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  • Ahmed Adimi. Professeur des sciences politiques

     

     

    «L’Algérie a perdu son âme révolutionnaire et sa diplomatie a pris un coup de vieux»

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    - Quel regard portez-vous sur la politique étrangère algérienne ? Avons-nous une doctrine diplomatique avec ses déclinaisons arabe, africaine et internationale ?


    A l’heure actuelle, parler de doctrine diplomatique serait trop dire pour l’Algérie. Je pense que rares sont les pays du Tiers Monde dont la diplomatie est basée sur une doctrine élaborée et clairement définie. Il faut d’ailleurs préciser qu’en Algérie, depuis 1988, le pays n’a eu aucune doctrine ni en matière de politique étrangère, ni en politique économique, ni dans d’autres domaines. Depuis cette date, les actions du pouvoir politique, avec tous les gouvernements qui se sont succédé, se sont limitées à la résolution de problèmes politiques, économiques ou sociaux au cas par cas, c’est-à-dire attendre l’arrivée des crises parfois même jusqu’à ce qu’elles s’aggravent pour ensuite essayer de leur trouver des solutions à la hâte et sous la pression. Le plus souvent de la rue…

    Parler de doctrine comme fondement de toute politique, c’est parler d’un Etat moderne avec des institutions solides et une vision politique très claire, avec des objectifs précis. Malheureusement ce n’est pas le cas pour notre pays. Concernant la politique étrangère de l’Algérie, je remarque, avec beaucoup d’amertume, que mon pays a complètement perdu son dynamisme d’antan, son âme révolutionnaire et sa voix qui résonnait fortement aussi bien au niveau régional, arabe, africain qu’aux Nations unies. Notre diplomatie a pris un coup de vieux.

    Elle agit maladroitement et avec beaucoup de retard. Elle est également sans perspective ni stratégie. Nos responsables n’arrivent pas à comprendre toutes les mutations opérées par les technologies de l’information et de la communication dans notre village planétaire. Pourtant, notre ministère des Affaires étrangères ne manque pas de cadres compétents. Ces derniers ont prouvé leur compétence durant la décennie du terrorisme, pendant laquelle l’Algérie était exposée à de réelles pressions et menaces d’interventions extérieures. En plus, c’était une période où les caisses de l’Etat étaient vides, mais grâce à sa diplomatie très active, notre pays a pu écarter le danger d’intervention. Où est passée cette cadence diplomatique ?
    La diplomatie actuelle n’est plus à l’image de ce grand pays qui était jadis incontournable sur la scène politique, surtout arabe et africaine et au moment des grandes crises. Une diplomatie se contentant de gérer les affaires courantes n’est pas une diplomatie. Cette dernière est par essence dynamique, active, éveillée et parfois même agressive. Elle doit exercer toutes formes de pression et d’influence pour sauvegarder les intérêts du pays. Une véritable diplomatie sait agir pour s’assurer le maximum d’alliés afin de défendre ses positions.


    - D’aucuns pensent que le principe de non-ingérence érigé en sacro-saint pilier de la diplomatie algérienne est dépassé par les enjeux géostratégiques dans notre région ? Pensez-vous que le gouvernement algérien adopte effectivement des positions anachroniques par rapport à ce qui devait être sa ligne de conduite ?


    Ecoutez, le monde a beaucoup changé ces dernières années, les principes des années soixante et soixante-dix sont complètement dépassés. On est dans l’ère de la mondialisation. Celle-ci a ses principes, ses valeurs et ses méthodes. Ne pas s’ingérer dans les affaires des autres est un principe louable, à condition qu’il ne touche pas à la sécurité du pays et ne l’expose pas au danger.
    Ce qui se passe actuellement dans notre région a des effets directs sur notre sécurité nationale. La Libye est un pays voisin avec lequel nous partageons des centaines de kilomètres de frontière. Et puis, comme vous le savez bien, en diplomatie comme en relations internationales, il n’y a pas de principes, il y a uniquement des intérêts à défendre.


    - Permettez-moi de poser cette question : quel est le candidat à la présidentielle française que l’Algérie soutiendra ?


    Parler dans ce cas d’ingérence serait témoigner d’une complète ignorance de la chose politique. Nous avons beaucoup d’intérêts à défendre en France, qui compte plus d’un million d’Algériens sur son sol. On doit donner des consignes de vote aux Algériens des deuxième et troisième générations.
    Il faut avoir des cellules de veille au niveau de toutes nos représentations diplomatiques en France, qui doivent suivre de près ces élections pour miser sur le candidat qui arrange le mieux les intérêts de l’Algérie. C’est ainsi que ça se passe avec les pays dont la diplomatie repose sur une doctrine élaborée et bien définie. Regardez Israël par exemple, un pays minuscule, monté de toutes pièces, qui arrive à imposer ses choix sur les candidats français à travers ses 600 000 voix juives en France.


    - Le Printemps arabe, notamment les révolutions tunisienne et libyenne, ont mis à mal la diplomatie algérienne, réduite à réagir par des démentis récurrents à une succession d’accusations. La «Mecque des révolutionnaires» est-elle devenue soudain la terre d’asile des contre-révolutionnaires ?


    Il y a là un problème de syntaxe, moi je préfère le mot «soulèvement» ou «intifadha» pour désigner ce qui se passe actuellement dans certains pays arabes. Je ne pense pas qu’on puisse parler, au stade actuel, de révolution en évoquant l’exemple de la Tunisie ou celui de l’Egypte. Concernant la Libye, il est difficile de croire au sursaut révolutionnaire et démocratique soudain soutenu par l’Occident.
    A savoir que ces mêmes forces occidentales ont toujours bloqué les mouvements de changement démocratiques dans le Monde arabe et musulman en apportant un soutien sans faille aux dictateurs qui le gouvernaient. Vous conviendrez avec moi qu’ils interviennent maintenant en faveur de ces soulèvements populaires dans le seul but de sauvegarder leurs intérêts économiques et non au nom d’un quelconque principe, aussi démocratique soit-il.

    Concernant la position de l’Algérie, elle reste incompréhensible et injustifiée pour les Algériens ainsi que pour les opinions publiques arabes. Rappelez-vous le rôle joué par l’Algérie lors des deux guerres du Golfe. Durant la guerre irano-irakienne, notre pays a beaucoup fait pour mettre fin au conflit qui déchirait deux peuples frères. Il a payé un prix très lourd en la personne du meilleur ministre des Affaires étrangères que l’Algérie ait eu depuis son indépendance, feu Mohamed Seddik Benyahia.

    Lors de la première guerre du Golfe, le président Chadli avait visité plusieurs pays arabes et s’était même préparé à aller aux Etats-Unis pour tenter de persuader les responsables américains des dangers de la guerre contre l’Irak.
    Pour ce qui est de la Libye, franchement, personne ne comprend la position algérienne. L’Algérie aurait dû coordonner sa position avec les pays africains pour qu’El Gueddafi quitte le pouvoir sans l’intervention des Occidentaux. Elle avait les moyens et les compétences pour réussir une telle action diplomatique.


    - Pensez-vous justement, à la lumière des débats ambiants en Algérie, que l’opinion publique algérienne soit en conformité avec la ligne de conduite de la politique étrangère suivie par le pouvoir ? Plus clairement, s’agit-il d’une diplomatie d’Etat ou d’une diplomatie de régime ?


    C’est une diplomatie de régime, bien sûr. Nous avons l’impression que tout est fait uniquement pour défendre ou conserver le pouvoir. On ne sent plus la présence d’hommes qui défendent les intérêts de l’Algérie et de l’Algérie uniquement.
    C’est le problème de tous les pouvoirs arabes. Il y a amalgame entre le pouvoir politique et l’Etat. Toute opposition politique contre le régime éponyme, dans les pays arabes, est vite considérée comme une rébellion contre l’Etat.


    - Comment expliquer que de petits pays comme le Qatar et les émirats bousculent la hiérarchie mondiale des pays qui comptent, pendant que le rôle de l’Algérie, qui était le guide, s’efface de plus en plus ?


    Je vous ai dis qu’avec la mondialisation, beaucoup de chose ont changé et d’autres vont l’être. Certains petits Etats ont compris les défis et les enjeux de cette ère nouvelle, d’autres plutôt grands n’ont pas encore compris que le train des changements ne les attendra pas. Le petit Etat de Qatar est dirigé par un émir qui a fait des études supérieures en Grande Bretagne.
    Il est l’un des rares chefs d’état universitaires dans le monde arabe. Il fait appel à toutes les compétences du monde, dont des dizaines d’Algériens, pour développer son pays Cet émir s’est doté de moyens lui permettant une présence et une influence dans tout le monde arabe. Dans un livre intitulé Le Choc de la communication globale. Pouvoirs et sociétés arabes face au défi, publié en France il y a 6 ans et que j’ai moi-même traduit en langue arabe, l’auteur, Fouad Ben Halla, disait que «depuis la fin du XVIIIe siècle, toute politique étrangère d’une nation a pour point d’appui trois piliers : le génie diplomatique, le poids économique et la puissance militaire. Ces trois dimensions restent valables, mais une quatrième s’est glissée progressivement dans la deuxième moitié du XXe siècle pour devenir l’axe indispensable à toute politique extérieure d’un pays. Il s’agit de la communication et de la présence culturelle». Vous remarquez ici que le Qatar, qui n’est pas une puissance militaire, a su marier son génie diplomatique et son poids économique avec la nouvelle donne qu’est la communication.


    - Pourquoi l’Algérie a-t-elle réduit ses ambitions en rechignant à chaque fois à postuler à la direction des organisations internationales comme l’Union pour la Méditerranée, la Ligue arabe ou l’Unesco ? Est-ce une manœuvre tactique ou un simple manque d’ambition ?


    C’est par manque d’ambition. L’essence de tout régime politique est de servir les intérêts suprêmes de son pays, directement ou indirectement. Etre présent à la tête des organisations régionales ou internationales permet de défendre l’image et les intérêts du pays, mais pas les intérêts individuels menant à défendre et conserver le pouvoir.
    Cette absence est d’autant plus inacceptable que l’Algérie paye d’importantes cotisations à ces organisations sans en tirer aucun profit.


    - Faut-il, à votre avis, revoir les fondamentaux de la politique étrangère algérienne à la lumière des nouveaux enjeux et de nouvelles menaces ?


    Effectivement, il y a de nouveaux enjeux et de nouvelles menaces à prendre en considération. Il faut donc avoir une doctrine pour notre politique étrangère érigée par des spécialistes, surtout que notre pays dispose de beaucoup de compétences mal exploitées ou poussées à l’exil, malheureusement.

     

    Hassan Moali