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assasiné

  • Le 16 janvier 1992, Boudiaf revenait en Algérie...

     

    Par |

     

     
    Mohamed Boudiaf à son retour en Algérie;

     

    "Je déteste les victimes quand elles respectent les bourreaux". Jean-Paul Sartre

     

    Il y a vingt ans, le 16 janvier 1992, la jeunesse algérienne découvrait Mohamed Boudiaf. Elle venait de le découvrir parce que l’adjudant et le colonel qui ont successivement présidé aux destinées de l’Algérie, dès l’indépendance confisquée en 1962, ont tout fait pour que le nom de Boudiaf ne soit jamais connu, ni à l’école sinistrée, ni à l’unique télévision du système, ni dans la presse, limitée alors à deux titres.

     

    Ainsi, dès 1962, le système qui avait pris la précaution d’assassiner d’abord Abane Ramdane en 1957, a déployé alors son jeu dans l’objectif  de faire de l’Algérien un borné, un barbare et un fanatique:

     

    1/ Borné, en lui inculquant le "principe" que sa culture est seulement arabo-musulmane. L’Algérien est ainsi amputé de sa dimension culturelle berbère naturelle. Mais Mohamed Boudiaf, dès son retour, est alors le premier chef d’Etat algérien, à rappeler officiellement que la personnalité de l’Algérien tient de l’amazighité, l’islamité et l’arabité.

     

    2/ Barbare. Dans la société la plus barbare, il arrive qu’on abatte un arbre pour cueillir ses fruits. Mais, dans l’Algérie indépendante, c’est Boudiaf qui a été  abattu parce qu’il a refusé qu’on abatte l’arbre Algérie pour cueillir ses fruits. Il le paye de sa vie parce qu’il a martelé la mafia politico-financière par son slogan, «l’Algérie avant tout».

     

    3/ Fanatique. Voltaire a parfaitement raison de dire que "celui qui soutient sa folie par le meurtre est fanatique". Est-ce la folie qui s’est emparée alors du système pour lâchement assassiner Boudiaf, maquiller son assassinat en "acte isolé" et soutenir sa folie par le meurtre. Le système devient alors le pire des fanatiques. 

     

    Devant cette ambiance de trahison généralisée par le silence, cette pensée de J.P. Sartre : "Je déteste les victimes quand elles respectent les bourreaux", me conforte dans mon combat d’interpeller toutes les consciences et particulièrement  Messieurs Ali Haroun, Ahmed Djebar et Khaled Nezzar. Ces trois personnalités ont été très proches de Boudiaf pendant sa mission à la tête de l’Etat. Ils ont joué un rôle fondamental dans son retour en Algérie. De par la position qu’occupait chacun de ces Messieurs, au moment de "l’acte isolé", soit ils étaient en position de connaître ses bourreaux, soit en position de ne pas les connaître. S’ils ne les connaissent pas, de qui ont-ils peur de demander la réouverture du dossier et de l’enquête. S’ils se taisent  et donc  connaissent les bourreaux,  alors ils deviennent eux-mêmes bourreaux, et donc pas respectables. 

     

    Messieurs Haroun, Djebar et Nezzar, il y a un  adage qui veut tout simplement dire que devant une situation complexe, "on est partie du problème, ou partie de la solution". L’assassinat de Boudiaf est un sérieux problème. Boudiaf était-il aussi fort physiquement pour nécessiter toute une rafale alors qu’eu égard à son âge et sa santé précaire, une seule balle lui aurait suffi. C’est là où se situe le problème, votre problème. Car en fait, une seule balle était destinée au Président du Haut Comité d’Etat qui commençait à déranger le système. Alors tout le reste des balles du chargeur, voire des chargeurs, n’était pas destiné à la victime de «l’acte isolé» mais à toute personne qui s’imaginait facile de toucher là où Boudiaf a mis le doigt et a commencé à faire mal au système. J’aurais voulu que le ministre de l’Intérieur de l’époque, feu Larbi Belkheir et d’autres responsables de la Sécurité de l’Etat, qui ne sont plus de ce monde, soient aujourd’hui à vos côtés pour répondre à cet adage. Mais ils sont là où aucune pétition ne peut les sauver, ni les soustraire à la justice divine. Avec la justice divine, il n’y a ni faux procès ni "acte isolé".

     

    Je vous laisse, cependant, toute la latitude de répondre publiquement à cet adage, à cette manière de présenter le mal qui ne cesse de me torturer depuis que j’ai compté le nombre de balle dans le crâne, le dos et même le thorax de mon père.

     

    Soit ! Boudiaf est mort. L’arbre de novembre a été abattu en juin, mois de sa naissance. Le peuple algérien a été empêché de goûter aux fruits que Boudiaf lui préparait depuis 1947. Mais en mai prochain, en plein printemps, l’Algérien est appelé à choisir de nouveaux représentants à l’Assemblée nationale. Le système est perplexe et sclérosé. Soit il laisse les choses se passer normalement et alors là le printemps va bourgeonner de fruits qui ne seront pas du goût du système, quel que soit le goût de ces fruits. Soit, il arrêtera une nouvelle fois le cycle de bourgeonnement et là, l’Algérie manquera pour la énième fois son rendez-vous avec le printemps. Le printemps berbère a été cruellement étouffé dans le sang, comme l’a été Boudiaf. Qu’en sera-t-il du printemps algérien ? Qu’en sera-t-il du système qui n’a plus de Boudiaf à aller tirer de son exil ?

     

    La vérité sur "l’acte isolé" ne me rendra pas mon père, ne rendra pas le Président du Haut Comité d’Etat à l’Etat. Mais incontestablement, la vérité rendra un peu d’espoir ; espoir au futur chef de l’Etat de ne pas finir comme a fini l’homme de Novembre ; espoir aux jeunes soldats de ne pas avoir, dans l’avenir, à recevoir des ordres d’exécuter un homme honnête comme Boudiaf alors que les criminels courent les rues ; espoir enfin à tout le peuple que l’impunité a une fin, comme toute chose dans la vie.

     

    Par ailleurs, on a été informé, il y a quelques jours de la nomination de M. Abdelmalek Sayah, à la tête de l’Office de la lutte contre la corruption. L’intéressé n’est autre que le procureur général du procès qui pense avoir sauvé le système en qualifiant l’assassinat de Boudiaf d’"acte isolé". Le peuple est alors édifié. Toutes les affaires de corruption dont  il a entendu parler seront qualifiées "d’actes isolés". C’est dire que le printemps de la lutte contre la corruption n’a pas encore entamé la saison de commencer à bourgeonner.

     

    En ce qui me concerne, le dernier mot prononcé par mon père a été "l’Islam". Pour les croyants, les vrais, c’est là un signe de bon augure annonçant que Boudiaf est parmi les chouhadas au Paradis. Quel sera le dernier mot prononcé par les hommes  du système ?  A eux de le dire au peuple. Pour moi : c’est le mot : vérité.

     

    Nacer Boudiaf