Par : Mustapha Hammouche
Le film Zabana est poursuivi de reproches concernant des inexactitudes factuelles contenues dans son scénario. Il est heureux que des acteurs et témoins de la guerre de Libération exercent parfois leur vigilance sur les récits faits d’une période cruciale de notre Histoire.
Mais il eut été plus heureux de les voir appliquer, dès l’Indépendance, ce devoir de vigilance à tout ce qui concerne la mémoire de la Révolution. Malheureusement, la lutte pour le pouvoir, entamée en pleine guerre de Libération mais jamais finie, a trop occupé l’esprit et l’énergie du plus grand nombre.
Ceux-ci ont généralement préféré choisir leur camp dans ce qui ressemble à une dispute de butin qu’à une confrontation de projets pour l’Algérie indépendante. D’emblée, le camp de l’Algérie perdit la bataille au profit du camp des clans. Le discours partial ne pouvait porter qu’une vérité partielle. Ceux qui ont voulu s’opposer au détournement clanique et forcé de la Révolution l’ont payé de leur liberté et de leur vie, pour certains. Pendant que ces voix gênantes étaient réduites au silence, d’anciens compagnons regardaient la pointe de leurs chaussures.
La force, ayant longtemps constitué un moyen efficace de prise de pouvoir, n’a jamais constitué une source de légitimité. Ceux qui accaparent le pouvoir et souhaitent maintenir leur emprise en lui donnant un bien-fondé historique n’ont d’autre choix que celui de refaire l’histoire à leur avantage.
En 1962 et pour les décennies qui suivirent, les moudjahidine constituaient l’unique force dotée de la légitimité nécessaire pour influer sur le cours de l’histoire de l’Algérie indépendante. Elle en avait aussi la vocation. Or, la période postindépendance, faite d’“années de plomb, de décennies noires”, de “démocratie rentière” et autres “spécificités” nationales, n’est pas jalonnée d’objections contre les infidélités faites au projet révolutionnaire et aux sacrifices qu’il a coûtés. La falsification de l’Histoire est inhérente à la dérive putschiste du mouvement de libération.
Le silence de compromis et de confort en a tenté plus d’un. Or, en matière de mémoire, le silence est aussi coupable que le mensonge, parce que le premier permet au second de prétendre au statut de vérité, faute de contradiction.
L’État postcolonial, organisé sur la répression et autour de l’allocation autoritaire de la rente, ne souffre aucune concurrence à son discours. Le pouvoir y est total et a besoin d’un discours unique qui soutient l’imposture politique ; celle-ci est ainsi préservée de toute remise en cause. Beaucoup de forces “mémorielles”, loin de s’opposer à la stratégie totalitaire, préférèrent, au mieux, s’adapter, ou, au pire, s’intégrer au système rentier et répressif. Ce qui équivaut, mécaniquement, à un consentement pour une production clanique de “la vérité”.
Ce faisant, elles se réfugièrent, sous le couvert d’organisation “mémorielle”, dans des fonctions de “défense d’intérêts” aussi corporatiste du terme. Si la question des faux moudjahidine est posée, l’ONM, au lieu de la traiter, se solidarise automatiquement avec elle-même et proclame cette question, comme d’autres, taboue.
Avec tout le temps que la rente a fait perdre à la vérité, faut-il encore s’étonner que les tardifs récits qui en seront faits courent malheureusement le risque d’être souvent approximatifs ?