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indépendance

  • J’attends la vraie indépendance de l’Algérie

     

    Le chroniqueur algérien Kamel Daoud présente une série de raisons pour lesquelles il ne tient pas, pour l’instant, à fêter le cinquantenaire de l’indépendance de son pays le 5 juillet 2012.

    In Slate Afrique

    05 juillet 2012

    Kamel Daoud

    Difficile. Comment à la fois parler de l’indépendance, tout en en expliquant qu’elle est en train de se dissoudre, qu’elle n’est plus, que c’est juste une banderole, mais sans tomber dans l’excès en disant qu’elle n’a jamais eu lieu, qu’elle ne sert à rien, que c’est une perte de sept ans de guerre et de mille ans d’attente?

    Comme embrasser une femme morte ou allumer du feu avec deux verres d’eau vides? Comment garder l’indépendance comme valeur et jeter les mauvais vieux, les mauvais souvenirs et les ossements et les voleurs de libertés et les tueurs d’enfants algériens?

    Comme dire qu’on est fiers d’être sur notre terre sans tomber dans le jeu du régime et ses vantardises pour indigènes? Comment, encore une fois, libérer ce pays sans se faire avoir comme les martyrs d’avant 62?
    Chaque fois qu’on chasse un colon, un autre revient

    Le but est de vivre pas de se sacrifier. C’est d’avoir des descendants, pas des tueurs. Le but est d’enfin vivre après des dizaines de colons, dont les décolonisateurs et leurs fils.

    Car aussi on est fatigué de lutter, nous, nos aînés, nos ancêtres, nos anciens ancêtres. Cela dure depuis si longtemps que le dos s’est courbé et que la peur est devenue légitime.

    Et à chaque fois que l’on chasse un colon, c’est un autre qui arrive avec ses garnisons et ses états d’urgences et ses interdictions de circuler à Alger et dans nos villes. Jusqu’à ceux qui refusent de nous rendre la terre sous prétexte qu’ils l’ont libérée, eux et pas nous.

    Cela fait si longtemps que le nombre des casernes est plus gros que celui des jardins. Du coup, quand arrivent cinquante ans, nous les avons déjà. Assis en cercle autour du feu qui nous tourne le dos.

    Donc c’est difficile de parler aujourd’hui. On sent que ce n’est pas notre fête, ni notre argent, ni notre victoire. Elle nous a été volée. Je fêterai l’indépendance de l’Algérie le jour où je parlerai algérien, dans les livres, les académies et les rues. Le jour où les «Services» dépendront de mon parlement qui dépendra de mon vote.
    Rendez-moi mon indépendance

    Je fêterai l’indépendance lorsque les crimes de 50 ans seront jugés et mon millénaire de vie sera enseigné, pas celui des «arabies» imaginaires. Je fêterai l’indépendance, lorsque ma ville sera gérée par mon élu, pas par leurs walis. Lorsque je payerai mes impôts pour mon village d’abord.

    Je fêterai l’indépendance lorsque je pourrai lire mon histoire nationale telle qu’elle a accouchée de moi. Lorsque je pourrai savoir combien gagne mes ministres, où va mon argent, que fait ma diplomatie que je paye avec mon argent et combien dépense mon armée et pour quelles raisons.

    Je fêterai l’indépendance lorsque le FLN (Front de libération nationale) me sera rendu et rendu à ma mémoire et lorsque mon président me regardera dans les yeux sans me mépriser.

    Je le ferai donc, avec flamme, feu et bougies quand La justice sera indépendante, les caisses de mes cotisations gérées dans la transparence, lorsque je pourrai manifester à Alger sans me faire frapper et lorsque l’ENTV me sera rendue, avec ses factures et ses dépenses.

    Je fêterai mon indépendance quand elle sera mienne, de tous les miens. Un par un. Sans cela, j’attendrai. Vous finirez par partir et je finirai par le fêter.

    Kamel Daoud

  • Le bovarysme et les 50 ans d’indépendance de l’Algérie

     

    Le bovarysme cache des vérités peu reluisantes... Le bovarysme cache des vérités peu reluisantes...

     

    "Ainsi se tenait, devant ces bourgeois épanouis, ce demi-siècle de servitude". Cette phrase de "Madame Bovary" de Gustave Flaubert, mythe du bovarysme littéraire, conviendrait à la situation déplorable de l'Indépendance de l'Algérie qui en porte les 50 ans d'asservissements...

     

    C’est sans doute symptomatique que ce soit le Président aux mandats inassouvissables qui boucle à la tête du pays le demi-siècle de l’indépendance historique de l’Algérie avec, à la clé, son décalage des Révolutions arabes qui ont brisé le règne des dictatures qui ont de près ou de loin, été les invités de marque des 1er Novembre 54 et des 5 juillet 62. Ainsi donc, l’indépendance de l’Algérie est une quinquagénaire aigrie, aux facultés dégénérescentes avant l'heure, comme née du "bovarysme littéraire" issu du roman de Gustave Flaubert "Madame Bovary" : "Ainsi, se tenait, devant ces bourgeois épanouis, ce demi-siècle de servitude".

     

    Ce bovarysme, concept de la  pathologie littéraire, pourrait tout aussi bien servir de pathologie politique exprimant un début d’indépendance dégénératif à une situation limite de celle-ci au-delà de laquelle on sort du bovarysme proprement dit vers la paranoïa.
    De ce chef-d’œuvre littéraire de Gustave Flaubert, Madame Bovary est devenue l’archétype psychanalytique et philosophique sur les pathologies mentales : la fausse idée de soi, la santé mentale ou le déséquilibre, la naïveté ou la lucidité, et peut-être aussi cette "auto-invention de soi" dont parlent les cliniciens. Une fiction de soi-même par le déni de sa propre réalité, une sorte de dédoublement de la personnalité en perpétuel antagonisme.

     

    Madame Bovary et l’indépendance de l’Algérie qui a l’âge de ses servitudes et celui de ses désillusions se partagent leur "passion de l’irréel" mais aussi de leur fausseté, passant du conte merveilleux au conte fantastique. La jeune Emma, éternelle mineure, dépendante d’abord de son père, puis de son époux, a été victime du "mythe du Prince charmant" dont elle a mis longtemps à se défaire pour se jeter à corps perdu dans les bras d’autres hommes, amants qu’elle finit par harasser de son trop plein d’amour et de ses incessantes demandes effrénées de preuves de leur passion pour elle. Or, elle ne rencontre qu’indifférence, abandon et mépris. Elle finit par se suicider en avalant de l’arsenic. Le bovarysme de l’indépendance de l’Algérie a eu également son " mythe du Prince charmant" sublime mais éphémère gardien de son Histoire. 

     

    En cinquante ans d’existence, elle n’a eu que ses deux premières années où elle vécut dans une sorte de chimère, d’euphorie exaltante et exaltée, se croyant prémunie à vie, forte de son butin historique, se fondant dans la masse juvénile, héroïne par laquelle tous les rêves étaient permis et réalisables. Elle avait même un "sandouq etadhamoun", une cave d’Ali Baba, sans se douter un seul instant qu’il serait, comme dans le conte, son conte, la convoitise de quarante voleurs, ceux qui la portaient à tour de bras, ne juraient que par elle, la protégeaient comme la prunelle de leurs yeux. Malheur lui en prit, se découvrant démunie de tout droit civil et politique, mais imposable d'une religion et d'une vertu, comme Emma, de remettre en cause le système, de s’en émanciper, de revendiquer autre chose que l’illusion et les promesses. Elle rompt avec le mariage historique pour assumer son adultère avec des pouvoirs successifs qui ont fait d’elle une bonniche de luxe. Ils lui ont offert un méchant tablier de cuisine, un balai, un seau pour laver les vomissures de leur règne. Son impossible quête du bonheur, d’un bonheur illusoire mène Emma à sa perte, à sa mort et peut-être même, en définitive, à son indépendance.

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