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  • Algerie:Questions autour d’un livre

     

    Quel est le seul livre à avoir écrit un président algérien ? Non, pardon, quel est le seul président algérien à avoir écrit un livre ? C’est le défunt Chadli Bendjedid, même s’il ne l’a pas vraiment écrit mais dicté. C’est quand même un livre émanant de sa pensée, profonde ou pas. Quel est le président algérien qui lit ou lisait le plus de livres ? Grande question. Combien de présidents algériens lisent-ils des livres ? Grosse interrogation. Combien de présidents algériens vont-ils lire le seul livre d’un Président algérien ? Là c’est déjà plus facile, comme il n’en reste qu’un, tous étant morts de vieillesse, de maladie ou d’assassinat, c’est lui qui va le lire.

    Mais il l’aura probablement déjà lu, avant tout le monde, avant peut-être même son auteur, ne serait-ce que pour voir s’il est dedans, en tout cas pour voir ce qu’il y a dedans. Quand il était vivant, le défunt Président auteur avait-il pensé à dédicacer un exemplaire de son livre au seul Président encore vivant et donc seul Président potentiellement lecteur ? Grande question. Mais il aura certainement pensé à ne pas égratigner l’actuel Président pour la simple raison qu’il est Président et bien vivant.

    Un livre peut-il mourir ? En théorie non, ou alors par l’usure du temps, par le jaunissement et pourrissement des feuilles qui peuvent mourir comme des feuilles mortes, des vraies. Mais en pratique, on peut interdire un livre, ce qui équivaut à une mort. Sauf que ce livre n’est pas interdit et ne le sera pas, parce qu’il n’y a rien d’interdit dedans, tout le monde le sait, même ceux qui ne l’ont pas lu. D’ailleurs, au dernier Salon du livre d’Alger où le livre de Chadli devait sortir, l’actuel Président a demandé si les jeunes lisaient. On aurait pu lui demander si les vieux écrivaient. Non. Lire ? Quoi ? Des livres de Présidents ? Il n’y en a qu’un, tout le monde l’a lu et il n’est même pas encore sorti.

     

    Chawki Amari
  • La dernière fois que Bouteflika a rencontré Boudiaf...

     

    Par Le Matin DZ |

    Historiquement, Abdelaziz Bouteflika a toujours été présent dans les épisodes où le pouvoir civil a dû céder du terrain au pouvoir militaire. Il est l’homme lige auquel les chefs militaires ont fréquemment dû avoir recours pour concevoir, puis mener et, enfin, expliquer et légitimer des pronunciamientos qu’ils soient directs ou maquillés. Il eut souvent une conception plus militaire des événements que les militaires eux-mêmes.

    Sa première grande mission réussie au bénéfice des militaires date de décembre 1961. L’indépendance de l’Algérie devenait imminente et le débat sur le futur Etat algérien s’installait alors avec la passion et les calculs qu’on devine. Pouvoir civil ou militaire ? L’interrogation divisait l’état-major général de l’ALN, dirigé par le colonel Houari Boumediène et le Gouvernement provisoire de Benyoucef Benkhedda. Pouvoir civil ou militaire ?
    Le mieux, estiment les chefs de l’Armée, serait encore d’ériger un chef d’Etat civil inféodé aux militaires.
    La formule sera adoptée pour toujours.
    Qui pourrait être ce chef d’Etat suffisamment complice pour n’apparaître qu’en vitrine, mais assez crédible pour s’imposer devant l’opinion ? Les regards se tournent vers les cinq dirigeants du FLN détenus au château d’Aulnoy, en région parisienne, après l’avoir été à la Santé, au fort de l’île d’Aix, puis à Turquant, en Touraine.
    Ahmed Ben Bella, Rabah Bitat, Mohamed Khider, Hocine Aït Ahmed et Mohamed Boudiaf avaient accumulé, en cinq ans de détention, un capital moral qui faisait d’eux les recours privilégiés du conflit. (1) Qui parmi eux accepterait de devenir le premier président civil de l’Algérie indépendante allié aux militaires ? Pour le savoir, le colonel Boumediène dépêcha, début décembre 1961, auprès d’eux le capitaine Abdelaziz Bouteflika avec pour recommandation spéciale de privilégier la candidature de Mohamed Boudiaf à qui, selon Rédha Malek, un des négociateurs à Evian et ancien Premier ministre, «il vouait une secrète estime pour avoir travaillé avec lui».
    La mission de Bouteflika, confirme le premier président du GPRA, Ferhat Abbas, «consistait à trouver parmi les cinq prisonniers un éventuel allié (aux chefs militaires)». (2) Le commandant Rabah Zerari, dit Azzedine, qui était, avec Kaïd Ahmed et Ali Mendjeli, l’un des trois adjoints de Boumediène à l’état-major général avant qu’il n’en démissionne en août 1961, est plus direct : «Bouteflika était, en vérité, chargé de vendre un coup d’Etat aux cinq dirigeants.» (1)

    Proposer la présidence à Boudiaf ? La mission était d’autant plus risquée que Bouteflika n’ignorait rien des opinions politiques de Boudiaf, notoirement connu pour être un esprit hostile aux accommodements en politique, acquis au multipartisme et à l’indépendance du pouvoir politique et dont, en conséquence, il fallait s’attendre au refus de se laisser choisir comme paravent par les chefs militaires. Hervé Bourges, homme de médias français, qui rendait souvent visite aux cinq détenus en qualité de représentant d’Edmond Michelet, le ministre de la Justice de De Gaulle, apporte un témoignage saisissant sur le détenu Boudiaf : «Je l’ai bien connu à Turquant, où il m’apparaissait comme le plus dur des cinq, le plus ancré dans ses convictions, décidé à ne pas en dévier, méfiant à l’égard de ses compagnons et de leurs conceptions idéologiques, notamment pour ce qui concerne Ben Bella dont il se séparera très vite, le soupçonnant, déjà, de vouloir s’arroger un pouvoir personnel.
    Boudiaf sera d’emblée hostile à l’idée du parti unique, où il voit les germes d’une dictature, même s’il s’agit de ce prestigieux FLN qui sort vainqueur auréolé de la guerre de libération et auquel il appartient depuis le début.»
    Aussi, le très avisé émissaire Abdelaziz Bouteflika, soucieux de garantir l’hégémonie militaire après l’indépendance, fit son affaire d’écarter l’obstiné démocrate Boudiaf au profit du «compréhensif » Ben Bella. Ce dernier présentait l’immense avantage de ne voir aucune objection à s’allier à l’état-major, fut-ce au risque d’un grave conflit fratricide.

    «L’entrevue qu’il eut avec Boudiaf se déroula très mal, rapporte le commandant Azzedine. Boudiaf a non seulement refusé énergiquement d’être coopté par l’état-major, mais s’offusqua que l’émissaire de Boumediène, qu’il houspilla publiquement, lui fît pareille proposition fractionnelle au moment où les Algériens étaient appelés à aller unis aux négociations avec les Français. Il le renvoya sèchement. Bouteflika comprit alors tout l’avantage qu’il y avait pour l’état-major à opter pour Ben Bella, très conciliant et qui, d’ailleurs, prit en aparté l’envoyé spécial de Boumediène pour lui faire part de sa disponibilité.»
    «Ben Bella et Bouteflika se sont fait des mamours verbaux, ils se sont séduits mutuellement avec leurs savoir-faire respectifs», a appris Ahmed Taleb Ibrahimi, incarcéré à l’époque dans un autre lieu de détention. «Bouteflika s’adressa alors à Ben Bella qui accepta d’être l’homme de l’état-major, raconte Ferhat Abbas.
    Cette alliance, demeurée secrète, allait peser lourdement sur l’avenir du pays.» (1) On le comprit quelques mois plus tard :
    «Ce qui a poussé Boumediène à affronter le GPRA, c’était l’alliance qu’il avait scellée avec Ben Bella à Aulnoy, récapitule Rédha Malek. Alliance réciproquement avantageuse. Boumediène avait besoin d’un politique et Ben Bella d’un fusil. » (2)

    L’émissaire Bouteflika avait réussi sa mission. Il quitte hâtivement Paris pour Londres d’où il appelle le colonel Boumediène pour lui annoncer le succès de l’opération. «Quelques jours plus tard, raconte Rédha Malek, Boumediène et Ben Bella ont un entretien téléphonique. Ils se disent très satisfaits de la mission de Bouteflika. L’alliance est scellée.» (1)

    Bouteflika venait d’assurer l’intérêt du pouvoir militaire en écartant Mohamed Boudiaf et en propulsant Ahmed Ben Bella.
    Ben Bella entrera à Alger en 1962 comme il en sortira en 1965, par les chars de Boumediène. A chaque fois, le sang algérien a coulé. Dans les deux cas Abdelaziz Bouteflika a joué le rôle d’agent détonateur au service des chefs militaires.

    Pour imposer Ben Bella en 1962 contre l’avis du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), de certaines personnalités marquantes et d’une partie de l’ALN, il a fallu utiliser la force. La composition du premier Bureau politique du FLN, donc de la première direction de l’Algérie indépendante, était le principal enjeu entre les différentes tendances. Boumediène et Ben Bella voulaient une direction acquise à l’étatmajor, où ne figureraient pas les ministres du GPRA, notamment les trois B qu’étaient Krim Belkacem, Abdelhafid Boussouf et Lakhdar Bentobbal, trois des véritables meneurs de la Révolution.
    Ecarter le GPRA de la direction politique du pays ouvrait la porte à toutes les dérives, voire à une guerre entre Algériens.

    Ben Bella, conforté par le soutien des militaires, osa néanmoins le coup de force : le 22 juillet 1962, il annonce unilatéralement à partir de Tlemcen la constitution complète du Bureau politique, composé des cinq détenus d’Aulnoy auxquels s’ajoutaient Hadj Ben Alla et Mohammedi Saïd, qui deviendra plus tard dirigeant du Front islamique du salut. Aït Ahmed refuse de faire partie de ce bureau et part pour Paris, Boudiaf en démissionnera rapidement. De fait, le GPRA est mort, son président Benyoucef Benkhedda est complètement débordé par les évènements.

    Ce coup de force de Ben Bella, c’est la suite logique de l’alliance scellée à Aulnoy entre lui et l’Armée par le biais de Bouteflika. L’avocat Ali Haroun, ancien responsable de la Fédération de France du FLN et ancien membre du Haut-Comité d’Etat (HCE) entre 1992 et 1994, qui étudia de près la période dont il fut un témoin privilégié et à laquelle il consacrera un livre, confirme par ce récit d’une rencontre qu’il eut avec Ben Bella en juillet 1962 :
    «L’on savait déjà que Boumediène, chef d’état-major, avait, par l’intermédiaire du capitaine Si Abdelkader, alias Abdelaziz Bouteflika, sollicité l’appui de Boudiaf dans le conflit qui, depuis plusieurs mois, l’opposait au GPRA. Face aux réticences de Boudiaf, il se résolut à convaincre Ben Bella dont le soutien lui fut aussitôt acquis. Dès lors, le Bureau politique proposé par Ben Bella apparaissait en fait celui de l’alliance Ben Bella-Boumediène.
    Conscient des dangers imminents guettant le pays et pouvant déboucher sur une confrontation, dont le dernier mot risquait d’échoir aux militants en armes, je rappelai à mon interlocuteur cette vieille maxime : “On peut tout faire avec les baïonnettes, sauf s’asseoir dessus.” Il répliqua par une moue dédaigneuse. Je n’avais plus rien à ajouter. Si l’on allait privilégier la force et dédaigner le consensus pour résoudre nos différends, le pays s’acheminerait alors vers de sombres lendemains. » (1)

    La sombre prédiction se réalisera : le Bureau politique de Ben Bella, dont l’autorité fut contestée par les Wilayas III (Kabylie) et IV (Algérois), sollicita alors l’appui de l’Armée des frontières et de l’état-major général dirigé par Boumediène ainsi que celui des Wilayas I, II, V et VI. Une seconde guerre succéda à celle qui venait à peine de se terminer. L’été 1962 fut marqué par de sanglants combats fratricides entre Algériens qui sortaient de sept années de lutte anticoloniale. (1) «L’intensité des combats qui s’en étaient suivis, jamais je n’en ai vu d’égale, pas même durant la guerre de libération », se rappelle Khaled Nezzar qui dirigeait, en tant que jeune officier de l’Armée des frontières, un bataillon qui a combattu les djounoud des Wilayas III et IV dans le djebel Dira, près de Sour El Ghozlane. (2)
    La guerre fratricide ne prendra fin qu’avec les manifestations populaires qui déferlèrent sur le pays aux cris de «Sebâa s’nine barakat» (3), slogan du désespoir que les Algériens ont fini par adopter.
    «Longtemps sera délibérément occulté le lourd bilan de ces affrontements fratricides. Ce n’est que par communiqué de l’APS du 2 janvier 1963 que l’on en saura le prix : un millier de morts», précisera Ali Haroun. (4)
    C’est à ce prix que Ben Bella et son Bureau politique s’imposèrent à Alger.
    Bouteflika va contribuer à destituer Ben Bella en 1965 pour les mêmes impératifs supérieurs : asseoir la suprématie du pouvoir militaire. Le coup d’Etat du 19 juin 1965 est consécutif à la décision de Ben Bella de retirer à Abdelaziz Bouteflika laresponsabilité de la diplomatie algérienne à quelques jours de la Conférence afro-asiatique qui devait se tenir à Alger.

    Source : "Bouteflika une imposture algérienne", Mohamed Benchicou, Editions Le Matin, 2004

    Notes :

    1. Le 22 octobre 1956, le DC-3 marocain, décollant de Rabat et transportant vers Tunis Ahmed Ben Bella, Mohamed Khider, Hocine Aït Ahmed et Mohamed Boudiaf, accompagnés de Mostefa Lacheraf, a été intercepté au-dessus d’Alger par les autorités coloniales. Les dirigeants algériens devaient représenter le FLN au sommet tripartite maghrébin qui devait se tenir à Tunis les 22 et 23 octobre. Ils seront incarcérés en France jusqu’en mars 1962, en compagnie de Rabah Bitat qui avait été arrêté le 23 novembre 1955.

    2. et 3. Ferhat Abbas, L’indépendance confisquée, Flammarion, 1984.

    4. Hervé Bourges, De mémoire d’éléphant,Grasset, 2000.

    5.Rédha Malek, L’Algérie à Evian,Le Seuil, 1995.

    5 bis. Les combats ont opposé les Wilayas I, II, V et VI (pro-état-major) aux Wilayas III et IV.

    6. Ali Haroun, L’été de la discorde,Casbah Editions, 2000.

    7. Reda Malek, op cité

    8. Khaled Nezzar, cité par Ali Haroun, L’été de la discorde,Casbah Editions, 2000.

    8 bis. Sebâa s’nine barakat (sept années, ça suffit !). La guerre de libération avait duré sept années.

    9. Ali Haroun, L’été de la discorde,Casbah Editions, 2000

    elvez Elbaz 01/07/2012 12:07:34
    Dites aussi à l'histoire ,la vraie,que bousssouf était manipulé par les services secrets français.Et que c'est ainsi que boukharouba,le vizir boussoufien n'a chargé "petit mario yeux bleus" de cette manoeuvre oujdaienne,un coup d'état en somme,que sur ordre de boussouf.
    Boussouf s'est retiré à paris,aprés l'indépendance confisquée par ses larbins,en s'installant comme commerçant.Est ce sa fin de mission que les services secrets français lui auraient ,ainsi,signifiée en s'établissant en france?!!!
    Toutes les vérités historiques sur la guerre d'algérie sont à venir.Des révélations qui remettront plus d'un à leur véritable place dans la vraie histoire et non celle falsifiée que le FLN a imposée et impose toujours aux pauvres peuples d'algérie
  • Assassinat de Boudiaf : cher père, 20 ans déjà !

     

     

     

    El Watan le 27.06.12

     

    Voilà déjà vingt ans que habitué à frapper dans le dos, le système, par soldat interposé, un membre du Groupe d’intervention spéciale, nous dit-on, muni d’un ordre de mission isolé de son groupe, a été chargé d’exécuter ton lâche assassinat, le 29 juin 1992, qualifié d’«acte isolé», par la justice algérienne.

     

    Depuis lors, beaucoup d’encre et de sang ont coulé en Algérie. Avec de l’encre, je n’ai pas cessé d’interpeller, dans des lettres ouvertes publiées par nos quotidiens nationaux, tous les responsables algériens au sommet de l’Etat, au moment de «l’acte isolé». Je leur ai écrit pour rejeter la théorie de l’acte isolé et pour revendiquer la vérité. Je n’ai jamais eu de réponse. J’ai même publié, en juin 2011, un livre sur la question. Je n’ai jamais eu de réponse. Mais depuis lors, certains ont tiré leur révérence. Tout récemment, le premier président de l’Algérie indépendante est venu te rejoindre au cimetière d’El Alia, mais sa tombe a été creusée sur le côté opposé à celui de la tienne. C’est normal, dans toute ta vie, Ben Bella n’a jamais été de ton côté, mais toujours du côté opposé. N’a-t-il pas eu l’indécence de t’envoyer, en plein mois de juin 1963, dans un fourgon à Adrar, pour t’enterrer vivant dans une cave, alors que tu l’avais très décemment reçu à la présidence de la République.

     

    Quelques mois avant sa mort, c’était au tour du défunt général Larbi Belkheir, ministre de l’Intérieur, le général Smaïl Lamari, le général major Mohamed Lamari, tous responsables et dirigeants influents, au moment de «l’acte isolé», ont quitté ce monde. Ils sont certainement dans un monde où l’assassinat, l’injustice et l’acte isolé n’ont pas de place ni de protecteur. Sur un autre registre, notre armée ne veut plus de l’appellation «Grande muette», mais elle ne parle jamais de ton assassinat. Sur ce sujet, elle demeure parfaitement muette. Mais pour faire exception, le général Khaled Nezzar a publié récemment un livre, dont un chapitre t’est consacré. Je t’en ai choisi ces passages : «Lorsque, le 29 juin 1992, le général Toufik me téléphona pour m’apprendre qu’on venait d’attenter aux jours de Mohamed Boudiaf, un grand froid me saisit, puis un vertige… Pourquoi aurions-nous tué Mohamed Boudiaf ?… Lorsque les prisonniers de Serkadji s’étaient révoltés, tous les responsables, je dis bien tous, n’eurent qu’un souci : préserver la vie de Lembarek Boumaârafi, l’assassin. Et pour cause.» Nous voilà donc édifiés. Ce passage nous informe que c’est le général Toufik qui téléphona au général Nezzar pour lui apprendre qu’on venait de commettre «l’acte isolé».

     

    Aussi, le général Khaled Nezzar, au nom de l’armée, s’interroge : «Pourquoi aurions-nous tué Mohamed Boudiaf ?» La question reste entière. Mais le plus terrible, dans ce passage, c’est qu’il nous apprend qu’à la mutinerie de Serkadji, tous les responsables – je dis bien tous – n’avaient qu’un souci : préserver la vie de ton présumé assassin. J’espère que dans son prochain livre, il nous répondra à la question : pourquoi tant de soucis des responsables pour préserver la vie de ton présumé assassin et pas le moindre effort pour préserver celle du chef de l’Etat à Annaba. Quelques efforts auraient peut-être pu t’éviter de subir une rafale d’une quarantaine de balles, dans le dos, à ton âge ; alors que tu n’avais jamais demandé à venir occuper le fauteuil tant convoité. Ou alors, comme il est ironiquement colporté dans les milieux populaires : «C’est un système qui protège l’assassin et non la victime.»

     

    Des éclaircissements à ce sujet seront les bienvenus, car le peuple est avide de connaître la vérité. Par ailleurs, une pétition-test vérité a été lancée par mes soins, sur la Toile, en février dernier. Elle a eu plus d’un millier de signatures en quelques jours, malgré toutes les embûches savamment orchestrées par le système pour la bloquer. Cependant, il y a lieu de t’avouer que dans mon livre, je n’ai pas été «tendre» avec tes amis, notamment Ali Haroun et Ahmed Djebar. C’est Ali Haroun lui-même qui s’en est plaint, à l’un de nos médias. Alors que l’année dernière, il a déclaré que ton assassinat est un «acte isolé», il a même changé la date de la commémoration, quelle prouesse ! Il pensait peut-être que les instigateurs de «l’acte isolé» ont été tendres avec toi en te fracassant le dos, le crâne, le thorax et les jambes avec des grenades et des rafales. Bien sûr, je ne m’attends pas à ce que Ali Haroun ait un cœur tendre pour avoir des remords de t’avoir livré à une fin aussi tragique, qui ne fait que peser la suspicion sur les maîtres de Ali Haroun.

     

    Pour sa part, M. Ghozali, Premier ministre au moment de «l’acte isolé», quelques jours avant la campagne électorale du 10 mai, avait proposé ses services pour répondre, entre autres, de l’assassinat de Mohamed Boudiaf. Lui qui m’avait accusé de faire de ton sang un fonds de commerce, je lui ai alors rappelé que le sang de Boudiaf n’est ni à vendre ni à acheter et que s’il était achetable, ses assassins ne lui auraient pas réservé toute une rafale – qui ne leur a rien coûté – mais coûté beaucoup aux Algériennes et Algériens qui avaient vu en toi l’espoir. Par ailleurs, l’Algérie s’apprête à célébrer le 50e anniversaire de «l’indépendance confisquée», quelques jours après le 20e anniversaire du jour où le système a décidé de te confisquer la vie. On va danser et chanter. On va faire éclater des feux d’artifice pour avoir réussi à confisquer l’indépendance au peuple et à confisquer la vie de l’homme qui a rédigé l’Appel du 1er Novembre 1954, préparé la réunion des 22 et coordonné les préparatifs du déclenchement de la révolution. Pour revenir au fameux livre du général Nezzar, il me semble opportun de te faire part de ce passage : «On a dit que l’assassinat de Mohamed Boudiaf a été commandité par une mafia politico-financière craignant les foudres de l’Incorruptible venu au pouvoir… Le président Boudiaf s’était rendu à l’évidence que la corruption n’était pas le fait de quelques ‘’barons’’ du système retranchés dans des redoutes inexpugnables, mais le résultat de la dévalorisation de la notion d’Etat et du désordre moral qui en a découlé.» Tels sont les propos du général Nezzar, tels que produits dans son livre L’Armée algérienne face à la désinformation. Je le remercie de t’avoir qualifié d’Incorruptible, avec un «I» majuscule. Il est regrettable, cependant, qu’un Etat, non seulement laisse son chef d’Etat incorruptible tomber facilement devant un «acte isolé», mais ne fait rien pour rétablir la vérité sur son lâche assassinat.

     

    Nacer Boudiaf

  • Le 16 janvier 1992, Boudiaf revenait en Algérie...

     

    Par |

     

     
    Mohamed Boudiaf à son retour en Algérie;

     

    "Je déteste les victimes quand elles respectent les bourreaux". Jean-Paul Sartre

     

    Il y a vingt ans, le 16 janvier 1992, la jeunesse algérienne découvrait Mohamed Boudiaf. Elle venait de le découvrir parce que l’adjudant et le colonel qui ont successivement présidé aux destinées de l’Algérie, dès l’indépendance confisquée en 1962, ont tout fait pour que le nom de Boudiaf ne soit jamais connu, ni à l’école sinistrée, ni à l’unique télévision du système, ni dans la presse, limitée alors à deux titres.

     

    Ainsi, dès 1962, le système qui avait pris la précaution d’assassiner d’abord Abane Ramdane en 1957, a déployé alors son jeu dans l’objectif  de faire de l’Algérien un borné, un barbare et un fanatique:

     

    1/ Borné, en lui inculquant le "principe" que sa culture est seulement arabo-musulmane. L’Algérien est ainsi amputé de sa dimension culturelle berbère naturelle. Mais Mohamed Boudiaf, dès son retour, est alors le premier chef d’Etat algérien, à rappeler officiellement que la personnalité de l’Algérien tient de l’amazighité, l’islamité et l’arabité.

     

    2/ Barbare. Dans la société la plus barbare, il arrive qu’on abatte un arbre pour cueillir ses fruits. Mais, dans l’Algérie indépendante, c’est Boudiaf qui a été  abattu parce qu’il a refusé qu’on abatte l’arbre Algérie pour cueillir ses fruits. Il le paye de sa vie parce qu’il a martelé la mafia politico-financière par son slogan, «l’Algérie avant tout».

     

    3/ Fanatique. Voltaire a parfaitement raison de dire que "celui qui soutient sa folie par le meurtre est fanatique". Est-ce la folie qui s’est emparée alors du système pour lâchement assassiner Boudiaf, maquiller son assassinat en "acte isolé" et soutenir sa folie par le meurtre. Le système devient alors le pire des fanatiques. 

     

    Devant cette ambiance de trahison généralisée par le silence, cette pensée de J.P. Sartre : "Je déteste les victimes quand elles respectent les bourreaux", me conforte dans mon combat d’interpeller toutes les consciences et particulièrement  Messieurs Ali Haroun, Ahmed Djebar et Khaled Nezzar. Ces trois personnalités ont été très proches de Boudiaf pendant sa mission à la tête de l’Etat. Ils ont joué un rôle fondamental dans son retour en Algérie. De par la position qu’occupait chacun de ces Messieurs, au moment de "l’acte isolé", soit ils étaient en position de connaître ses bourreaux, soit en position de ne pas les connaître. S’ils ne les connaissent pas, de qui ont-ils peur de demander la réouverture du dossier et de l’enquête. S’ils se taisent  et donc  connaissent les bourreaux,  alors ils deviennent eux-mêmes bourreaux, et donc pas respectables. 

     

    Messieurs Haroun, Djebar et Nezzar, il y a un  adage qui veut tout simplement dire que devant une situation complexe, "on est partie du problème, ou partie de la solution". L’assassinat de Boudiaf est un sérieux problème. Boudiaf était-il aussi fort physiquement pour nécessiter toute une rafale alors qu’eu égard à son âge et sa santé précaire, une seule balle lui aurait suffi. C’est là où se situe le problème, votre problème. Car en fait, une seule balle était destinée au Président du Haut Comité d’Etat qui commençait à déranger le système. Alors tout le reste des balles du chargeur, voire des chargeurs, n’était pas destiné à la victime de «l’acte isolé» mais à toute personne qui s’imaginait facile de toucher là où Boudiaf a mis le doigt et a commencé à faire mal au système. J’aurais voulu que le ministre de l’Intérieur de l’époque, feu Larbi Belkheir et d’autres responsables de la Sécurité de l’Etat, qui ne sont plus de ce monde, soient aujourd’hui à vos côtés pour répondre à cet adage. Mais ils sont là où aucune pétition ne peut les sauver, ni les soustraire à la justice divine. Avec la justice divine, il n’y a ni faux procès ni "acte isolé".

     

    Je vous laisse, cependant, toute la latitude de répondre publiquement à cet adage, à cette manière de présenter le mal qui ne cesse de me torturer depuis que j’ai compté le nombre de balle dans le crâne, le dos et même le thorax de mon père.

     

    Soit ! Boudiaf est mort. L’arbre de novembre a été abattu en juin, mois de sa naissance. Le peuple algérien a été empêché de goûter aux fruits que Boudiaf lui préparait depuis 1947. Mais en mai prochain, en plein printemps, l’Algérien est appelé à choisir de nouveaux représentants à l’Assemblée nationale. Le système est perplexe et sclérosé. Soit il laisse les choses se passer normalement et alors là le printemps va bourgeonner de fruits qui ne seront pas du goût du système, quel que soit le goût de ces fruits. Soit, il arrêtera une nouvelle fois le cycle de bourgeonnement et là, l’Algérie manquera pour la énième fois son rendez-vous avec le printemps. Le printemps berbère a été cruellement étouffé dans le sang, comme l’a été Boudiaf. Qu’en sera-t-il du printemps algérien ? Qu’en sera-t-il du système qui n’a plus de Boudiaf à aller tirer de son exil ?

     

    La vérité sur "l’acte isolé" ne me rendra pas mon père, ne rendra pas le Président du Haut Comité d’Etat à l’Etat. Mais incontestablement, la vérité rendra un peu d’espoir ; espoir au futur chef de l’Etat de ne pas finir comme a fini l’homme de Novembre ; espoir aux jeunes soldats de ne pas avoir, dans l’avenir, à recevoir des ordres d’exécuter un homme honnête comme Boudiaf alors que les criminels courent les rues ; espoir enfin à tout le peuple que l’impunité a une fin, comme toute chose dans la vie.

     

    Par ailleurs, on a été informé, il y a quelques jours de la nomination de M. Abdelmalek Sayah, à la tête de l’Office de la lutte contre la corruption. L’intéressé n’est autre que le procureur général du procès qui pense avoir sauvé le système en qualifiant l’assassinat de Boudiaf d’"acte isolé". Le peuple est alors édifié. Toutes les affaires de corruption dont  il a entendu parler seront qualifiées "d’actes isolés". C’est dire que le printemps de la lutte contre la corruption n’a pas encore entamé la saison de commencer à bourgeonner.

     

    En ce qui me concerne, le dernier mot prononcé par mon père a été "l’Islam". Pour les croyants, les vrais, c’est là un signe de bon augure annonçant que Boudiaf est parmi les chouhadas au Paradis. Quel sera le dernier mot prononcé par les hommes  du système ?  A eux de le dire au peuple. Pour moi : c’est le mot : vérité.

     

    Nacer Boudiaf

  • le président qu'on aurait pu avoir !!!

    Révolution de novembre et indépendance nationale

    LE COMMENCEMENT

    Par : Mohamed Boudiaf

    Ce texte inédit de cet acteur de la guerre d’indépendance, Si Tayeb El-Watani, écrit en 1961, nous a été envoyé par Nacer Boudiaf. Nous le publions dans son intégralité.

    De tous les travaux qui ont à ce jour traité de ladite Révolution, aucun n’est arrivé à éclairer valablement et d’une façon objective la phase historique, riche en enseignements, qui a préparé ce que certains ont appelé “la Nuit de la Toussaint”. Ici, une précision s’impose pour éviter tout rapprochement avec la fête des morts ou toute autre invention de plumitifs prompts à expliquer l’histoire par des arrangements malveillants qui, dans le fond, n’honorent pas leurs auteurs.
    En réalité, le départ aurait dû avoir lieu le 18 octobre, et son report au 1er novembre n’a tenu qu’à des considérations d’ordre interne qu’il serait trop long d’exposer ici. La vérité est que le choix de cette date n’a été motivé par aucune intention de faire coïncider le déclenchement avec le culte des morts qui, certainement depuis qu’ils appartenaient à l’autre monde, devaient se désintéresser totalement des choses d’ici-bas entre Algériens colonisés et Français impérialistes. D’ailleurs, si l’on tient, malgré tout, à affubler la décision historique du 1er novembre de ce masque infâmant, nous serons bien aisés de notre côté d’aligner une longue liste de dates marquées par des hécatombes au compte du colonialisme français qui, depuis le jour où il à foulé la terre algérienne, et durant un siècle et trente et un ans, n’a respecté ni notre religion, ni nos fêtes, ni notre tradition pour perpétrer les pires crimes et exactions que l’histoire ait enregistrés depuis les âges les plus reculés de l’humanité. Un jour viendra où tous les crimes seront connus et, à ce moment, on oubliera volontiers de parler aussi légèrement du 1er novembre 1954 qui, pour nous, restera à jamais sacré et sera fêté pour avoir été l’avènement d’une marche historique qui a bouleversé un continent et qui n’a pas fini d’étonner le monde par sa puissance et sa vitalité face à un adversaire désorienté et complètement déréglé au point d’avoir dangereusement mis en cause ses valeurs, son équilibre psychologique et jusqu’à sa cohésion nationale.
    Pour comprendre ce faisceau d’interactions et de réactions découlant de la Révolution algérienne, soumettons à l’analyse les raisons profondes qui ont donné vie à ce 1er novembre et à ses suites.
    Déjà, en 1945, les prémices d’un tel bouleversement étaient clairement prévisibles à l’observateur lucide et impartial, car le lien entre les évènements de mai 1945 et le départ de la Révolution en novembre 1954 est tellement étroit qu’il mérite d’être souligné ici sous peine de nous voir tomber dans l’erreur commise par la plupart de nos dirigeants politiques d’avant le 1er Novembre. En effet, les uns comme les autres ont ou sous-estimé les répercussions du drame de mai 1945 ou tout simplement gardé une obsession d’une éventuelle répétition de cette sauvage répression qui, tout en les marquant, les a éloignés d’une analyse courageuse qui les aurait mieux inspirés dans la recherche d’une politique beaucoup plus réaliste et beaucoup plus hardie.
    Nous avons parlé plus haut d’un lien entre les deux évènements : lequel ? Effectivement, le 8 mai 1945, était la manifestation d’un même état d’esprit d’un peuple épris de liberté avec cette différence qu’en 1945, il croyait encore en la possibilité de recouvrer ses droits par des moyens pacifiques, alors qu’en novembre 1954 il était décidé, instruit par son premier échec, à ne plus commettre d’erreurs et à utiliser les moyens adéquats capables de faire face à la force qu’on lui a toujours opposée. C’est cette évolution lente, quelquefois incertaine et latente, que nous nous proposons de refléter dans ce qui va suivre...
    En premier lieu, quelles ont été les suites des nombreux évènements de mai 1945 sur, d’une part, le peuple et, d’autre part, les partis politiques qui le représentaient ? Contrairement à ce qu’on attendait, au lieu que ce coup de force renforça l’union nationale, il produisit la dislocation malheureuse des AML, qui avaient, en mars 1945, réussi, pour la première fois, à réunir, à l’exception du PCA, toutes les tendances de l’opinion algérienne. En effet, sitôt les prisons ouvertes en mars 1946, sitôt la concrétisation de cette coupure en deux courants : le PPA - MTLD, ou tendance révolutionnaire et l’UDMA, ou tendance réformiste. Je ne parle pas ici du PCA qui reste, jusqu’en 1954, minoritaire et sans influence sur la suite des évènements, ni d’ailleurs de l’association des oulémas dont le programme se voulait beaucoup plus orienté vers l’instruction et l’éducation en dépit de leur sympathie non déguisée pour le réformisme de l’UDMA. Il est inutile également de faire cas de ceux qu’on appelait les indépendants, les exécutifs zélés de la colonisation, ce qui, à juste titre, leur avait valu l’appellation pittoresque de “béni-oui-oui”.
    À retenir donc que les évènements de 1945, tout en donnant au peuple une leçon chèrement acquise sur ce que devrait être une véritable lutte pour l’indépendance nationale, provoquèrent, du coup, la coupure des forces militantes algériennes et leur regroupement en deux principaux courants dont les luttes dominèrent la scène politique jusqu’en 1950. Avec le recul, on réalise nettement le rôle joué par les sanglantes journées qui ont suivi le 8 mai 1945 sur le plan de la classification politique en Algérie et de ce qu’il va en sortir.
    Abandonnons, pour plus de clarté, l’aspect événementiel de cet affrontement pour nous consacrer uniquement à ses effets sur le schéma des forces en présence. Effectivement, il n’a pas fallu attendre longtemps pour constater la fin de cette étape qui a prouvé, s’il en était besoin, que la voie du salut était ailleurs.
    Comment alors se présentait le schéma né de cette période de 1945 à 1950 ? Sans conteste, les partis, d’un bord comme d’un autre, avaient beaucoup perdu de leur audience ; quand aux masses, gavées de mots d’ordre contradictoires, d’où rien n’était sorti, elles donnaient l’impression, après cette bagarre de slogans et de palabres, d’une lassitude indéniable et d’une conviction non moins solide de l’inefficacité des uns et des autres. Il n’était pas rare, en ces temps, d’entendre des propos du genre : “À quoi bon s’exprimer pour rien ? Ils sont tous les mêmes : beaucoup de palabres mais de résultat, point. Qu’ils s’entendent et se préparent s’ils veulent parvenir à un résultat. Sans armes on ne parviendra à rien etc. etc.”
    On sentait confusément dans ces remarques désabusées et pertinentes le besoin ardent de sortir du labyrinthe des escarmouches platoniques et inopérantes des luttes politiques. La recherche d’une issue susceptible de répondre à ce besoin se lisait sur tous les visages et émergeait de la moindre discussion avec l’homme de la rue, pour ne pas parler du militant plus impatient. Toutefois, une parenthèse mérite d’être ouverte, à ce point de nôtre développement, en vue d’éviter toute interprétation tendancieuse qu’on serait tenté de tirer de ces constatations. À signaler dans cet esprit que, mis à part son côté négatif et quelquefois pénible, la lutte politique dont il vient d’être question n’a pas été complètement inutile, en ce sens qu’elle a renforcé, dans une grande mesure, la prise de conscience populaire et a surtout aidé à la promotion d’un bon nombre de cadres.
    Autre remarque : la déconfiture de ces partis politiques, avant d’être le fait de tel ou de tel homme, ou groupe d’hommes, est, en dernière analyse, le résultat de tout un ensemble de causes dont les principales reviennent à une méconnaissance ou, pour le moins, une incapacité de s’inspirer du peuple, aux oppositions entre les hommes élevées au-dessus des idées et des principes, et en dernier lieu au vieillissement très rapide, inhérent spécialement aux partis politiques des pays jeunes, trop vigoureux et pleins de bouillonnement révolutionnaire pour s’accommoder facilement de tout ce qui est immobilisme.
    En résumé, l’année 1950, si elle ne mit pas totalement fin aux luttes politiques, n’en marqua pas moins leur dépassement et leur faiblesse manifeste face à une politique répressive de l’administration coloniale. Cette dernière, après la répression de 1948, à l’occasion des fameuses élections à l’Assemblée algérienne où les truquages et les falsifications les plus éhontés furent enregistrés, après ce qui fut appelé le “complot” de 1950 et qui était en réalité la destruction partielle de l’organisation paramilitaire formée sous l’égide du PPA-MTLD, s’était enhardie, devant le manque de réaction, au point de ne plus tenir compte de sa propre légalité pour accentuer son travail de dislocation des appareils politiques. Cela était tellement vrai que, pendant ces temps sombres, on avait assisté aux premiers rapprochements de ces mêmes partis politiques, hier ennemis ; d’où la naissance du Front démocratique réalisée par le MTLD, l’UDMA, les Oulémas et le PCA pour lutter conjointement contre la répression. L’explication la plus valable à donner à ce phénomène, impossible deux ans auparavant, est sans doute la manifestation de l’instinct de conservation par la recherche obscure d’un renouveau souffle dans une union même limitée.

    Rien ne se fit pour sauver les uns et les autres
    La marche inexorable de l’évolution ne tarda pas à accélérer le processus de désagrégation déjà entamé.
    Je ne connais pas avec certitude ce qui se passait en ce temps à l’intérieur de l’UDMA, des Oulémas et du PCA, mais je reste convaincu que leur situation n’était pas plus brillante ni plus enviable que ce qui se préparait dans le MTLD, en voie de dislocation malgré tous les efforts tentés pour éviter la fin malheureuse et définitive qui fut la sienne en 1950.
    Que nous fût-il donné de retenir de cette première partie ? La faillite des partis politiques, complètement déphasés par rapport au peuple dont ils n’ont pas su ou pu s’inspirer à temps pour saisir sa réalité et comprendre ses aspirations profondes. Il faut noter, à cette occasion, que notre peuple, à l’instar de tous les peuples qui montent, possède une bonne mémoire et une acuité instructive de ce qui se fait dans son intérêt. S’il lui est arrivé de se désintéresser, à un certain moment, de presque tous les partis politiques qui se disputaient ses faveurs, cela revenait avant tout à ce sens infaillible de l’histoire et à cette sensibilité forgée dans les dures épreuves dont les évènements de Mai 1945 ont été une des plus marquantes.
    Compte tenu de cette défection populaire vis-à-vis des partis, comment se présentait alors l’éventail des forces profondément remaniées par cette sorte de reflux ? Mis à part, les directions politiques moribondes s’accrochant vainement à leurs appareils organiques, fortement éprouvés et réticents, il faut signaler : à la base, le peuple d’où s’effaçaient progressivement les oppositions politiques et qui semblait dans son recul préparer le grand saut et, dans une position intermédiaire, le volume des militants abusés, quelquefois aigris mais restant vigilants parce que plus au fait des réalités quotidiennes et du mécontentement des masses accablées qu’elles étaient par une exploitation de plus en plus pesante.
    C’est d’ailleurs de cet échelon que partit en 1954 la première étincelle qui a mis le feu à la poudrière. La question qui vient immédiatement à l’esprit consiste, à mon sens, à déterminer exactement comment a pu s’opérer cette sorte de reconversion rapide et cette prise de responsabilité étonnante à un moment où les plus avertis s’attendaient à toute autre chose qu’à un départ aussi décisif d’une révolution qui bouleversera tous les pronostics de ses sympathisants comme de ses adversaires. La réponse est qu’en novembre 1954, toutes les conditions, malgré la confusion de façade qui régnait alors, étaient réunies, concrétisées en deux forces aussi décidées l’une que l’autre : d’une part, un peuple disponible, ayant gardé intact son énorme potentiel révolutionnaire légendaire instruit par ce qu’il a subi durant une longue occupation et plus récemment à l’occasion du 8 mai 1945, exacerbé par ce qui se passait à ses frontières et n’ayant enfin plus confiance dans tout ce qui n’est pas lutte directe de la force à opposer à la force et, d’autre part, une avant-garde militante, issue de ce peuple dont elle partageait les expériences quotidiennes, les peines et les déboires pour se tromper, le peu qu’il soit, sur cette force colossale dans sa détermination d’en finir avec une domination qui a fait son temps.
    C’est de cette conjonction intime que naquit la Révolution algérienne qui, dans un temps restreint, de juin à novembre 1954, aligna sur tout le territoire les têtes de pont du bouleversement que nous vivons depuis bientôt sept ans.
    En conclusion, que faut-il retenir de toute cette suite d’évènements et particulièrement de ce commencement qui, vu son caractère spécial, marquera pour longtemps la Révolution algérienne et explique déjà ses principales caractéristiques originales ?
    1- À la différence d’autres révolutions, la nôtre est née à un moment crucial qui lui confèrera son caractère particulier d’autonomie et son indépendance vis-à-vis de toutes les tendances politiques l’ayant précédée : le premier appel au peuple algérien a bien précisé que le FLN, dès sa naissance, se dégageait nettement de tous les partis politiques, auxquels il faisait en même temps appel pour rejoindre ses rangs sans condition ni préalable d’aucune nature. Cette position en clair signifie que le 1er Novembre ouvrait une ère nouvelle d’union nationale et condamnait implicitement toutes les divisions et oppositions partisanes incompatibles avec la révolution naissante, comme elles le seront plus tard quand il s’agira de construire l’Algérie nouvelle.
    De cette position de principe, il faut retenir également le souci des premiers hommes de la révolution d’introduire un autre esprit, d’autres méthodes et surtout une conception neuve tant en ce qui concerne les idées que l’organisation ou les hommes.
    2- Née du peuple, la Révolution algérienne, à son départ, s’inscrit en faux contre toutes les manoeuvres de tendances ou concepts d’exportation quels qu’ils soient, plaçant la lutte sous le signe de l’union du peuple algérien en guerre, union solidement soudée par des siècles d’histoire, de civilisation, de souffrances et d’espoir.
    3- Issue d’une période où les luttes des coteries et des personnes avaient failli tout emporter dans leur obstination aveugle et criminelle, la Révolution du 1er Novembre décréta le principe de la collégialité, condamnant à jamais le culte de la personnalité, générateur de discorde et nuisible, quelle qu’en soit la forme, à l’avenir d’un jeune peuple qui a besoin de tous ses hommes, de toutes ses ressources et d’une politique claire et franchement engagée qui ne peut être l’affaire d’un homme, aussi prestigieux soit-il, mais de toute une équipe d’hommes décidés, vigoureusement articulés en une organisation bien définie, disposés à donner le meilleur d’eux-mêmes avant de se faire prévaloir de tout titre, de toute légitimité et encore moins de droits acquis ou de prééminence de tout genre.
    En un mot, l’Algérie, après ce qu’elle a enduré, a besoin de militants intègres, désintéressés opiniâtres et décidés, véritables pionniers au service d’un idéal de justice et de liberté, que de “zaïms” en mal de gloriole, cette gangrène purulente de beaucoup de jeunes pays en voie d’émancipation.
    4- Partie intégrante et motrice de la formidable vague de fond qui secoue l’Afrique et l’Asie et continue de se propager en Amérique du Sud et partout ou persistent les germes de la domination politique ou économique, la Révolution algérienne, dès son début, s’est classée par rapport aux lignes de force de l’échiquier mondial.
    Nos alliés naturels sont avant tout ceux-là mêmes qui, comme nous, ont eu à souffrir des mêmes maux et qui rencontrent sur la voie de leur libération les mêmes oppositions, les mêmes barrières, voire les mêmes menaces.
    5- Enfin, son caractère populaire et patriotique, sa coloration anticolonialiste, son orientation démocratique et sociale, sa position dans le Maghreb et son appartenance à la sphère de civilisation arabo-islamique sont autant de traits marquants que porte la Révolution algérienne dès sa naissance et qui détermineront son évolution et conditionneront son devenir.

    Mohamed Boudiaf
    Turquant, le 22 août 1961

  • CRIME D'ETAT

     

    L’exécution de Fernand Yveton, un "crime d’Etat"

    Par |

     
     
    Fernand Iveton.

    Des moudjahidine, des compagnons d’armes et des historiens sont revenus longuement jeudi soir au Centre culturel algérien (CCA) de Paris, sur le parcours du combattant Fernand Yveton, militant de la cause nationale guillotiné le 11 février 1957 dans la prison de Serkadji à Alger.

    Les moudjahidine Mohamed Rebah, Abdelkader Djilali Guerroudj et Félix Colozy, aux côtés de l’historien Jean-Luc Einaudi, ont tous qualifié cette exécution de Fernand Yveton, de "crime d’Etat".

    Ouvrier communiste, Yveton considérait la cause algérienne comme la sienne. Il intégra les rangs du FLN durant l’été 1956 et en novembre, il décida de poser une bombe à l’usine de gaz à Alger, où il travaillait comme tourneur. Des précautions avaient été prises pour que l'explosion n'occasionne pas de victime mais uniquement des dégâts matériels.

    "Dans son esprit, il s’agissait de provoquer un sabotage matériel spectaculaire. Il voulait que tout soit prévu pour qu’il ne puisse pas y avoir de victimes", témoigne l’historien Jean-Luc Einaudi.

    Arrêté le 14 novembre 1956, avant même qu'il ait pu installer la bombe, il fut d'abord torturé pendant trois jours par des policiers, comme cela était alors la règle: décharges électriques sur le corps, supplice de l'eau. Il fut condamné par la suite à mort dix jours plus tard, soit le 24 novembre 1956, par le Tribunal militaire d’Alger, "en application de la procédure expéditive permise par "les pouvoirs spéciaux", accordés par les députés français au gouvernement de Guy Mollet", a relevé l’historien. 

    Soumis à de fortes pressions, aucun membre du collectif des avocats français ne voulait prendre sa défense. On lui désigna alors deux avocats commis d’office, qui n’ont cependant rien pu faire contre cette condamnation. Lorsque le recours en grâce fut examiné au Conseil de la magistrature, le Garde des sceaux de l’époque, François Mitterrand, vota en faveur de l’exécution de Fernand Yveton.

    Revenant sur le livre qu’il a écrit sur la fin tragique de Yveton, Pour l’exemple, l’affaire Fernand Yveton, Jean-Luc Einaudi, a affirmé que son seul souci était "la recherche de la vérité qui n’est jamais absolue mais il faut y tendre". "François Mitterrand, dit-il, a envoyé à la guillotine bien d’autres militants de la cause algérienne, encore avant et après Fernand Yveton et dont une grande partie de la gauche française continue à se réclamer", a-t-il déploré.

    "En ce qui me concerne et tant que je le pourrais, en tant que citoyen français, pas en tant qu’historien, je continuerais à faire tout ce que je peux pour que la vérité soit connue concernant Fernand Yveton et tous ceux qui ont été conduit à la guillotine au cours de ces années là", a-t-il affirmé.

    Apportant son témoignage, Albert Smadja, l’avocat commis d’office pour Fernand Yveton a affirmé que durant toute sa carrière au barreau, il n’avait "jamais vu un dossier d’inculpé aussi mince et comprenant peu de pièces facilitant l’instruction de l’affaire" car, à son avis, "on voulait précipiter l’exécution du militant et clore le dossier".

    L’exécution de Fernand Yveton est purement et simplement "un assassinat perpétré par Robert Lacoste, Guy Mollet et François Mitterrand", a lancé pour sa part Abdelkader Djilali Guerroudj, ancien condamné mort.

    Le moudjahid Mohamed Rebah a rappelé quant à lui que Yveton a été condamné par le tribunal militaire d’Alger "au motif qu’il avait voulu faire sauter Alger" selon les propos de Jacques Soustelle, ancien gouverneur d’Algérie.

    "Le procès s’est déroulé dans un climat de haine raciale, alimenté et dirigé par des groupes fascistes, partisans féroces de l’Algérie française qui avaient créé en janvier 1956 un comité de défense et d’action pour l’Algérie française et qui plus tard formèrent l’OAS", a-t-il dit.

    Dans le couloir qui le conduisait à l’échafaud, Fernand Yveton avait lancé un vibrant "L’Algérie libre vivra", a-t-il encore témoigné. Pour l’histoire, une erreur de transcription du patronyme de ce militant, le jour de sa condamnation à mort, le transformant en Yveton, a été continuellement reconduite depuis plus de 50 ans, alors qu’il s’agit en réalité de la famille Iveton.

    Avec APS

  • boudiaf président de l'algerie.