Une invasion armée qui se solde par une occupation forcée, quelle qu’en soit la raison, est une colonisation, c'est-à-dire un cortège interminable de crimes abominables que rien ne saurait justifier, et dire qu’on est venu nous vendre le paradis ou la protection ne change rien.
Il y a d’autres moyens plus civilisés et plus humains pour prêcher la bonne parole et surtout celle de Dieu. Quant au troc de dupes qui consiste à échanger sa liberté contre une protection virtuelle, cette approche indécente s’apparente aux agissements des racketteurs et aux exactions maffieuses qui nous rappellent le joli deal que proposa l’ogresse à l’ânesse : «Je vous donnerai un saâ d’orge, puis je vous mangerai. » Encore cela n’est rien comparé à ce qui est exigé de nous aujourd’hui, à savoir : l’oubli de tout ce qui est de nature à rappeler nos souffrances et l’injustice subie sous divers puissants anesthésiants dont l’effet s’est propagé dans le temps et l’espace ; au passage, il nous est demandé de glorifier nos bourreaux, on veut qu’on soit plongé dans la rivière de l’oubli, mais les cris terrifiants des vierges arrachées à leurs familles, écorchées vives, souillées par des quidams dégoulinants de partout nous parviennent via les sombres siècles que nous avons traversés à coups de pilules sans faire attention aux contre-indications dont les complications sont aujourd’hui criantes. Ces hurlements de suppliciés nous empêchent d’oublier les dommages directs et collatéraux, malgré les mausolées et les stèles érigés à la gloire de nos tortionnaires et dont nos enfants de passage en ces lieux se photographient à côté de ceux qu’ils croient être nos héros. Mais où sont les tombes de nos pères, où voyez-vous de monuments élevés à la gloire et à la hauteur du glorieux Aksal (le tigre) de la race des fiers guerriers qui n’acceptent pas l’esclavage et l’humiliation ou de la valeureuse reine et mère Kahina la clairvoyante pour ne citer que ceux-là ? Mais qu’à cela ne tienne, leurs histoires, leurs bravoures, leurs sacrifies sont ancrés en nos cœurs et nous nous ferons un devoir de les transmettre aux générations futures au nom de tous nos miens.
Farid Boutrid