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  • « Si ce pouvoir pouvait faire sauter la date du 5 Octobre du calendrier… »

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    Aujourd’hui, vingt-deux ans après, Azouaou, amputé de son bras gauche jusqu’à l’épaule et membre de l’Association des victimes d’octobre 1988 (AVO88), reviendra sur les lieux du drame et déposera une gerbe de fleurs à la mémoire des chouhadas d’octobre 88, et tout particulièrement, les 39 victimes tombées ce jour-là. « Moi je revendique un statut particulier pour les victimes d’Octobre en tant que victimes d’une bavure d’Etat et non pas d’un « accident de travail » comme on nous désigne honteusement », expliquera-t-il pour la vingt-deuxième fois. « C’est ici que je suis tombé » se remémorera-t-il pour la vingt-deuxième fois, en montrant du chef un portail vert attenant au lycée Emir Abdelkader. « Voyez ce mur : il y a encore les impacts de balles qui témoignent de la boucherie. Ce mur-là par contre a été recouvert de ciment pour effacer les stigmates des automitrailleuses » poursuit notre ami avec émotion. « Si ce pouvoir pouvait faire sauter la date du 5 Octobre du calendrier, il le ferait. Il fait tout pour effacer cette date, effacer ce qui lui est resté comme une tache noire », lâche Azouaou. « Nos mutilations sont considérées comme ‘’accident de travail’’. Accident de travail pour des gamins qui n’avait pas 18 ans à l’époque, ou même pour des enfants en bas âge touchés par des balles perdues. Accident de travail ! » dit Azouaou. Et ces centaines de jeunes qui ont subi la torture ? « Eux, ils n’ont rien. Alors là... », répond le président d’AVO88. « Depuis 1989, on a interpellé les gouvernements successifs, l’APN, les groupes parlementaires, nous avons déposé des mémorandums, des demandes...Nous voulons un statut », dit Azouaou. « Il faudrait bien que l’histoire condamne Lakhal Ayat (chef des services spéciaux militaires), Larbi Belkhir (directeur de cabinet du président Chadli), Khaled Nezzar et Hadi Lekhdiri (ministre de l’Intérieur) à divulguer les détails de ce qui s’était passé, surtout en ce qui concerne la torture », ajoute Azouaou qui préfère commémorer cet événement dans le deuil, seul. « Mais je salue RAJ (Rassemblement Action Jeunesse) qui dépose chaque année une gerbe à la Place des martyrs », dit Azouaou. 

    En 1990, le Parlement FLN décide de classer les victimes d'octobre 1988 sous la rubrique « accident de travail » au même moment que les députés du parti inique décrètent, déjà à l'époque, l'amnistie. En février 1989, les victimes et leurs proches se fédèrent dans une association, AVO 88, dont Azouou est membre du bureau. L'autorité rechigne à agréer l'association avant de proposer une proposition de statut : victimes de catastrophe naturelle ! Comme si les rafales de kalachnikovs fauchant des jeunes désarmés et les centres de torture étaient aussi naturels que les séismes ou les inondations. « C'est l'indécence même », dit Azouaou qui explique que les victimes ont refusé la proposition. Mais l'agrément est octroyé ensuite par défaut de statut. Est-ce un hasard également que les victimes du terrorisme et les proches de disparus n'ont ni statut ni associations agréées ' « Depuis 1989, nous n'avons pas arrêté : à chaque anniversaire d'Octobre nous avons interpellé tous les gouvernements, la présidence de la République, les groupes parlementaires. Sans la moindre réponse. » « En 1990 quelqu'un a daigné nous recevoir à la présidence de la République' habillé en survêtement. » Seule deux personnalités ont promis des avancées : Rabah Bitat, en 1989 alors président de l'APN et le regretté président Mohamed Boudiaf en 1992. Or, le premier a quitté son poste, le second, lui, a été assassiné. AVO 88 reste ainsi sans budget, ses membres sans statut et souvent sans espoir. L’espoir au fond d'un tonneau Sans espoir' et plein d'amertume. En colère. « En colère contre ces Betchine (ancien patron de la Sécurité de l'armée), ces Hichem Abboud (capitaine à l'époque de la Sécurité militaire, opposant à l'étranger) qui veulent se racheter une virginité alors qu'ils savaient qu'on tuait et qu'on torturait ! », explose Azouaou. Dans la foulée, il parle des crimes d'Octobre commis sous le règne de l'ancien président Chadli, Larbi Belkhir, Khaled Nezzar, le chargé du « maintien de l'ordre », Hadi Lekhdiri, le ministre de l'Intérieur, Mouloud Hamrouche, chef de file des réformateurs' « Il faudra préciser les responsabilités, parler de ces héritiers de Aussaress qui ont torturé en octobre, parler des voitures banalisées avec des tireurs anonymes à bord ciblant la foule' Il faut que les historiens ouvrent ces dossiers. »

     L'oubli est devenu le pire ennemi de Azouaou. « J'espère que le président Bouteflika se rappelle qu'il était signataire de la "motion des 18" », glisse-t-il. Publiée le 23 octobre 1988 et signée par dix-huit importantes personnalités politiques ' Mostefa Lachref, Lakhdar Bentobbal, Ali Haroun, Rédha Malek, etc. ' la déclaration fustigeait ouvertement la torture pratiquée durant et après la révolte d'Octobre et appelait à la fin d'une « légitimité historique qui s'est épuisée au fil des ans ». Fin 2005, lors de la campagne pour le référendum sur la charte pour la paix et la réconciliation nationale, Abdelaziz Bouteflika répétait que, en octobre 1988, « le peuple a été sorti », poussé dans des émeutes. Ça ne fait pas du tout sourire Azouaou. « Ils remettent en cause tous les acquis d'Octobre, il ne reste que la presse indépendante. C'est tout », soupire Azouaou en reposant sa tasse de café. En ce vingtième anniversaire, il compte se rendre à la place des Martyrs, non loin de là où son bras a été déchiqueté, avec l'association Rassemblement action jeunesses ' comme chaque année ' pour déposer une gerbe de fleurs à la mémoire des 500 morts, des blessés, des torturés, des disparus. Il veut perpétuer la mémoire. Le combat est de plus en plus vital. « La situation des droits de l'homme chez nous est la même depuis 20 ans, ce sont juste les méthodes qui ont un peu changé. »

     

    L.M.