source:http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/faut-il-defendre-l-algerie-105160
En tenaille par l'OTAN, des Arabes occidentalisés et des Islamistes
Tunisie en octobre, Maroc en ce mois de novembre... Que devient l'Algérie ? Après l’analyse pertinente de Roger Vétillard « Les Algériens sont-ils condamnés à émigrer ? », publiée ici-même et qui se terminait par la proposition, étonnante, d’une quasi-suppression du visa français pour les Algériens, il importe de revenir sur la situation internationale de ce pays et d’insister sur l’encerclement stratégique en cours.
La frontière avec la Libye, longue de 2 000 km, est déjà fermée depuis que Safia Kadhafi, accompagnée de Mohammed, Hannibal et Aïcha, les moins influents des descendants de Mouammar Kadhafi, ont franchi la frontière, le lundi 29 août à 8h45. Les relations algériennes avec le Conseil National de Transition et les révolutionnaires libyens sont exécrables.
Pendant l’insurrection, l’Algérie avait fourni des armes et des combattants mercenaires aux forces pro-kadhafistes, (acheminement nocturne, par bateaux ou vols aériens) et elle a voté avec le Soudan, la Syrie et le Yémen contre le soutien de la Ligue arabe à la résolution 1973 du Conseil de sécurité de l’ONU, qui avait ouvert la porte à l’opération aérienne de l’Otan. Le CNT s’en souvient et s’en souviendra.
En fait, l’Algérie a immédiatement pris l’ampleur de l’enjeu de l’intervention de soutien à la révolution libyenne : pour la première fois, l’Otan sortait de sa zone d’action habituelle et intervenait au Sud de la Méditerranée. L’Union pour la Méditerranée n’ayant pu se faire par le soft power et la puissance diplomatique, les Occidentaux, et parmi eux les Français, l’imposaient, en quelque sorte, par la force.
Une aide discrète à Kadhafi pour barrer la route à l'américanisation
C’est cette prise de conscience géopolitique, qui amena l’Algérie, depuis le début du soulèvement libyen, a prêter assistance au Colonel Kadhafi que, jusqu’alors, pourtant, elle n’appréciait pas. Le soutien de Kadhafi aux rébellions touarègues du Mali et du Niger, ses ingérences dans le Grand Sud algérien et ses interventions pro-Polisario dans le dossier du Sahara occidental mettaient, en effet, auparavant, régulièrement en colère les généraux algériens.
La presse occidentale, pour évoquer et dénoncer le soutien de l’Algérie à la Libye, joua, depuis le début, la corde facile de la solidarité des dictatures entre elles, sans relever l’incongruité de la position algérienne qui, comme nous venons de le faire remarquer, était autrefois anti-kadhafiste. En amalgamant les dictatures entre elles, la presse française occulte le véritable événement : la nouveauté d’une intervention militaire de l’Otan en Afrique du Nord, à l’extérieur de sa zone d’influence.
Du coup, elle ne relève pas que cela change, forcément, toute la donne en Méditerranée, que cela transforme, nécessairement, toutes les relations diplomatiques entre les pays européens et l’Afrique du Nord, relations qui jusqu’alors se voulaient cordiales, civilisées et pacifiques et dont on n’imaginait pas qu’elles puissent un jour se finir par des bombardements nourris à l’uranium appauvri.
L’Algérie est prise entre le marteau et l’enclume. D’un côté, elle est menacée par les Islamistes du CNT et s’inquiète, de fait, à l’idée d’un mouvement démocratique de sa jeunesse à la Tunisienne ; de l’autre, elle reste paralysée, diplomatiquement, par les luttes de clan en vue de la succession du président Abdelaziz Bouteflika. Le pays est tenu par la répression, la censure et la pauvreté organisée mais cela n’a pas empêché l’Algérie de connaître, cet été, un spectaculaire attentat, peu relevé d’ailleurs car en pleine bataille de Tripoli.
Quel jeu joue la France ?
Cet attentat, contre l’Académie Militaire de Cherchell, qui a causé la mort de seize officiers et de deux civils, confirme pourtant la renaissance certaine d’un djihadisme clandestin. Il fut revendiqué par un communiqué d’Al Qaeda au Maghreb islamique (l’Aqmi) qui justifia l’attaque par « les soutiens d’Alger au régime Kadhafi ». Au passage, on remarquera l’imbroglio « oriental » pour la diplomatie française : elle soutient l’Algérie et en même temps, le CNT, négocie avec l’AQMI, allié du CNT, pour la libération de ses otages !
Des informations fiables ont fait état de livraisons d’armes lourdes, depuis la Libye, vers les combattants d’AQMI, installés au nord du Mali, près de la frontière algérienne. Des armes françaises ; peut-être, celles-là mêmes qui servaient à « libérer » la Libye ! On comprend, dès lors ,que l’Algérie n’a pas de quoi être très rassurée, sans compter que des centaines de combattants touaregs de Kadhafi rentrent, au Sud, sous leurs toiles de tente pour un repos du guerrier, à notre avis, très éphémère et que, pendant l’insurrection et la guerre civile libyenne, il y a eu l’émergence d’une extrême politisation des Berbères.
En somme, d’un côté, pour l’Algérie, il y a l’Otan en Libye, les Islamistes « modérés » en Tunisie et de l’autre, l’armée française présente en Mauritanie pour lutter contre l’Aqmi. L’Algérie a bien le droit de se sentir assiégée. Il suffirait d’une déstabilisation intérieure minime pour que tout craque. Mais jusqu’alors, les services secrets américains et français ne semblent pas l’avoir décidé et, officiellement, la politique étrangère algérienne a tenu ferme, arguant de son principe de « neutralité » et de « non ingérence » dans les affaires intérieures des pays voisins.
Que ce soit la Tunisie ou la Libye, même si Sadeck Bouguetaya, député et membre du comité central du FLN, l’ancien parti unique algérien, dépêché à Tripoli pour représenter l’Algérie à une réunion de soutien des chefs de tribu à Kadhafi, s’était livré à un vibrant éloge du guide libyen et à une diatribe enflammée contre son opposition, traitée de « pion des Occidentaux ». Ce jour là, il n’acheva pas son discours par un pieux « Allah Akbar », mais par un surprenant « que Dieu maudisse la démocratie ! ». L’Algérie s’inquiète aussi des visées économiques et idéologiques du Qatar. L’émirat a financé les rebelles libyens islamistes par milliers de dollars et a largué des armes aux rebelles berbères du djebel Nefoussa.
En résumé, on peut dire que, vis-à-vis de l’Algérie, aurait primé, jusqu’alors, que ce soit de la part de la France ou des Etats-Unis, une stratégie d’évitement. Mais, dans le même temps, l’évolution des combats, sur le terrain, les transferts d’armes et de combattants, les bakchich onéreux, très souvent négociés, avec les tribus dans le désert font que l’Algérie se retrouve bien comme assiégée sur ses frontières et encerclée de trahisons multiples.
Du côté du Maroc, enfin, les réformes annoncées par le roi ne sont guère plus rassurantes pour le régime en place, car elles indiquent une capacité d’ouverture et de modernisation dont l’Algérie semble bien incapable, sans réels déchirements internes.
Un verrou à la globalisation à faire sauter ?
Nonobstant, pour les Occidentaux et en déployant simplement une carte, l’Algérie se présente comme l’ultime verrou à faire sauter pour « globaliser », « mondialiser », recoloniser (nous pouvons presque user du terme !) cette partie du monde.
A Alger, ce n’est un secret pour personne que l’Ambassade des Etats-Unis a, maintenant, presque plus de poids que l’Ambassade de France. Alors une question se pose : les Etats-Unis conserveront-ils ce dinosaure en Afrique du Nord, un peu comme la junte birmane, en Asie, garantit les prospections pétrolifères et verrouille le passage entre l’Inde, la Chine et la Thaïlande ?
Mais, effectivement, comment réussir à tenir la jeunesse algérienne, sinon en favorisant son immigration vers la France et en imposant à celle-ci une plus grande souplesse dans sa politique des visas ?
Intérieurement, la victoire des Islamistes à Tunis, la charia à Tripoli, vont permettre à Alger de jouer, un temps, sur la corde sensible du nationalisme algérien. L’Algérie dénoncera l’intervention occidentale et fera peur aux Algériens, en assimilant tout changement au chaos et à Al-Qaeda. Mais pour combien de temps ? Le temps, peut-être, que durent les commémorations du cinquantenaire de l’Indépendance, en présence, n’en doutons-pas, d’un François Hollande tout ému. Un François Hollande qui, durant toute sa carrière, a soutenu, sans faille dans ses discours, le FLN algérien.
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