15 Mars 2011
«La hauteur de l’orgueil se mesure à la profondeur du mépris.»
(A.Gide)
Non, je ne vous entretiendrai pas de ce lointain film de Jean-Luc Godard qui réalisa l’exploit de réunir sous les mêmes feux des projecteurs, Michel Piccoli, Brigitte Bardot, Jack Palance et Fritz Lang. Une prouesse! Non, je voudrais parler de ce sentiment qui est passé au rang de péché capital et qu’il est interdit d’éprouver même à l’égard des bêtes. Il faut avoir vécu plus d’un demi-siècle dans ce pays béni des dieux pour ressentir tous les symptômes qui caractérisent ce sentiment qui affecte de larges pans de la population. Il faut d’abord se rendre compte qu’un demi-siècle est une tranche d’histoire suffisante pour que les gens chargés de trouver des solutions aux problèmes des populations se fassent la main. Au lendemain de l’Indépendance, il était de bon ton de mettre tout sur le dos du colonialisme et de l’accabler de tous les mauvais côtés de l’héritage reçu. Cinquante ans après, il faut avoir beaucoup d’imagination ou prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages pour faire passer des vessies pour des lanternes. Alors, comment expliquer l’exode continu d’une jeunesse déçue vers les côtes européennes, comment justifier la fuite incalculable de cerveaux et de compétences qui vont faire fructifier leurs talents ailleurs que là où ils ont poussé? Cela suffit pour démontrer qu’il y a quelque chose qui ne va pas ou qui ne va plus entre ceux qui sont chargés de mener le bateau à destination et ceux qui, accrochés à cette épave, subissent les inconvénients d’une météo et d’une traversée qu’ils ne maîtrisent point. Le premier mot qui vient à l’esprit de celui qui se sent trompé, floué, grugé, roulé dans la farine, ballotté d’une date à l’autre, d’un bureau à un office, d’un mur à un autre, d’une promesse à une autre, avant que cela ne débouche sur une prière, un avertissement ou plus radicalement, sur une répression musclée, est le mépris. C’est alors que l’individu prend conscience de l’abîme dans lequel il n’en finit pas de tomber. C’est alors qu’il essaie de refaire le bilan de toutes les années qu’il a passé à tâtonner, à tituber, à essayer de trouver une sortie honorable. C’est après avoir frappé à toutes les portes désespérément fermées pour lui et les gens de sa catégorie, qu’il se rend compte qu’il s’était fourvoyé dans une boucle, un rond-point où tous les chemins débouchent sur des impasses. Il n’aura pas fini ainsi de tourner, de se retourner, de bousculer ses pairs qui, comme lui, continuent de faire le même chemin de ronde, en espérant qu’un jour, le mur de l’indifférence s’effritera. Mais, en général, c’est l’individu lui-même qui, pris de vertige, vacille, titube et s’écroule, toujours dans l’indifférence et le mépris.
Selim M’SILI