Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

révolution

  • Gouvernement de “technocrates”, dites-vous ?

    Par : Mustapha Hammouche

    C’est à grands renforts médiatiques qu’on tente d’imposer à l’opinion publique une légitimité “technocratique” du “nouveau” gouvernement. (Le libertinage sémantique du discours officiel nous oblige au recours exagéré, mais inévitable, aux guillemets).
    Par quel procédé communicationnel transforme-t-on donc un gouvernement au moins aussi “politique” que son prédécesseur en gouvernement de “technocrates” tout en ne renouvelant qu’un cinquième des ministres ? Comme, avec ses relais officiels ou officieux, le pouvoir occupe l’essentiel des canaux de communication, il use de ce procédé de communication totale pour couvrir toute objection quant à la légitimité du (ou des) chef(s) qu’il nous a choisi(s). Le matraquage sémantique via les médias, relayé par une dose de complaisance de ce qui nous tient lieu de faiseurs d’opinion, fait passer un acte politique ou une personnalité, individuelle ou collective, pour ce qu’elle n’est pas. C’est là un traditionnel procédé du système algérien. Rappelons, pour l’illustration de la méthode, qu’en 1993, Zeroual, avant de devenir président de l’État, puis d’être élu président de la République, fut le premier ministre… civil de la Défense nationale, et qu’en 1999, Bouteflika fut d’abord candidat “du consensus”, sans précision des parties liées à ce consensus. Ce qui fait que sa candidature et son élection ne pouvaient  souffrir quelques contestations, celles-ci ayant déjà emporté le consensus. Aujourd’hui, un gouvernement coordonné par un ancien ministre, qui fut directeur de campagnes présidentielles et comptant une vingtaine de responsables et députés de formations politiques dont quelque quatre ou cinq chefs de parti, de petits partis, mais de partis quand même, passe pour un gouvernement de rupture : on rompt avec la “politique” et pour promouvoir la “technicité” !
    On brandit les diplômes de certains “nouveaux” ministres, alors que les ministres partis n’en étaient pas dépourvus ? Ceux-là ne pouvaient-ils pas prétendre à la qualité technocrate ? Et puisqu’il est question d’énarques, comme premier argument “technocratique”, signalons que le Premier ministre sortant était justement un transfuge de cette illustre école.
    Ce qui normalement le prédestinait à figurer dans un Exécutif de “diplômés”. Certes, certains membres du gouvernement sont issus de structures “techniques” et doivent principalement leur promotion à leurs qualifications professionnelles. Mais, comme pour nous rappeler que la compétence scientifique est toujours sujette au pouvoir politique, ils sont généralement affectés à des positions de secrétaires d’État auprès d’un ministre.
    La “techno” légitime rarement la “cratie”, même dans les fonctions techniques ! Enfin, n’est-ce pas la moindre des choses qu’en 2012 un ministre doive jouir d’un niveau universitaire, fut-il un ministre “politique” ?
    Même avec trois doctorats d’État, un gouvernement reste un gouvernement ; inutile d’en faire une académie pour ne pas avoir à expliquer l’incohérence politique, relevée par Louisa Hanoune, d’un gouvernement théoriquement composé sur la base des résultats d’une élection législative. Comme forme de désaveu de ce résultat, ce gouvernement, loin d’être “de technocrates”, n’est que politique.

  • Que reste-t-il de l’âme du 5 Juillet ?

    Par Le Matin DZ |

    C’était avec une pointe de curiosité que les Algériens attendaient la célébration officielle du cinquantenaire de leur libération.

     

    "Un Président absent mais dont l’ombre est devenue trop pesante".

     

    Il faut dire que depuis quelques années, la tradition festive s’était effilochée et que le cœur n’y était plus vraiment. Mais là, d’aucuns pensaient que l’occasion était trop belle pour le régime pour entonner encore une fois la musique de la "famille révolutionnaire" dans un décor grandiose.

     

    Mais voilà, à part les tonnes de pétards et l’importation des artistes à coup de milliards, rien, mais alors rien de notable ne fut proposé aux Algériennes et Algériens pour vivifier en eux ne serait-ce qu’une mémoire saine des heures de gloire de la libération. Tout s’est passé comme si que ce régime voulait juste faire semblant de fêter une date mais en en évitant absolument que les jeunes générations apprennent un peu de leur histoire. Car le moment n’est pas propice à l’encensement des "révolutions". Cela devient trop risqué.

     

    Alors, en dehors d’un faux-semblant, nul acte concret pour commémorer l’indépendance du pays. Pour le pouvoir, il faut laisser tout cela refroidir". Les sentiments nationalistes et révolutionnaires doivent mourir de leur belle mort. Ceux qui dirigent ce pays veulent la tranquillité pour eux. Alors ils enseignent au pays l’indifférence, premier stade de l’oubli. Que chacun vaque à son vide, pense à sa survie et laisse tomber tout le reste, c'est-à-dire, tout sentiment qui transcende l’individu et le fait adhérer à sa communauté. Ainsi, le pays pourra être distribué morceau par morceau, aux prédateurs et aux prévaricateurs sans que personne ne pose de questions.

     

    Le comportement du pouvoir est tout simplement irresponsable. Son égoïsme est tel qu’il organise lui-même la défaite morale du pays.

     

    En réalité, il n’y a plus de morale publique, ni de morale tout court. A force de mensonges, de fausses promesses, de scandales, de trafic des voix, de répressions de la vertu et d’encouragement du vice, l’Algérie est arrivée cahin caha à cette date fatidique du 50ème anniversaire dans un piteux état.

     

    Ah ? Cinquante années d’indépendance !? Un demi-siècle déjà !?

     

    Mais qu’avons-nous fait de ces cinquante ans ? Et que reste-t-il de Novembre ?

     

    Comme chacun le sait, la nation algérienne s’est construite sur les fonds baptismaux de la révolution. Désormais, mythe fondateur, le 1er Novembre constitue pour l’essentiel le capital symbolique national. Ce capital symbolique est le véritable patrimoine historique, la couronne royale qui doit être transmise de génération en génération pour protéger la mémoire de la souveraineté nationale, de l’identité du peuple, de son indépendance, de son territoire.

     

    Nul doute que le précieux capital aurait dû faire l’objet des attentions ultimes de ceux qui se proclament de cette même génération de Novembre. Cela devait être leur raison existentielle.

     

    Depuis 1962, les pouvoirs successifs et néanmoins semblables ont toujours justifié leur choix, leurs politiques, leurs légitimité en s’ornant des oripeaux de la révolution. Mais voilà, 50 ans après, ceux qui dirigent le pays ont tout dépensé. Ils ont consumé le capital symbolique de la nation. Ils s’en sont servis comme d’une somme d’argent qui leur a été léguée, ou pire, qu’ils avaient gagné au loto. Ils ont dépensé ce trésor national, ce patrimoine indivisible appartenant à tous les Algériens d’hier, d’aujourd’hui et de demain, comme ils l’ont voulu.

     

    Depuis longtemps déjà, les Algériens étaient fatigués d’entendre leurs dirigeants leur parler hypocritement de la révolution, des chouhadas, des moudjahidines et des ayants-droit. Mais apparemment ils étaient encore loin du compte. Depuis plusieurs années, le comportement de l’Etat en général vis-à-vis des citoyens transmet le message suivant : le 1er Novembre n’est qu’un alibi pour que nous restions au pouvoir ! Et si pour cela il faut consommer tout le capital symbolique de la nation, nous le ferons.

     

    Ces gens ont pris sciemment le risque que demain, les jeunes générations confondent entre valeurs du 1er Novembre et non valeurs du FLN actuel, entre l’imposture d’aujourd’hui et le combat d’hier, entre les fausses convictions actuelles et le patriotisme d’hier. Voilà où se niche le plus grand danger ! Lorsqu’on fait l’amalgame du scandaleux 10 mai avec le sacré 1er Novembre ne sommes-nous pas sur cette pente ?

     

    En fait, l’Algérie ne cesse de surprendre, d’étonner, d’inquiéter et de se morfondre… Pour les observateurs, les plus avertis, elle entre trop difficilement dans les grilles de lecture habituellement si commode pour identifier, cerner et classer un pays. Le pouvoir a tellement brouillé les éléments de base qui fondent une lecture politique classique qu’elle est devenue incompréhensible. Toutes les sciences prédictives réunies semblent incapables de déceler la moindre logique de conduite

     

    Comme une entité erratique, le pays donne cette impression de déconnexion totale du monde environnant, d’être détaché des règles et des normes universelles, flottant dans un espace sans références. Plus personne ne semble conduire ce vaisseau spatial perdu dans l’immensité du vide et de l’apesanteur.

     

    Personne ne sait si l’Algérie est un pays dictatorial, démocratique, populiste ou tout à la fois ou alors rien à la fois ! Personne n’arrive à se faire une idée précise si notre gouvernance est le résultat d’une volonté ou au contraire de son absence ; à savoir si nos dirigeants sont de ce monde-ci ou alors s’ils appartiennent à un univers d’ailleurs…

     

    Un Président absent mais dont l’ombre est devenue trop pesante, un parti historique abîmé, déchiqueté et perverti, une assemblée mal-élue et inutile, un gouvernement sans gouvernail, une opposition historique qui, à force d’appeler au nihilisme est devenue subitement victime d’elle-même… toutes les règles s’anéantissent, tout semble partir en fumée… la débandade se généralise.

     

    L’Etat est devenu un puissant et inusable générateur de désordre…

     

    Soufiane Djilali
    Président de Jil Jadid
    jiljadid@ymail.com

  • La trahison de l’Algérie : un congrès de trop

     

    Par Le Matin DZ

     

    "Il serait possible de vivre presque sans se souvenir, il est impossible de vivre sans oublier." Nietzsche

     

    Lieu du congrès de la Soummam

     

    Un individu qui mène une vie aléatoire et scabreuse pendant un demi-siècle, s’il veut reprendre le dessus et changer en vue d’une existence plus sérieuse, il lui faut, quand il atteint le stade où il reconnaît que sa vie est un désastre, le bilan est nécessaire pour sérier l’origine de ses malheurs. Il en va de même pour une famille ou une tribu qui n’aurait pas su respecter les critères rationnels propres à la définition saine de tout groupe aspirant à la prospérité dans laquelle chacun des membres accomplit avec entrain et dignité son rôle, avant de décider de changer sa façon de réfléchir et de se de comporter, eh bien, un entendement parmi les moins sophistiqués lui indique qu’elle doit commencer par faire nécessairement le bilan de ses malheurs. De voir quelles sont les premières urgences à prendre en charge pour espérer pouvoir s’inscrire dans le sillage des groupes humains respectant les charges respectives, au premier lieu les chefs, ceux qui décident pour l’ensemble.

     

    Pour la gloire de l’Etat-rente

     

    Mais que peut-il en être de tout un pays, de tout un Etat ? Lorsque les chefs justement – arrivés au pouvoir par l’héritage de la force - reconnaissant, au bout du compte, que la gestion des affaires depuis 1962 a abouti au fiasco national, inauguré par leurs prédécesseurs et clôturé par leur soin, ils tiennent quand même ferme le souci de commémorer un cinquantenaire d’indépendance au mépris des citoyens et des citoyennes qui ont survécu à tous les malheurs, sinon les pires, des bricolages politiques, économiques et socioculturels depuis très longtemps restés impunis, mais qui ne perdent jamais l’espoir d’un bilan national, cette fois qui ferait la synthèse de tout ce qui a permis au régime, en permanence décrié par les populations, d’imposer son diktat sur des bases exclusives, d’abord par le contrôle oligarchique de la puissance militaire, ensuite par la main basse sur les richesses énergétiques pour conforter la première et asseoir une administration puisée dans de fausses valeurs idéologiques chargées du circuit de la rente.

     

    Beaucoup de futurs économistes en herbe se sont amusés à calculer les déperditions en richesses monétaires depuis la nationalisation des hydrocarbures et les plus sévères parmi eux n’hésitent pas à avancer le chiffre de dizaines de milliards de dollars. Possible, pourraient acquiescer des esprits à l’écoute du flou dans les comptabilités des recettes en hydrocarbures, surtout en gaz, dont, entre parenthèse, la gestion est la plus sombre nébuleuse qui soit dans les écritures nationales.

     

    La pensée nationale dans la traîtrise

     

    De jeunes penseurs aussi, qui se sont laissé avoir par l’Université algérienne mais qui se rabattent sur celles du monde des idées cohérentes grâce au prodige des nouvelles techniques de la communication, dont particulièrement la Toile, lisent-ils aujourd’hui comme sur le visage d’un bébé la grimace de la risette due à l’inévitable urination dans les couches, toutes les incompétences alignées, superposées, cumulées, brassées, entremêlées, décomposées, recomposées, dénommées, reformulées, et cetera, que le système a épuisé depuis l’attaque à main armée sur la dignité nationale à la veille du sinistre congrès de Tripoli, dont, s’il faut faire confiance au vieux proverbe qui dit «n’écoute pas celui qui te fait rire mais l’autre qui te fait pleurer», les Algériens et les Algériennes qui aiment comprendre leur pays doivent en faire la principale salvatrice commémoration.

     

    Car c’est l’évènement qui aura prouvé à la nation meurtrie qu’elle peut aussi se faire trahir gravement par les siens. Les siens dans les mains desquels elle a cru les clés de l’honneur de l’Algérie en endroit sûr. C’est pourquoi il serait légitime de considérer le la réunion de Tripoli, loin de la capitale, le lieu et l’enjeu de toutes les véritables préoccupations patriotiques, comme le plus grand évènement-leçon à graver dans une table d’airain pour les générations à venir. Qu’on est tenté de comparer avec le Haut Comité d’Etat qui a confisqué le pouvoir au «démissionnement» de Chadli Bendjedid à la suite de l’interruption du premier processus électoral important libre organisé en Algérie, et ramené de son exil l’un des pères fondateurs de la lutte pour l’indépendance nationale pour sauver la nation quelques mois avant de l’assassiner de la manière la plus abjecte et spectaculaire. Une scène dans le paroxysme de l’horreur où le monde entier regarde en direct à la télévision un chef d’Etat héros national exécuté en train de dire des promesses à sa nation.

     

    De la dignité

     

    Les Algériens et les Algériennes, dans leur écrasante majorité, dès la clôture du Congrès de la Soummam, cette quasi-mythique rencontre fondatrice, parce qu’il a su donner une définition honorable à l’Algérie, tellement grandiose, fort de sa puissance libératrice rétablissant les dignités, invitant au rassemblement, à la fraternité, aux meilleures chances pour la réappropriation de la justice dans le combat pour l’identité et l’édification de l’individu et de la communauté, se sont vite nourris de son message clair et ferme comme la roche du Djurdjura, des Aurès, du Ouarsenis ou de l’Atlas blidéen.

     

    Grâce à lui, maints citoyens, pour leur bonheur propre, bien intégrés dans le schéma colonial, n’ont pas hésité à rejoindre les camps patriotiques de la revendication indépendantiste telle que prônée par les textes de la Soummam. Mais beaucoup parmi eux, informés des scélérates manigances ayant eu lieu aux assises de Tripoli en juin 62, n’ont pas attendu le 5 juillet pour prendre leur distance vis-à-vis du sabordage de la Révolution, par le double biais des armées des frontières et des aventuriers civiles qui se liguent avec elles dans la recolonisation de la capitale. D’aucuns se furent même improvisés harkis une fois débarqués dans les ports français afin de bénéficier de quelque traitement de faveur de la part de l’ancien colonisateur.

     

    L’Algérie du butin

     

    A cette époque, l’Algérie était analphabète et les flibustiers qui ont pris les rênes de son devenir n’étaient pas vraiment le contraire. Ils se sont mis, de but en blanc, dans la tête de considérer leur pays – le même que celui de leurs concitoyens - comme un butin et leur programme politique était, et le sera toujours, ni plus ni moins la gestion de l’Algérie comme tel. Dès lors les ordres de mérite ne sont pas l’accaparation des patrimoines de savoir et de connaissance abandonnés sur place par l’occupant et ses condescendances, pour l’exemple ordinaire, dans le domaine de l’agriculture, de la manufacture ou des services domestiques mais la rafle tous azimuts sur les biens matériels.

     

    Le bilan ? Il ne lui faut pas toute une bibliothèque d’analyses châtiées pour le dire. Globalement l’Algérie, cinquante ans après le recouvrement de l’indépendance, est un Etat qui n’a pour arguments de consistance que les éléments de l’Armée et de la police d’un côté et les revenus des produits du sous-sol saharien qui lui donnent les moyens de transparaître solvable sur la scène de l’organisation du monde en Etats distincts, de l’autre. Dans le détail, un enfant algérien de la majorité populaire, mâle ou femelle, grandit sans nul ressort patriotique, sous alimenté et voguant dans les entrelacs d’une école abrutissante, il a la hantise de dépasser l’adolescence car il regarde autour de lui des adultes morts vivants dont il veut, coûte que coûte, ne pas ressembler. Ses perspectives d’avenir ne sont pas le diplôme le qualifiant quelque part dans la société mais une obtention de visa pour un pays occidental qui puise l’étoffer d’une dignité.

     

    Le prochain demi-siècle

     

    La dignité, le maître mot. Ceux et celles qui ont le haut-le-cœur pour «ce» cinquantenaire, ils sont justement malheureux pour la dignité de cette commémoration qui aura été à contresens des aspirations les plus légitimes et saines. Depuis le 19 mars 1962 l’Algérie est malade de ses chefs. Qui ne se résolvent jamais à vouloir s’inscrire par rapport aux populations dans le sens de la dignité. De tous les assassinats politiques qui ont émaillé le demi siècle de l’Algérie indépendante, de mémoire de rescapés du Congrès de Tripoli, personne n’a entendu parler d’un responsable dans l’entourage des décideurs ayant démissionné pour cela. Encore moins pour les « grands projets d’édification » qui ont réussi à étaler des ruines sur d’autres. Tandis que les responsables de l’exécution de Abane, Khemisti, Krim , Khider, Boudiaf et tant d’autres – impliqués d’une manière ou d’une autre – se font écrire des livres pour intervenir tels des historiographes, pendant que les témoins patriotes sont calomniés par des scribes payés rubis sur ongle.

     

    Mais qui parle aujourd’hui du prochain demi-siècle ? Le dernier des citoyens cancres n’ignore pas qu’il sera sans manne gazopétrlière et sans légitimité historique d’aucune sorte. La guère telle que prophétisée par Thomas Hobbes, lorsque la souveraineté légitime n’a pas droit cité ? Ce sont les générations de celle dont appartient celui qui nous écrit dans ce site qu’il avait dix ans à la mort de Boudiaf qui doive concourir corps et âme pour que ce ne soit pas le cas.

     

    Nadir Bacha

  • « Si ce pouvoir pouvait faire sauter la date du 5 Octobre du calendrier… »

    image

    Aujourd’hui, vingt-deux ans après, Azouaou, amputé de son bras gauche jusqu’à l’épaule et membre de l’Association des victimes d’octobre 1988 (AVO88), reviendra sur les lieux du drame et déposera une gerbe de fleurs à la mémoire des chouhadas d’octobre 88, et tout particulièrement, les 39 victimes tombées ce jour-là. « Moi je revendique un statut particulier pour les victimes d’Octobre en tant que victimes d’une bavure d’Etat et non pas d’un « accident de travail » comme on nous désigne honteusement », expliquera-t-il pour la vingt-deuxième fois. « C’est ici que je suis tombé » se remémorera-t-il pour la vingt-deuxième fois, en montrant du chef un portail vert attenant au lycée Emir Abdelkader. « Voyez ce mur : il y a encore les impacts de balles qui témoignent de la boucherie. Ce mur-là par contre a été recouvert de ciment pour effacer les stigmates des automitrailleuses » poursuit notre ami avec émotion. « Si ce pouvoir pouvait faire sauter la date du 5 Octobre du calendrier, il le ferait. Il fait tout pour effacer cette date, effacer ce qui lui est resté comme une tache noire », lâche Azouaou. « Nos mutilations sont considérées comme ‘’accident de travail’’. Accident de travail pour des gamins qui n’avait pas 18 ans à l’époque, ou même pour des enfants en bas âge touchés par des balles perdues. Accident de travail ! » dit Azouaou. Et ces centaines de jeunes qui ont subi la torture ? « Eux, ils n’ont rien. Alors là... », répond le président d’AVO88. « Depuis 1989, on a interpellé les gouvernements successifs, l’APN, les groupes parlementaires, nous avons déposé des mémorandums, des demandes...Nous voulons un statut », dit Azouaou. « Il faudrait bien que l’histoire condamne Lakhal Ayat (chef des services spéciaux militaires), Larbi Belkhir (directeur de cabinet du président Chadli), Khaled Nezzar et Hadi Lekhdiri (ministre de l’Intérieur) à divulguer les détails de ce qui s’était passé, surtout en ce qui concerne la torture », ajoute Azouaou qui préfère commémorer cet événement dans le deuil, seul. « Mais je salue RAJ (Rassemblement Action Jeunesse) qui dépose chaque année une gerbe à la Place des martyrs », dit Azouaou. 

    En 1990, le Parlement FLN décide de classer les victimes d'octobre 1988 sous la rubrique « accident de travail » au même moment que les députés du parti inique décrètent, déjà à l'époque, l'amnistie. En février 1989, les victimes et leurs proches se fédèrent dans une association, AVO 88, dont Azouou est membre du bureau. L'autorité rechigne à agréer l'association avant de proposer une proposition de statut : victimes de catastrophe naturelle ! Comme si les rafales de kalachnikovs fauchant des jeunes désarmés et les centres de torture étaient aussi naturels que les séismes ou les inondations. « C'est l'indécence même », dit Azouaou qui explique que les victimes ont refusé la proposition. Mais l'agrément est octroyé ensuite par défaut de statut. Est-ce un hasard également que les victimes du terrorisme et les proches de disparus n'ont ni statut ni associations agréées ' « Depuis 1989, nous n'avons pas arrêté : à chaque anniversaire d'Octobre nous avons interpellé tous les gouvernements, la présidence de la République, les groupes parlementaires. Sans la moindre réponse. » « En 1990 quelqu'un a daigné nous recevoir à la présidence de la République' habillé en survêtement. » Seule deux personnalités ont promis des avancées : Rabah Bitat, en 1989 alors président de l'APN et le regretté président Mohamed Boudiaf en 1992. Or, le premier a quitté son poste, le second, lui, a été assassiné. AVO 88 reste ainsi sans budget, ses membres sans statut et souvent sans espoir. L’espoir au fond d'un tonneau Sans espoir' et plein d'amertume. En colère. « En colère contre ces Betchine (ancien patron de la Sécurité de l'armée), ces Hichem Abboud (capitaine à l'époque de la Sécurité militaire, opposant à l'étranger) qui veulent se racheter une virginité alors qu'ils savaient qu'on tuait et qu'on torturait ! », explose Azouaou. Dans la foulée, il parle des crimes d'Octobre commis sous le règne de l'ancien président Chadli, Larbi Belkhir, Khaled Nezzar, le chargé du « maintien de l'ordre », Hadi Lekhdiri, le ministre de l'Intérieur, Mouloud Hamrouche, chef de file des réformateurs' « Il faudra préciser les responsabilités, parler de ces héritiers de Aussaress qui ont torturé en octobre, parler des voitures banalisées avec des tireurs anonymes à bord ciblant la foule' Il faut que les historiens ouvrent ces dossiers. »

     L'oubli est devenu le pire ennemi de Azouaou. « J'espère que le président Bouteflika se rappelle qu'il était signataire de la "motion des 18" », glisse-t-il. Publiée le 23 octobre 1988 et signée par dix-huit importantes personnalités politiques ' Mostefa Lachref, Lakhdar Bentobbal, Ali Haroun, Rédha Malek, etc. ' la déclaration fustigeait ouvertement la torture pratiquée durant et après la révolte d'Octobre et appelait à la fin d'une « légitimité historique qui s'est épuisée au fil des ans ». Fin 2005, lors de la campagne pour le référendum sur la charte pour la paix et la réconciliation nationale, Abdelaziz Bouteflika répétait que, en octobre 1988, « le peuple a été sorti », poussé dans des émeutes. Ça ne fait pas du tout sourire Azouaou. « Ils remettent en cause tous les acquis d'Octobre, il ne reste que la presse indépendante. C'est tout », soupire Azouaou en reposant sa tasse de café. En ce vingtième anniversaire, il compte se rendre à la place des Martyrs, non loin de là où son bras a été déchiqueté, avec l'association Rassemblement action jeunesses ' comme chaque année ' pour déposer une gerbe de fleurs à la mémoire des 500 morts, des blessés, des torturés, des disparus. Il veut perpétuer la mémoire. Le combat est de plus en plus vital. « La situation des droits de l'homme chez nous est la même depuis 20 ans, ce sont juste les méthodes qui ont un peu changé. »

     

    L.M.