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de troie

  • Changement de cap ?

     



    Qui a dit que les gouvernements en Algérie se suivent et se ressemblent ? Le dernier remaniement ministériel qui a reconduit l’essentiel de la composante du gouvernement sortant, avec à sa tête Ahmed Ouyahia, éconduit certains ministres, procédé à de nouvelles nominations et à des permutations à certains postes ministériels vient de fournir la preuve des miracles que peut produire la gouvernance politique à l’algérienne. Est-il politiquement correct et sain que des ministres d’un même gouvernement relooké puissent, avec une telle facilité et célérité, désavouer d’autres ministres auxquels ils ont succédé, lesquels ministres furent, dans certains cas, désignés à d’autres départements ministériels, après avoir laissé sur leurs bureaux des dossiers gelés, objets de vives polémique et contestation au sein des secteurs concernés ? La révision à la baisse de la liste des documents exigés par l’administration pour la délivrance du passeport biométrique, annoncé devant le parlement par le nouveau ministre de l’Intérieur et des Collectivités locales, Daho Ould Kablia, s’apparente à un cinglant désaveu, non seulement à l’ancien ministre de l’Intérieur, Noureddine Yazid Zerhouni, mais aussi au gouvernement sortant.

    Qu’est-ce qui a donc subitement changé au sein de l’Exécutif en quelques jours pour que des dossiers, que l’on présentait comme scellés et non négociables, soient rouverts et réexaminés avec une vision et une approche plus citoyenne que policière, confirmant que l’on s’était bel et bien fourvoyé dans une aventure pour le moins suspecte et attentatoire aux libertés des citoyens ? Rien en apparence. Ouyahia était et demeure toujours le premier ministre d’un même gouvernement, à quelques détails près.

    D’autres exemples de décisions spectaculaires sont annoncés par d’autres départements ministériels qui occupent le devant de l’actualité, tels ceux de la Santé ou de l’Emploi et des Affaires sociales, en proie à des malaises qui n’ont pu trouver de solutions sous le précédent gouvernement. Dès sa prise de fonction, le nouveau ministre de la Santé, Djamal Ould Abbès, s’embarque au volant de l’ambulance du SAMU et annonce une série de mesures destinées à apaiser les esprits au sein de ce secteur qui a besoin d’un diagnostic lucide et d’un bon thérapeute : l’ouverture prochainement de négociations avec les médecins protestataires, le paiement des salaires non versés des médecins, le recrutement d’un millier de nouveaux médecins diplômés qui grossissent les rangs des chômeurs.

    Sur la même lancée, Tayeb Louh promet de revaloriser la pension des retraités avant le mois de Ramadhan, alors qu’il n’avait pas montré le même enthousiasme sous l’ancien gouvernement. Que faut-il alors conclure de tous ces repositionnements ? Faut-il les imputer aux ministres qui auraient donc les coudées plus franches et le bras si long, pour dénouer des crises héritées de l’ancienne gestion de ces ministères ? A Ouyahia qui réalise que la politique du bâton mène à l’impasse ? A des calculs politiques ? De simples effets d’annonce ? Ou s’agit-il de gages de bonne volonté d’un gouvernement qui s’est distingué par le passé par des mesures impopulaires et qui cherche, à travers des opérations de séduction, à gagner la confiance des citoyens ?


    Par Omar Berbiche

  • III. LA PROGRESSION DU CHEVAL DE TROIE






    6. La conquête des secteurs stratégiques et leur verrouillage

    Avant d'aborder les aspects pratiques de la conquête du pouvoir par les bureaucrates francophones après l'indépendance formelle de l'Algérie, il convient de préciser le concept de hizb França ainsi que sa portée dans le contexte contemporain.
    Les intellectuels francophones ne font pas tous forcément par-tie de hizb França. En effet, de nombreux intellectuels francophones comme par exemple Malek Haddad, Mohammed Harbi, Malek Bennabi etc. appartiennent à divers courants de pensée qui vont du communisme à l'islamisme en passant par le nationalisme. Ils ont pris leurs distances, chacun à sa manière, de l'Etat et de sa technostructure.

    Quant à hizb França, il comprend d'anciens officiers de l'armée française, des hauts fonctionnaires et des intellectuels de différentes professions libérales (médecins, avocats, enseignants, entrepreneurs, etc.). Ils ont en commun l'attachement à la France et au mode français de vie et de pensée, considéré par eux comme modèle de référence. Ce phénomène est en fait le produit de la politique française qui, depuis la conquête de l'Algérie au XIXème siècle, avait encouragé la formation d'élites algériennes pour servir de courroie de transmission entre le pouvoir colonial et le peuple algérien en vue d'encadrer les populations et de leur « transmettre les impulsions de l'autorité. L'armée et l'école françaises avaient plus ou moins profondément acculturé ces élites à la nation dominante qui leur réservait un statut privilégié au-dessus de leur peuple74 ».
    Le « parti français » n'est pas un parti organiquement structuré au sens traditionnel du terme, mais constitue une nébuleuse qui milite pour l'attachement de l'Algérie au modèle culturel français et pour la francophonie, devenue une idéologie au service du néocolonialisme.


    74 Guy Perville, Les étudiants algériens de l'université française, 1880-1962, cité par M. Hamoumou, Et ils sont devenus harkis, op. cit., p. 63.


    La longue présence française, plus d'un siècle et quart en Algérie, ainsi que la stratégie arrêtée et mise en œuvre par la France entre 1958 et 1961 pour promouvoir l'Algérie au statut néocolonial et la maintenir sous sa domination ont considérablement renforcé hizb França (le parti français) et ont contribué à miner dangereusement l'indépendance du pays.
    C'est ainsi que, après l'indépendance, hizb França n'a eu aucun mal à s'installer dans les rouages de l'Etat tant dans l'administration centrale (ministères) et régionale (wilayate, communes) que dans l'ensemble des secteurs économiques (agriculture, industrie, banques, douanes, services). L'étatisation de l'économie et les nationalisations intervenues à partir de 1966 ont facilité l'extension de la sphère d'influence de hizb França. Ceci constitue une occasion pour les bureaucrates formés au moule colonial de s'engager dans les projets étatiques dans tous les secteurs d'activité.



    6.1. L'émergence de la technostructure dans l'Algérie indépendante

    Au sommet de l'Etat, les responsables politiques ne se préoccupent que de leur maintien au pouvoir en refusant l'idée de l'alternance du pouvoir dans un cadre démocratique. Ils tiennent leur légitimité de la participation ou de la fréquentation de la Révolution. Ils ne disposent ni d'orientation idéologique claire, ni de projet de société, ni de programme politique précis. Ils se contentent d'imposer au nom du nationalisme le projet industrialiste (à partir de la seconde moitié de la décennie 1960) en s'appuyant sur la technostructure qui se trouve être francophile. Pour combler leur déficit de légitimité, pour consolider leur statut social et pour bénéficier ou préserver des privilèges de toutes sortes, les bureaucrates et les technocrates ont incontestablement constitué les agents actifs du pouvoir.
    La nature dirigiste, étatiste, autoritaire et paternaliste du régime algérien depuis l'indépendance a non seulement ouvert la voie à la médiocrité et à l'opportunisme, mais a généré un climat d'indiffé

    rence et de démobilisation des masses et d'un bon nombre de cadres intègres et compétents au fil des années. Ceci a conduit à une double césure : coupure entre les bureaucrates et technocrates et la société algérienne d'une part et création d'un fossé grandissant entre gouvernants et gouvernés d'autre part. Le divorce entre ces bureaucrates et le peuple algérien traduit la rupture entre la culture populaire ancrée sur la civilisation arabo-musulmane et la culture des bureaucrates formés par l'école française ou par l'administration (plutôt répressive) ou l'armée coloniale75.

    Par ailleurs, le rôle du bureaucrate est, par intérêt, de servir de hauts responsables en justifiant le pouvoir en place et en défendant sa légitimité. Ainsi, dans une société dépourvue d'espaces de liberté, les pratiques administratives et politiques non démocratiques contribuent à accroître l'exclusion et al-hogra c'est à dire le mépris des citoyens par les bureaucrates et les représentants de l'Etat. On arrive ainsi à une situation curieuse où ce n'est pas l'administration qui est au service du citoyen comme cela devrait être le cas, mais c'est le citoyen qui est à la merci du bureaucrate. Ce qui ouvre la voie à la corruption, aux passe-droits (qui défient le droit et la justice), à l'impunité et à toutes sortes d'injustices. L'ensemble de ces facteurs a conduit à l'effondrement du respect de l'autorité de l'Etat dès le milieu des années 1970 comme nous allons le voir plus loin.
    Maintenant, nous allons examiner de plus près comment Boumediène a contribué à stabiliser la bureaucratie pour renforcer son pouvoir, puis comment hizb França a réussi à s'installer dans l'ensemble des secteurs stratégiques pour conduire l'Algérie dans la situation catastrophique que nous connaissons aujourd'hui à la fin du XXème siècle.




    6.2. La consolidation du hizb França dans les pricipaux secteurs

    Le coup d'Etat de 1965 a permis à Boumediène de stabiliser, puis consolider la bureaucratie dans le cadre d'une politique de contrôle
    75 J. Moch, En 1961, paix en Algérie, cité par M. Hamoumou, op. cit., p. 84. Selon Jules Moch, « une grande partie des jeunes musulmans formés par l'école française, imprégnés de nos principes juridiques, moraux et politiques, aurait aimé oeuvrer pour l'Algérie avec la France ».

    par l'Etat de tous les secteurs d'activité économique, sociale, culturelle et administrative dans le but de renforcer son pouvoir sans partage.
    La répression du mouvement syndical et de l'union des étudiants, ainsi que « l'épuration » du parti FLN dès juin 1965, suivies par la neutralisation du mouvement nationaliste au sein de l'armée (ANP), notamment après le « putsch » raté du colonel Tahar Zebiri du 14 décembre 1967, constituent des éléments décisifs d'un processus lancé après l'indépendance de l'Algérie et destiné à mettre fin au projet révolutionnaire et populaire véhiculé par la guerre de libération nationale. L'orientation du régime consiste depuis lors à renforcer la bureaucratie, désormais nécessaire à sa survie, en prenant toutefois le soin de tenir un discours en apparence socialiste et égalitaire destiné à améliorer sa popularité.

    Sur le plan interne, le régime utilise le socialisme de façade comme gage pour la construction d'une société égalitaire pour anesthésier le peuple algérien qui a toujours été sensible à la justice sociale, à la liberté et à la dignité. La rente pétrolière sert de combustible pour alimenter le projet socialiste, basé sur l'étatisation de l'économie et sur la distribution d'avantages sociaux, pour cacher les problèmes réels du pays.

    En fait, le régime se contente d'octroyer avec paternalisme des projets conçus bien loin des citoyens. Pour la mise en œuvre de ses projets, le pouvoir utilise des subterfuges et de gros moyens pour, selon la formule consacrée, « mobiliser » selon les cas des travailleurs, des étudiants ou des paysans. Mais en même temps, le pouvoir n'hésite pas à freiner ou à réprimer tout mouvement revendicatif ou toute action politique qui tendrait directement ou indirectement à conduire à un partage du pouvoir, si minime soit-il.
    Sur le plan externe, le discours tiers-mondiste officiel est fondé sur la dénonciation de l'impérialisme ainsi que l'aide et le soutien aux mouvements de libération nationale dans le monde. Plus tard, après le choc pétrolier de 1973-1974, poursuivant sa politique de prestige, l'Algérie devient le champion du dialogue Nord-Sud et de l'établissement d'un nouvel ordre international. Le prestige international de l'Algérie (qui remonte d'ailleurs à la Révolution et à la guerre de libération nationale) est exploité pour la consommation

    locale au moment où la situation économique et sociale réelle était loin d'être brillante.
    Pour élucider la contradiction apparente entre Boumediène, formé essentiellement en arabe à l'université d'Al-Azhar, partisan de la civilisation arabo-musulmane et imprégné des valeurs de la Révolution algérienne, d'une part, et hizb França qui a réussi à consolider ses positions dans les structures de l'Etat sous son règne, d'autre part, il convient de donner un éclairage rapide sur la personnalité de Boumediène76.

    Boumediène est un homme secret, froid, prudent, méfiant, austère et autoritaire. Il a incontestablement des qualités de chef. Très intelligent et doté d'une excellente mémoire, Boumediène a une haute idée de lui-même. Il ne croit ni en la démocratie ni aux vertus du peuple. Il n'accepte jamais la critique si constructive soitelle. Il pense qu'il est le mieux placé pour décider du sort du peuple algérien. Paternaliste, il se pose en tuteur du peuple. Il a des ten-dances fascisantes.
    Partisan de l'ordre et de la discipline, Boumediène tient à être informé de tout et avec précision. Au début de sa carrière, il exige que les informations et les renseignements qui lui parviennent soient toujours étayés par des arguments et des preuves. Son ambition est de faire de l'Algérie un pays économiquement avancé et une puissance régionale dans le monde arabe et en Afrique. Boumediène veut un Etat fort et très centralisé. Il néglige le facteur humain et pense qu'on peut tout obtenir avec de l'argent : assistance technique étrangère, transfert de technologie, industrialisation, progrès technique, croissance économique. Il n'a aucun respect pour l'individu et aime cultiver la dépersonnalisation des responsables politiques qui l'entourent. Il écarte systématiquement du pouvoir des dirigeants ou des chefs ayant une forte personnalité même s'ils sont compétents, constructifs et intègres. En un mot, il ne veut ni de près ni de loin d'un concurrent potentiel.

    76 J'avais connu Boumediène pendant la guerre de libération nationale entre 1959 et 1962. Je continuais à le voir régulièrement après l'indépendance non seulement lorsque j'exerçais les fonctions de wali entre 1963 et 1965 mais même plus tard. Je le rencontrais de manière informelle soit chez lui soit à son bureau jusqu'en 1967 lorsqu'il s'est brouillé avec le colonel Tahar Zebiri, alors chef d'état-major et avec Ali Mendjeli, membre du conseil de la révolution.

    Pour réaliser ses ambitions, Boumediène s'appuie sur un groupe restreint d'hommes de confiance qui constituent le noyau dur du régime, sur des technocrates et sur l'assistance technique étrangère pour concrétiser sa révolution industrielle.
    Initialement de formation arabo-musulmane, Boumediène a été influencé par deux courants de pensée contradictoires : le capitalisme et le communisme. Boumediène n'a jamais été marxiste ni communiste. Mais il a lu de nombreux ouvrages de Lénine et de Mao Tsé Toung pendant la guerre de libération. Avec le courant communiste il a en commun le culte de la personnalité, l'étatisme, la primauté de l'économique sur le politique, le totalitarisme, le non-respect des libertés fondamentales notamment la liberté d'expression et les libertés individuelles. Par contre, il ne croit pas en l'internationalisme.

    S'agissant du capitalisme, Boumediène est impressionné par les progrès scientifiques et techniques, l'efficacité organisationnelle et productive ainsi que par le niveau élevé de développement économique et par le bien-être social réalisés par les pays industrialisés et dont il souhaite faire bénéficier son pays, fût ce au prix de raccourcis. Mais il rejette les inégalités économiques et sociales prononcées générées par ce système.

    Ce sont ces trois dimensions culturelle (appartenance à la civilisation arabo-musulmane), politique (influence communiste) et économique et technique (influence capitaliste) qui inspirent à Boumediène le « socialisme spécifique » pour l'Algérie dont il rêve de faire une puissance et l'exemple pour le Tiers Monde. Sûr de lui, seul maître à bord et contrôlant tout, Boumediène pense réaliser son projet de société en s'appuyant sur des technocrates.

    C'est dans ce contexte que Boumediène a permis à une élite formée à l'école coloniale de s'installer pour de bon dans des postes de commande dans tous les secteurs d'activité. Nous verrons plus loin comment ce mélange explosif qui a miné l'Algérie indépendante et ses institutions va conduire le pays vers la ruine. Cela a été ainsi parce que le modèle de développement choisi était inadéquat et que l'Etat rongé par la médiocrité, l'opportunisme et la corruption, n'a pas été en mesure d'apporter des solutions appropriées aux multiples problèmes du sous-développement.

    Bancal dans de nombreux aspects, le projet de modernisation conçu par des technocrates (en rupture avec le peuple) et adopté par Boumediène se concentre dans la sphère matérielle et en néglige la dimension spirituelle et humaine. C'est ainsi qu'il s'est créé une sorte de symbiose entre Boumediène et la bureaucratie qui s'est renforcée sous son règne dans tous les secteurs d'activités. L'approche laïque et moderniste de Boumediène rassure et conforte la bureaucratie d'orientation française.

    En effet, Boumediène refuse d'inscrire les valeurs islamiques dans son projet et se méfie du mouvement islamique qu'il réussit à circonscrire et à neutraliser. Conscient de l'attachement du peuple algérien à l'Islam, Boumediène essaye de compenser la séparation de la religion et de la politique par le feu vert donné au ministère de l'Education pour inscrire la religion dans les programmes scolaires et par l'inscription dans la Constitution de 1976 du principe selon lequel « l'Islam est la religion de l'Etat ».
    Mais, en même temps, le ministère des Affaires religieuses est chargé de contrôler les activités islamiques dans les mosquées. Ce contrôle s'est intensifié au point où, au cours des années 1970, le prêche prononcé par l'imam le vendredi est préparé et diffusé par ce ministère à l'ensemble des mosquées du pays. Les mosquées sont ainsi devenues une tribune pour le discours officiel et le soutien inconditionnel au régime. L'essentiel pour Boumediène est d'éloigner la religion du champ politique et de cantonner l'Islam dans un rôle de symbole. Rien de plus. Ceci en vue d'assurer la pérennité du régime.

    S'agissant de la modernisation du pays, Boumediène s'appuie sur la bureaucratie pour réaliser son projet. L'industrialisation ainsi que le renforcement de l'étatisme par des nationalisations intervenues dans les domaines industriel, financier et minier et par la création de sociétés nationales publiques ont permis à Boumediène de renforcer son pouvoir autoritaire et à la bureaucratie de proliférer dans son sillage. Mohamed Harbi a bien décrit ce phénomène en soulignant que « le caractère militaire de la centralisation est multiplié par l'exode, depuis 1967, de cadres supérieurs de l'armée vers les ministères et les sociétés de l'Etat. La prolifération des couches bureaucratiques, économiques, militaires et policières s'est accomplie sur une toile de fond dominée par une grande mobilité sociale

    et la ruralisation des villes, deux phénomènes propices à la manipulation des aspirations du peuple et au pouvoir incontrôlé de l'Etat propriétaire »77.
    Ainsi, pour mener son projet grandiose de modernisation de l'Algérie, Boumediène compte sur la bureaucratie. Mais, pour renforcer son pouvoir politique, il s'appuie sur l'armée et les services de sécurité qu'il contrôle sans partage.

    77 Mohamed Harbi, Le FLN, mirage et réalité, op. cit., p. 379.



    6.3. L'armée et les services de sécurité

    Déjà bien avant l'indépendance, Boumediène s'est appuyé sur l'armée pour accéder au pouvoir. Mais, après le coup d'Etat de juin 1965, Boumediène a pris la précaution de ne pas impliquer directement l'armée et les services de sécurité dans l'exercice du pouvoir. En d'autres termes, il a utilisé l'armée et les services de sécurités pour consolider son pouvoir personnel mais sans les associer au processus de prise de décision dans les domaines politique et économique.

    Si Boumediène est respecté et craint par l'armée et les services de sécurité, il est indéniable que c'est avec sa bénédiction que la mainmise du « parti français » sur ces deux institutions a été opérée et ce dés l'indépendance de l'Algérie. Ceci contribuera à faciliter leur progression et l'extension de leur influence à de nombreux secteurs en vue d'assurer le contrôle effectif des appareils.

    6.3.1. L'armée
    Comme cela a été démontré plus haut dans le chapitre 2, l'infiltration de l'ALN par des « déserteurs » de l'armée française en 195759 et en 1961 visait la mainmise sur l'armée algérienne après l'indépendance. Nous avons vu comment ces « déserteurs » ont commencé par servir Krim Belkacem, alors ministre des Forces armées. Ils se sont mis à sa disposition pour avoir ses bonnes grâces et acquérir une légitimité révolutionnaire dont ils avaient tant besoin pour accéder aux postes de commandement. Lorsque Krim est affaibli par la crise qui a secoué le GPRA et le CNRA, ces mêmes « déserteurs » offrent leurs services au colonel Boumediène, adversaire déclaré de Krim, juste après sa désignation comme chef d'état-major général de l'ALN. Nous avons également vu comment, fraîchement débarqué à Ghardimaou où il installe son quartier général, Boumediène s'entoure aussitôt de « déserteurs » qui ont su gagner sa confiance en courbant la tête et en pliant l'échine. Ces gens conviennent parfaitement à Boumediène qui n'aime pas avoir à ses côtés ou en face de lui de fortes personnalités ou des officiers qui ont du caractère et de l'autorité. Il préfère s'entourer de gens serviles. C'est sa nature. Il les a utilisés pour s'emparer du pouvoir. Eux aussi pensaient utiliser Boumediène pour parvenir à leur fin en jouant sur le facteur temps.

    En 1962, les « déserteurs » de l'armée française comptent parmi les plus proches collaborateurs de Boumediène. Une fois nommé vice-président du Conseil et ministre de la Défense en septembre 1962, il nomme Abdelkader Chabou (lieutenant de l'armée française 4 ans auparavant) au poste de secrétaire général du ministère de la Défense nationale. Le poste sensible de directeur du personnel est confié à Lahbib Khellil, ex-sous-lieutenant de l'armée française, 3 ans auparavant. La quasi-totalité des directions centrales du ministère de la Défense a été réservée aux « déserteurs » de l'armée française.

    Ainsi, dès 1962, avant même que le sang des chouhada (martyrs) n'ait séché et que les plaies causées par une des plus farouches guerre du siècle ne se soient cicatrisées, l'ANP (l'armée nationale populaire) se trouve de fait et de droit sous le contrôle d'une quinzaine d'officiers les moins gradés de l'armée française (lieutenants et sous-lieutenant) où ils se trouvaient trois à quatre années seulement auparavant. Quelle jolie promotion. Ce groupe de « déserteurs », dont les plus actifs sont Larbi Belkheir, Khaled Nezzar, Mostepha Cheloufi, Benabbas Gheziel, Salim Saadi, Mohamed Touati et Mohamed Lamari, est dirigé par Abdelkader Chabou et Slimane Hoffman78. Le premier est discret, courtois, rancunier et sournois. Le second, plutôt effronté, a un caractère exubérant et une ambition envahissante.

    78 J'ai eu l'occasion de connaître personnellement ces deux chefs de file entre 1959 et 1962 aux frontières algéro-tunisiennes.

    Le plan de ce groupe mis en œuvre dès 1962 comporte avec effet immédiat 4 volets :

    • Démobilisation rapide, massive et sans préavis des officiers et sous-officiers maquisards nationalistes. Pour activer cette démobilisation et se débarrasser des maquisards, on a eu recours à toutes sortes de combines telles que la remise d'une aide pécuniaire importante, le recasement dans des activités commerciales (en mettant à la disposition des démobilisés un café ou un restaurant ou un fonds de commerce quelconque, déclaré « bien vacant » après le départ des Européens) ou dans l'appareil du parti FLN ou encore dans l'administration (dans des postes subalternes). Dans tous les cas de recasement, l'ancienneté des maquisards est prise en compte ainsi que d'autres avantages matériels ou mesures incitatives pour encourager le départ rapide des maquisards de la jeune armée algérienne.

    • Intégration automatique dans l'ANP d'officiers et de sous-officiers encore en service dans l'armée française après l'indépendance avec sauvegarde de leur ancienneté et de leur plan de carrière. Certains officiers, comme par exemple, le colonel Djebaïli et le commandant Bouras qui n'ont rejoint l'ANP qu'en 1968 ont aussitôt reçu des affectations dans des postes importants d'encadrement, comme nous l'avons précédemment signalé au chapitre 4.

    • Formation militaire. Le programme de formation des différentes écoles militaires et de l'école nationale des ingénieurs et techniciens de l'armée (ENITA), héritées de la période coloniale, a été mis au point et suivi, après l'indépendance, par des officiers instructeurs français au titre de la coopération technique. Cette politique de formation militaire mise en œuvre avec le concours d'officiers français vise bien entendu à créer les conditions de leur relève, un relais durable grâce à la reproduction de jeunes cadres militaires algériens dans le moule français. Cette politique de formation militaire d'orientation française a été renforcée, dès le début des années 1970, par l'envoi d'officiers de l'ANP (notamment des « déserteurs » de l'armée française et quelques officiers nationalistes tels que Liamine Zeroual et Madjdoub Lakhal Ayat) à l'école de guerre de Paris, après avoir fait l'école d'état-major de Moscou au milieu des années 1960.

    • Organisation du ministère de la défense et de l'armée. Les « déserteurs » de l'armée française se sont taillés la part du lion dans la répartition des directions centrales du ministère de la Défense dont ils ont conçu d'ailleurs l'organigramme. Boumediène les a propulsés à de très hautes fonctions au nom de la soi-disant compétence et de la technicité. Le vrai grand patron du ministère est incontestablement son secrétaire général, Abdelkader Chabou.

    Préoccupé essentiellement par la prise du pouvoir dès 1962, puis juin 1965 par la consolidation de son régime, Boumediène essaye d'établir à sa manière un certain équilibre au sein de l'armée entre les « déserteurs » de l'armée française et ce qui reste des officiers maquisards. Aux premiers, il confie la gestion du ministère de la Défense ainsi que le commandement des unités stratégiques (comme par exemple, le corps des blindés, les unités aéroportées, l'aviation, etc.). Aux seconds, il confie la direction des régions militaires (au nombre de 5 en 1962-63)79 et des secteurs militaires (dont le nombre, calqué sur celui des wilayate est passé de 15 au cours des années 1960 à 31 avec la réforme administrative de 1976).

    A l'occasion de chaque promotion d'officiers, Boumediène récompense à la fois les « déserteurs » de l'armée française et les anciens moudjahidine dans un savant dosage. Mais lorsque l'on regarde de près les attributions des uns et des autres, ce mécanisme équilibreur ne représente qu'un équilibre de façade, puisqu'il est incontestablement en faveur des anciens de l'armée française. En fait, le commandement réel de l'armée se situe au niveau du ministère de la Défense nationale et non dans les régions militaires et dans les secteurs où les postes sont plutôt honorifiques.
    En effet, la confection du budget et sa répartition par chapitre et par région, l'ensemble des opérations d'importation, le ravitaillement de l'armée ainsi que son habillement, son équipement et son armement, les activités de construction et de réalisation des infrastructures ainsi que le mouvement des troupes d'un point du territoire à un autre relèvent de la seule compétence du ministère de la Défense.

    79 Le commandement de la 1ère Région militaire (jugée stratétégique puisqu'elle couvre, outre la capitale, l'Algérois et la grande Kabylie) a été confié au commandant Said Abid.

    Dès 1962, Boumediène se décharge de la gestion de ce ministère stratégique sur son secrétaire général, Abdelkader Chabou, auquel il fait confiance. A fortiori, lorsque Boumediène cumule depuis juin 1965 les fonctions de chef d'Etat et de ministre de la Défense, les attributions du secrétaire général se sont considérablement accrues au point où ce dernier siège au conseil des ministres. Donc l'organisation, la gestion et le fonctionnement de l'armée relèvent directement du secrétaire général du ministère de la Défense.

    Après la mort « accidentelle » de Chabou en 197180, c'est Abdelhamid Latrèche, « déserteur » de l'armée française mais connu pour son patriotisme qui lui succède jusqu'à la mort de Boumediène.
    Au cours du deuxième mandat de Chadli Bendjedid (19841988), les officiers « déserteurs » de l'armée française bénéficient d'une ascension vertigineuse. Les choses s'accélèrent en leur faveur à partir de l'élimination du général Mostepha Benloucif en 1987 dont nous donnerons les détails plus bas.
    C'est ainsi que le général Mostepha Cheloufi, ancien de l'armée française, est nommé secrétaire général du ministère de la Défense en 1986. Le général Khaled Nezzar, « déserteur » de l'armée française est nommé chef d'état- major de l'armée en 1989, puis ministre de la Défense en 1990. Le général Abdelmalek Guenaizia, « déserteur » comme lui, lui succède à la tête de l'état-major en 1990. La boucle est ainsi bouclée. Pour la première fois depuis l'indépendance, les postes de ministre de la Défense, de chef d'état-major de l'armée et de secrétaire général du ministère de la Défense se trouvent entre les mains d'anciens officiers de l'armée française. C'est d'ailleurs au cours de cette période que deux faits majeurs interviennent : d'une part, la restructuration de l'armée, fondée sur la marginalisation des régions militaires et sur le renforcement de la centralisation du commandement au profit du ministère de la Défense et de l'état-major général, et d'autre part l'élaboration d'un plan d'action, mis en œuvre juste après le coup d'Etat de janvier 199281.

    80 Un cadre supérieur (dont je ne peux révéler le nom pour des raisons évidentes de sécurité), associé aux travaux d'analyse des débris de l'hélicoptère, officiellement « accidenté », qui transportait Chabou et ses compagnons, m'a confirmé en son temps que l'équipe, chargée de l'investigation a trouvé des traces d'explosifs dans ces débris et a conclu à l'attentat. Par ailleurs, d'après des sources sûres, très proches du chef de l'Etat, le Président Boumediène a eu des informations sur l'imminence d'un coup d'État fomenté contre lui par la France. Il a aussitôt déduit que le coup ne pourrait venir que de Abdelkader Chabou, ancien « déserteur » de l'armée française, son homme de confiance, à qui il a précisément confié le fonctionnement du ministère de la défense et le commandement de l'armée depuis l'indépendance. Il convient de faire un rapprochement entre cette tentative de coup d'État, avorté à temps, et les deux tentatives d'assassinat du roi Hassan II organisées par le général Oufkir, ancien officier de l'armée française, dont la première a eu lieu au Palais de Skhirat en juillet 1971 et la seconde en 1972 avec l'attaque du Boeing royal en plein ciel par six chasseurs de l'armée marocaine. Ces informations accréditent la thèse de l'empoisonnement de Boumediène en 1978, soutenue par certains boumediènistes. C'est, en effet, quelques années après la mort de Boumediène que le contrôle total de l'armée par les « déserteurs » de l'armée française a été effectif.

    C'est en 1990 que s'est confirmé pour moi et quelques amis le début de la fin de la carrière politique de Chadli Bendjedid qui a commis l'imprudence de les nommer tous à des postes aussi stratégiques sans contre poids quelconque.
    Cette erreur fatale du président Chadli est d'autant plus dramatique pour l'Algérie que l'armée dispose de services de sécurité qui lui sont organiquement rattachés comme la puissante Sécurité militaire et la Gendarmerie nationale.




    6.3.2. Les services de sécurité
    L'organisation des services de sécurité a évolué entre 1962 et 1998 en fonction des changements opérés à la tête de l'Etat. Nous n'allons pas suivre les méandres des différentes restructurations que les services de sécurité ont connues au cours de cette longue période où des polices parallèles apparaissent et disparaissent au gré des événements. Ceci sort de notre champ d'investigation et ne change d'ailleurs rien à la nature de la question qui nous occupe ici et qui se rapporte à la conquête des secteurs stratégiques par le hizb França. C'est pourquoi, nous nous limiterons ici aux trois corps essentiels de sécurité qui ont survécu à toutes les restructurations à savoir : la Gendarmerie nationale, la Sécurité militaire et Direction générale de la Sûreté nationale (DGSN).

    81 Pour plus de détails, cf. Mémoires du général Khaled Nezzar, pp. 224-230 (Alger: Chihab, 1999).

    6.3.2.1. La Gendarmerie nationale
    La Gendarmerie nationale, fief de hizb França a été longtemps considérée comme une direction centrale du ministère de la Défense. Entre 1962 et 1997, le commandement de la Gendarmerie a été successivement confié à Ahmed Bencherif (1962-1977), à Mostepha Cheloufi (1977-1986) et à Abbas Gheziel (1986-1997), tous anciens de l'armée française.
    La Gendarmerie nationale représente l'exemple type d'appareil qui est investi dès sa création par des « déserteurs » de l'armée française et verrouillé par un dispositif particulier de sélection, de recrutement et de formation dans la pure tradition coloniale.
    En 35 ans, la Gendarmerie a eu à sa tête trois chefs seulement. Cette stabilité l'a rendue imperméable à toute réforme. Instrument de répression et rongée par la corruption, la Gendarmerie est considérée au cours de cette longue période comme une chasse gardée de hizb França et une enclave française.


    6.3.2.2.La Sécurité militaire
    A l'inverse de la Gendarmerie nationale qui a été créée ex-nihilo en 1962, la Sécurité militaire est constituée par le personnel du MALG83 (ministère de l'Armement et des Liaisons générales) qui a déserté le GPRA et rejoint l'EMG, juste après l'indépendance.
    De formation et d'orientation françaises, ces cadres transfuges ont dominé sans partage la Sécurité militaire entre 1962 et 2000 (au moment où nous rédigeons ces lignes). Les responsables de la Sécurité militaire, notamment les généraux Mohamed Mediène, dit
    82 Pour plus de commodité, nous utiliserons le terme de sécurité miltaire dans cet ouvrage pour désigner ce corps quelques soient les appellations qu'il a eues entre 1962 et 1999.

    83 Le MALG est dirigé par Abdelhafid Boussouf depuis la création du GPRA en 1958. Ce ministère est composé de trois départements chargés respectivement de l'armement, du corps de transmissions et des services de renseignements. Boussouf a réussi à faire du MALG un puissant appareil où toute une génération de cadres disciplinés et conformistes ont été formés. Ces cadres dirigés d'une main de fer « sont en majorité des enfants de fonctionnaires du protectorat marocain » liés à la France comme le note si justement Mohammed Harbi dans son livre Le FLN, mirage et réalité, op. cit., p. 314.

    Toufik et Smail Lamari (en poste de 1989 à ce jour), sont connus pour leurs attaches avec la France et pour des relations asymétriques avec les services spéciaux français. La stabilité de ce corps, à l'exception du passage éphémère à la tête de ces services du général Lakhal Ayatt et du général Mohamed Bétchine (tous deux d'anciens maquisards, mais liés à hizb França, pour des raisons tactiques et pour des affinités de comportement) a facilité l'extension de l'influence française dans ses rouages et dans d'autres appareils avec sa bénédiction.
    Sa responsabilité est lourde dans ce domaine du fait de l'infiltration par ses éléments dans l'administration (au niveau des directions stratégiques de tous les ministères, au niveau des wilayate et des communes économiquement importantes), dans le secteur économique (sociétés nationales industrielles, organismes et offices agricoles, banques, compagnies d'assurance, etc.) ainsi que dans le secteur de l'information et de la culture (pour le contrôle des médias, la défense de la francophonie et de la laïcité etc.). La réglementation prévoit que la Sécurité militaire donne son feu vert pour le recrutement et la promotion des cadres de l'Etat.
    C'est ainsi que, la Sécurité militaire a réussi à être présente en plaçant ses hommes dans tous les secteurs d'activité économique, sociale, culturelle et administrative du pays grâce à un réseau dense à tous les échelons du processus de décision dans le secteur public depuis le début des années 1970.

    6.3.2.3. La Direction générale de Sûreté nationale
    A l'instar de la Gendarmerie et de la Sécurité militaire, la Direction générale de la Sûreté nationale (DGSN) a été prise en charge par hizb França dès 1962, même si différents responsables nommés à la tête de cette institution ont appartenu à l'ALN. Mais depuis le coup d'Etat de juin 1965, la DGSN a connu une stabilité étonnante. En 22 ans, la DGSN a été dirigé par deux responsables seulement : entre 1965 et 1977 par Ahmed Draia (ancien officier de l'ALN) et entre 1977 et 1987 par Hédi Khédiri (arrivé aux frontières algérotunisiennes en 1961 de France où il était étudiant).
    Mais le recrutement des cadres, la formation des officiers de police ainsi que le fonctionnement de cet appareil obéissent à des critères, des méthodes et des pratiques de l'ère coloniale. D'ailleurs,

    les relations soutenues des responsables de la DGSN avec les services spéciaux français sont bien connues dans les allées du pouvoir.
    Même si la DGSN est théoriquement sous la tutelle du ministre de l'Intérieur, son directeur général reporte directement au chef de l'Etat et ce depuis 1965. Mais lorsque Zéroual arrive à la Présidence de la République en 1994, c'est un ancien officier de la Sécurité militaire, Ali Tounsi dit El Ghouti84, qui est nommé à la tête de la DGSN, mettant ainsi fin à l'autonomie de cette institution en en faisant un appendice de l'armée, elle-même entièrement contrôlée par des anciens de l'armée française depuis 1989.

    Ainsi, depuis 1994, l'ensemble des services de sécurité se trouve sous le contrôle de l'armée ne laissant au chef de l'Etat que les services parallèles relevant de la Présidence de la République et qui n'ont pas l'envergure des trois services ci-dessus mentionnés.
    Derrière cet aspect organisationnel se cache en fait la démarche totalitaire d'une poignée de généraux d'orientation franchement française qui, conseillés par des services spéciaux français85, contrôlent sans partage la vie politique algérienne depuis le coup d'Etat de janvier 1992 et tirent les ficelles dans les allées du pouvoir sans s'impliquer directement dans la gestion catastrophique des affaires politiques, économiques et sociales du pays. Il convient de rappeler à cet égard qu'entre 1992 et 2000, l'Algérie a eu 4 chefs d'Etat, 6 premiers ministres et des centaines de ministres, tandis que les 4 généraux impliqués dans le coup d'Etat de 1992 sont toujours à leurs postes respectifs au cours de cette période86.

    84 Selon le Mouvement algérien des Officiers libres (MAOL), Ali Tounsi, fils d’un officier de l’armée française établi au Maroc, a été arrêté au maquis dans la wilaya V (Ouest algérien) et a été intégré en 1960 au sein du commando « Tempête » dit « Georges » de l’armée française, composé de « supplétifs récupérés » opérant sous les ordres de l’officier français De Saint Georges. Cf. Internet du MAOL : www.anp.org.
    85 Une liste d'officiers français exerçant auprès des généraux éradicateurs de l'ANP est donnée en 1998 par le Mouvement algérien des Officiers libres dans leur site sur Internet : www.anp.org.
    86 Il s'agit des généraux Mohammed Lamari, chef d'état-major, Mohammed Mediene dit Taoufik, responsable de la sécurité militaire et son adjoint Smail Lamari ainsi que leur conseiller Mohammed Touati. Selon le Mouvement algérien des Officiers libres (MAOL), Mohamed Touati avait participé en 1956, alors qu'il était dans l'armée française, au massacre de dizaines de jeunes Algériens au douar de Beni Flik à un kilomètre de la localité d'Azefoun, par représailles à une attaque de l'ALN.
    Il convient de noter à ce propos que Mohamed Lamari et Mohamed Touati ont rejoint le FLN respectivement au Maroc et en Tunisie, en « désertant » l'armée française en 1961 à quelques mois du cessez-le-feu. Mais, les généraux Khaled Nezzar et Larbi Belkheir, cerveaux du coup d'État de 1992 et officiellement en retraite, disposent toujours d'une certaine influence dans ces cercles.

    Quelques exemples méritent d'être rappelée pour illustrer l'opacité de la gestion des services de sécurité. Toutes leurs actions ten-dent à renforcer leur pouvoir et à assurer la pérennité du système.

    6.3.2.4. La gestion opaque des services de sécurité
    Au cours des décennies 1960 et 1970, le régime utilise les services de sécurité pour asseoir et conforter son autorité avec un mépris absolu de l'intérêt général et de la transparence. La décennie 1980 assiste au renforcement du rôle des services de sécurité qui s'acheminent allègrement vers l'autonomie. Cette étape est décisive et a permis notamment à la Sécurité militaire de jouer un rôle très actif dans le coup d'Etat de janvier 1992 avant de s'emparer du pouvoir à son profit et à celui de l'armée.
    Nous allons maintenant voir, à titre d'illustration et de manière non exhaustive, trois exemples qui montrent comment ils ont pu accroître leur pouvoir dès les années 1960 alors qu'ils sont au service du chef de l'Etat, à savoir : l'élimination politique des responsables de l'ALN, l'extension de leur champ opératoire et le recours à la politique des rumeurs.

    a) L'élimination politique des responsables de l'ALN
    Il n'a pas suffi au pouvoir de se débarrasser d'un grand nombre d'officiers de l'ALN en les démobilisant dès 1962 et 1963 pour avoir les mains libres comme on l'a vu plus haut. Il fallait également écarter de la scène politique des chefs de l'ALN, qui ont exercé d'importantes responsabilités durant la guerre de libération, mais jugés redoutables par le pouvoir. Car pour Boumediène, en dehors du groupe de Oudjda87, il ne s'agit pas d'associer qui que ce soit au pouvoir.

    87 Le groupe de Oudjda est constitué au départ de Kaid Ahmed, Abdelaziz Bouteflika, Chérif Belkacem, Ahmed Medeghri et Tayebi Larbi.

    Les anciens chefs de l'ALN ont été éliminés par étapes. Certains, comme le commandant Ali Mendjeli, le colonel Salah Boubnider et le colonel Youssef Khatib sont écartés en 1967 du conseil de la révolution, instance suprême du pays, où ils siègent depuis le coup d'Etat de 1965. D'autres, comme le colonel Tahar Zebiri, alors chef d'état-major de l'ANP, et le colonel Saïd Abid, alors chef de la première région militaire, tous deux membres du conseil de la Révolution et connus pour leur opposition au groupe de Oudjda, sont victimes d'une machination diabolique de la Sécurité militaire et sont amenés à tenter de renverser Boumediène par la force en décembre 196788. Après l'échec de leur tentative de coup d'Etat, le premier a fini par prendre le chemin de l'exil et le second est victime d'un meurtre maquillé en suicide, exécuté par un ancien officier de l'armée française dépêché à Blida (siège de la 1ere région militaire) par Boumediène et Chabou. D'autres encore, comme le colonel Abbas de la wilaya V, alors commandant de l'Ecole militaire interarmes de Cherchell et membre du conseil de la révolution, connu pour ses différends politiques avec Boumediène, perd la vie dans un « accident » de la route entre Cherchell et Alger en 1968.

    En outre, le pouvoir lance à partir de 1968 une opération corruptrice destinée à ligoter certains chefs de l'ALN déjà politiquement écartés en vue de les discréditer et de leur fermer à jamais l'espace politique. Il s'agit d'offrir, par la voie du ministère des Finances, à d'anciens responsables de l'ALN une importante aide financière sous forme de crédits en grande partie non remboursables pour se lancer dans des affaires et créer des entreprises. Des facilités de toutes sortes accompagnent ces crédits comme l'octroi d'un terrain à bâtir, l'importation d'équipements et de machines, etc. De nombreux colonels et commandants de l'ALN ont bénéficié de cette aide piège89. Les services de sécurité ont été par la suite chargés de les avilir par la rumeur. La crédibilité politique de ces anciens officiers de l'ALN a été ainsi battue en brèche dans une société égalitaire où le régime proclame de surcroît son attachement au socialisme et à la justice sociale. Le slogan lancé alors par Boumediène lui-même est de « choisir entre la richesse et la révolution ».

    88 La sécurité militaire a fait croire au colonel Tahar Zebiri que son arrestation par Boumediène était imminente pour le pousser à la fuite ou à la rébellion et donc à son élimination définitive de l'armée.
    89 En 1968, j'ai personnellement été maintes fois approché par des représentants du pouvoir pour bénéficier de cette aide que j'ai toujours refusée pour des raisons politiques et morales. Pour me faire changer d'avis, on m'envoie mon frère aîné, alors directeur de l'hebdomadaire El Moudjahid, pour me convaincre d'accepter leur offre qui était de 2,5

    Ainsi, dès 1969, Boumediène réussit à se débarrasser des anciens chefs de l'ALN, considérés comme une menace pour son régime, et à les éloigner de son vivant définitivement du champ politique. Toutes les conditions sont alors réunies pour que le régime poursuive la consolidation de son emprise sur l'ensemble des secteurs d'activité en toute tranquillité. C'est ainsi que les services de sécurité ont vu leur champ d'intervention s'étendre en conséquence.

    b) L'extension du champ opératoire des services de sécurité
    Les services de sécurité contribuent à consolider la technostructure dans l'ensemble des secteurs d'activité de manière progressive.
    Ils ont commencé d'abord par cibler les secteurs stratégiques dont ils veulent s'assurer le contrôle. Cela consiste à renforcer la présence des services de sécurité dans les ministères de souveraineté comme ceux des Affaires étrangères, de l'Intérieur et de la Justice, non seulement dans l'administration centrale, mais également dans les services extérieurs (ambassades, consulats, wilayate, etc.). Cette présence s'opère à travers le choix de cadres qui ont des attaches avec les services de sécurité à l'occasion des nominations dans des emplois supérieurs.
    Il s'agit, ensuite, pour les services de sécurité d'étendre leur contrôle aux ministères économiques comme ceux des Finances, de l'Industrie et de l'Energie, de l'Agriculture, du Commerce et des Transports. Au-delà des ministères, ce contrôle s'étend aux sociétés d'état, aux offices et organismes publics à caractère industriel, agricole, commercial, financier ou autre dont les directeurs généraux ainsi que les directeurs occupant des postes stratégiques doivent
    millions de dinars soit l'équivalent de 630 000 dollars en 1968. Cela représentait à l'époque une fortune.

    être agréés au préalable par les services de sécurité avant leur nomination par le ministre considéré.
    Enfin, au-delà des ministères de souveraineté et des ministères économiques, les services de sécurité interviennent dans un cadre réglementaire précis90 lors du choix des directeurs et des sousdirecteurs de tous les ministères sans exception, ainsi que pour la nomination des directeurs généraux de l'ensemble des entreprises ou organismes d'Etat quelle que soit leur tutelle. A travers ce mécanisme de nomination des cadres à des emplois supérieurs, les services de sécurité sont arrivés à étendre de manière effective leur contrôle à l'ensemble des ministères et à tous les organismes ou sociétés d'Etat vers le milieu des années 1970.

    Le suivi et la gestion des cadres sont assurés par un département de la Présidence de la République, chargé par ailleurs de la coordination entre les différents service de sécurité. Ce département, géré depuis 1979, par un ex-officier de l'armée française, dispose de pouvoirs discrétionnaires sur l'ensemble des appareils administratifs et économiques du pays. Ce département utilise ses prérogatives exorbitantes soit pour aider les ministres appartenant à la mouvance francophile ou, au contraire, pour gêner ceux qui n'en font pas partie. C'est ainsi que j'ai eu beaucoup de difficultés à faire nommer des cadres supérieurs au ministère de la Planification en 198091.

    90 La réglementation prévoit que la nomination par décret des cadres aux hautes fonctions de l'Etat est obligatoirement soumise à une enquête préalable des différents services de sécurité.

    Mais depuis 1980, le président Chadli décide que les ministres sont tenus de présenter trois candidats (au lieu d'un seul comme précédemment) pour un poste, pour augmenter la marge de manoeuvre de la Présidence de la République dans le choix des cadres. Cette nouvelle procédure a mis au grand jour les désaccords entre les différents services de sécurité sur l'appréciation des cadres, chaque service voulant placer « ses » cadres. L'absurdité, dans cette lutte d'influence, a été poussée au point qu'un candidat est rejeté par un service avec force d'arguments sur son incompétence et sa malhonnêteté alors qu'il est défendu par un autre service pour son intégrité et sa compétence avec des preuves à l'appui. Cependant la Sécurité miliaire reste incontestablement la plus influente à tort ou à raison.

    91 Il arrive souvent que lorsque des cadres intégres et compétents mais qui n'ont pas de fil à la patte sont proposés à de hautes fonctions, ils sont rejetés par les services de sécurité et/ou par les services de la Présidence. Ce rejet est fondé non sur l'appréciation des aptitudes professionnelles des candidats aux emplois supérieurs ou sur leur appartenance à un courant politique déterminé, mais pour affaiblir le ministre concerné qui ne fait pas partie du clan francophile. Autrement dit, ce ne sont pas les cadres proposés à occuper de hautes fonctions qui sont personnellement visés par de tels rejets, mais c'est le ministre employeur qui est visé. Les exemples abondent. Mais, je n'en citerai que deux pour illustrer cette situation absurde dont j'ai été victime en 1980 lorsque j'étais ministre de la planification. Concernant le cas de Kamel B., un cadre brillant, consciencieux et infatigable, proposé par mes soins au poste nouvellement créé de directeur général chargé de l'aménagement du territoire, sa nomination a été bloquée pendant plus d'une année sans raison malgré mes différents rappels. Finalement, je demande au colonel Gheziel, « déserteur » de l'armée française, alors chef de département à la Présidence, les raisons du blocage de cette nomination. Il me sort son dossier et me répond que Kamel B. ne peut pas être nommé à ce poste parce qu'il s'adonne à l'alcool. Je lui réponds que son fichier n'est pas à jour puisque non seulement Kamel a cessé de boire, mais qu'il pratique régulièrement la prière depuis plus d'un an et que sa conduite est irréprochable. Coincé, le colonel Gheziel me répond que la prière n'est pas un critère pour la nomination des cadres. Il a fallu l'intervention du Président Chadli lui-même pour obtenir la nomination de Kamel B.
    Concernant H. Nasser, proposé au poste de sous-directeur chargé des questions financières, dont la procédure de nomination a été également bloquée, le colonel Gheziel (qui n'a même le baccalauréat) me répond qu'il n'est pas qualifié pour le poste pour lequel il est pressenti. Je lui rapelle que H. Nasser est titulaire d'un doctorat en économie financière de l'université de Louvain (Belgique), qu'il est très qualifié pour ce poste et que je suis professionnellement mieux placé que lui pour juger de sa compétence. Je n'ai jamais pu obtenir sa nomination par décret comme sous-directeur. Je l'ai maintenu quand même à son poste où il s'en est très bien tiré. Mais, quelques années plus tard, compte tenu de sa sensibilité politico-culturelle, il a été « récupéré » par la Présidence comme directeur en 1986 et en 1990 il fut nommé Gouverneur de la Banque Centrale.

    Ainsi, de la Présidence de la République jusqu'aux wilayate, aux ambassades, aux entreprises d'Etat en passant par l'ensemble des ministères, les cadres supérieurs sont choisis par les différents services de sécurité, contrôlés par hizb França.
    Le rôle des services de sécurité dans la procédure de nomination aux emplois supérieurs leur permet de disposer d'un réseau appréciable pour mener à bien, entre autres, leur propre politique.
    Les services de sécurité disposent, dans l'ombre, de pouvoirs redoutables. Pour eux, il n'y a pas de frontières entre le politique (le gouvernement, l'appareil du FLN), le législatif (les candidats à l'Assemblée Nationale (APN) sont d'ailleurs choisis en dernier res-sort par les services de sécurité), le réglementaire (l'administration contrôlée par eux) et le judiciaire (leur domaine favori d'intervention). Ils interviennent pratiquement dans tous les domaines.

    c) La rumeur, outil de gestion politique
    La politique des rumeurs et l'instrumentalisation de l'opinion par les services de sécurité à des fins politiciennes remonte aux années 1960, juste après l'indépendance.
    Au sommet, compte tenu de la nature même du régime, les dirigeants ne se préoccupent que de leur maintien au pouvoir. Ils ne sont pas là pour régler les problèmes économiques, sociaux et culturels d'un peuple épris de liberté et de justice en s'inscrivant dans une perpective à moyen et long terme. Ils sont là pour défendre leurs privilèges et renforcer le contrôle du champ politique au nom de l'idéologie officielle. Ils sont coupés des réalités sociales.

    La gestion des ressources humaines, matérielles et financières du pays s'opère dans des cercles fort restreints, dans le secret et dans l'opacité totale. Instrument du pouvoir, le secret est cultivé au plus haut niveau de l'Etat et s'impose dans tous les rouages. Un régime autoritaire et paternaliste exclut, par définition, de sa démarche toute tentative de transparence et de sanction des résultats dans la gestion des affaires publiques. C'est pourquoi, le secret, la rumeur, la manipulation des informations et la désinformation permettent au système d'opérer des montages destinés à éliminer des hommes politiques ou des cadres supérieurs jugés encombrants que l'on donne en pâture à l'opinion publique en fonction de la conjoncture. Tout cela est planifié et exécuté pour détourner l'opinion publique de ses préoccupations réelles et de ses aspirations profondes. Ces montages constituent donc des opérations de diversion qui visent en même temps à « crédibiliser » le régime en donnant l'impression que les actes du pouvoir sont réfléchis, appropriés et justes et répondent aux préoccupations des citoyens.

    Les services de sécurité sont bien rompus à ce genre d'exercice qui constitue d'ailleurs leur domaine de prédilection. Ils disposent à cet effet de véritables appareils de propagande pour gérer la rumeur en vue de rendre crédibles des choses préfabriquées.
    Cette technique a été utilisée notamment depuis les années 1970 pour occuper le champ politique et empêcher l'émergence de courant de pensée politique capable de devenir populaire et s'imposer pacifiquement comme alternative crédible.

    Dans ce cadre, le pouvoir a joué sur deux claviers. D'une part, il oppose la gauche, notamment le PAGS (le parti d'avant-garde socialiste) au mouvement islamique. D'autre part, il dresse les francophones aux arabophones. Tous les courants de pensée sans exception sont infiltrés et manipulés par les services de sécurité. Tant et si bien que les services de sécurité ont réussi à gérer la rumeur soit par radio-trottoir, soit par le biais de tracts rédigés et distribués au nom de l'un ou l'autre courant politiquement interdit. Ils l'ont fait également pour dénoncer certains cadres ou certains faits liés à la corruption ou au comportement scandaleux de certains dirigeants afin de préparer l'opinion publique à leur élimination.

    Le recours à cette technique a culminé au cours des années 1990 avec l'infiltration et la manipulation des GIA (groupes islamiques armés, appelés d'ailleurs par les connaisseurs de la situation en Algérie « les groupes islamiques de l'armée »). Des tracts diffusés au nom des extrémistes du GIA ont été inspirés et dictés par les services de sécurité. De même, de nombreux attentats attribués au GIA contre des civils innocents, algériens ou étrangers92, contre des intellectuels et contre des journalistes ainsi que des massacres collectifs (comme ceux de Médéa en janvier 1997, ceux de Ben Talha, Rais et Beni Messous93 dans la banlieue d'Alger en août 1997 et janvier 1998 ou ceux de Relizane en janvier 1998) auxquels n'échappent ni femmes, ni enfants, ni personnes âgées sont en fait inspirés, initiés et souvent exécutés par des services, par les « escadrons de la mort », (unités spéciales sous le commandement de l'armée) ou des milices créées par le gouvernement et équipées par l'armée depuis 1994. Ils le font notamment pour diaboliser l'Islam

    92 Une personnalité française m'a affirmé, en 1996, que le Président Chirac a fait parvenir un message au Président Zeroual, juste après les élections présidentielles algériennes de novembre 1995, par lequel il l'informe, entre autres, que la France n'acceptera plus jamais que les services de la Sécurité militaire algérienne organisent désormais des attentats en France comme ils l'ont fait dans le métro de Paris et ailleurs en 1995. Comme par hasard, depuis 1996, il n'y a eu aucun attentat soit disant islamiste en France.
    93 Tous les massacres collectifs, organisés dans la banlieue d'Alger, nortamment ceux de Beni Messous, ont eu lieu à proximité des casernes de l'ANP. Les tueurs, disent les sources officielles reproduites par la presse algérienne, sont venus et se sont retirés en camions. Les massacres, disent les mêmes sources, ont duré 4 ou 5 heures. Plus de 200 personnes ont été égorgés à une centaine de mètres de la caserne la plus proches, sans que l'armée n'intervienne malgré l'alerte donnée par des survivants. Comment peut-on expliquer cette passivité devant les massacres d'innocents, alors que pour réprimer les manifestations pacifiques d'octobre 1988 le général Nezzar fit venir des blidés de 300 km d'Alger pour tirer sur une foule désarmée ?

    et discréditer les islamistes. Ils le font également pour se venger du FIS et terroriser94 ses militants et ses sympathisants, puisque les victimes de ces massacres sont des gens pauvres dont le seul crime est d'avoir voté en faveur du FIS aux élections communales en juin 1990 et aux élections législatives en décembre 199195.
    La politique machiavélique des rumeurs a atteint des dimensions odieuses au cours de la décennie 1990 qualifiée à juste titre de « décennie rouge ». Les autorités algériennes n'hésitent même plus à recourir ouvertement à certains services français et à certaines personnalités françaises, appelés à la rescousse, pour manipuler les faits et les événements et répandre une propagande belliqueuse contre leur peuple.

    La politique de la rumeur a dépassé les limites de l'horreur. Tout est permis pour une poignée de généraux pour se maintenir au pouvoir par la force et la violence. Si Boumediène dont se réclament ces généraux était encore là, l'Algérie n'aurait jamais été embarquée dans une aventure aussi ignoble pour la simple raison qu'il ne leur aurait jamais confié en même temps les postes de ministre de la Défense qu'il a toujours gardé jusqu'à sa mort, de chef d'étatmajor de l'ANP (resté vacant depuis 1967 à la suite de la rébellion de son titulaire Tahar Zebiri), de secrétaire général du ministère de la Défense et de responsable de la Sécurité militaire.

    94 Redha Malek, alors Premier Ministre, a déclaré en 1994 qu'il est temps que « la peur change de camp », voulant dire qu'il faut transférer la terreur dans le camp des islamiste et a annoncé, juste après, la création des milices pour entreprendre cette sale besogne. En fait, Redha Malek n'a fait que paraphraser Charles Pasqua, ministre français de l'intérieur alors en fonction, qui a déclaré quelque temps avant lui qu'il « faut terroriser les terroristes » c'est à dire les islamistes.
    95 Dr Ahmed Djeddai, premier secrétaire du FFS, a déclaré devant le Congrès de son parti en mars 1998 que le penseur français Bernard-Henri Lévy et son collègue Herzog lui ont dit lors de leur récente visite en Algérie ceci : « les victimes des massacres organisés à Ben Talha, Rais et Beni Messous méritent la mort parce qu'ils ont voté pour le FIS en 1991 », signifiant par là que ces massacres ont été entrepris par le pouvoir. Mais, de retour en France, ces deux personnalités ainsi que d'autres comme André Gluckman et Jack Lang, se lamentent sur le sort des victimes de ces mêmes massacres collectifs, versant des larmes de crocodiles en soutenant publiquement que ce sont les islamistes qui ont sauvagement tué des innocents. Ces penseurs et politiciens français « civilisés » refusent en même temps l'établissement d'une commission internationale d'enqête demandée par de nombreux partis politiques algériens, y compris le FFS, et par de nombreuses personnalités algériennes.

    Cependant, la consolidation des acquis de hizb França ne s'est pas limitée seulement à la conquête de l'armée et des services de sécurité, mais s'est également étendue à d'autres secteurs stratégiques où Boumediène a placé des fidèles depuis les années 1960, constituant le noyau dur du régime.