d’Al-Qaïda dans le jeu politique syrien. Mais ce qui est plus inquiétant par-dessus le marché est le fait qu’un scénario de partition de la Syrie est plus que plausible à l’heure actuelle, le nord avec Al-Assad, Hezbollah ainsi que l’Iran et le reste du pays sous la coupe des rebelles, des islamistes et des éléments d’Al-Qaïda. Certes avec la défection du premier ministre Riad Hijab qui s’est rendu en Jordanie et les 31 généraux déserteurs qui ont élu domicile en Turquie, le régime syrien «cette dictature à la tête de bœuf» comme dirait l’éditorialiste du Jeune Afrique Béchir Ben Yahmed en a pris un sacré coup, mais il n’en reste pas moins que la loyauté des alaouites et des autres minorités chrétiennes, druzes et kurdes lui servirait à la longue d’armure même si dernièrement on pressent le rejaillissement de ce lointain «rêve d’autonomie», longtemps étouffé chez les kurdes, cette minorité sunnite, victime des grands marchandages historico-politiques entre l’orient et occident au XIX et XX siècle. En dernière analyse,  on ne saurait qu’affirmer que la question qui taraude encore les esprits est si vraiment la grimpette vertigineuse de la fièvre révolutionnaire pourrait accélérer le dernier quart d’heure d’agonie du clan d’Al-Assad ou à tout le moins durcir le ton de la communauté internationale envers lui? Rien ne semble acquis pour le moment car la vulgate arabo-bâasiste conjuguée à «la paranoïa totalitaire» ainsi qu’au risque de faire usage des armes chimiques par les  sbires d’Al-Assad et enfin à l’hypocrisie occidentale, aurait déjà crée l’impasse dans le processus des pourparlers engagé par l’émissaire onusien Kofi Annan qui n’a trouvé autre meilleure solution que de jeter l’éponge en signe de lassitude face aux blocages répétitifs (intérêts très divergents entre les protagonistes et inertie onusienne). Chose qu’il n’avait, ironie du sort, pas faite lorsqu’il fut lui-même secrétaire général de l’O.N.U et au moment même où l’Irak de Saddam Hussein fut intensivement bombardée par l’Oncle Sam et la Perfide Albion avec les désastreuses conséquences que l’on connait sous prétexte de possession d’armes destruction massive, jamais retrouvées, et ce en totale violation de la légalité internationale! Pourquoi cette volte-face donc? Serait-il  un aveu d’impuissance, un désir de repentance ou Annan agit-il seulement sur ordre et injonctions de l’Occident? Et puis Lakhdar Brahimi, cet invétéré diplomate au parcours brillant rééditerait-il l’exploit des accords d’Al-Taef du 1989 ou se contenterait-il tout bonnement de gérer le statu-quo à sa guise? En attendant, la bataille d’Alep, ville considérée au demeurant comme le cœur économique de la Syrie, fait rage et l’horizon syrien reste  toujours brouillé de nuages et de grisaille.

   Kamal Guerroua, universitaire

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