Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

entre

  • #ALGERIE:Une vie politique entre guillemets

     

    Par : Mustapha Hammouche

    Les députés et les sénateurs sont partis. Ils ont voté ce qu’on leur a demandé de voter puis ont fermé boutique, non sans au préalable appeler, par la voix des présidents des deux Chambres, à la participation à l’élection présidentielle.
    Cette session aura été marquée par la forfaiture de l’approbation d’une loi organisant la censure de l’information radiophonique et télévisuelle. Mais, à part cela, Bensalah et Ould Khelifa assurent à ceux qui veulent les entendre, s’il y en a, que la campagne électorale et le scrutin seront “démocratiques”. Il y a des termes comme ça qui, prononcés par les voix officielles, requièrent d’être mis entre guillemets. Ces signes sont d’une grande utilité : ils protègent les mots du détournement et de la corruption. Abrités, en quelque sorte, sous les guillemets, jusqu’à ce qu’ils recouvrent leur sens.
    Parce que nous évoluons dans un univers discursif spécifique où même les mots sont autoritairement affectés à des réalités qu’ils ne désignent pas : ils sont chargés de les travestir. C’est ainsi que, par exemple, le processus débutant par une campagne à sens unique, menée avec les moyens publics et conclue par une opération de falsification de l’expression électorale, est appelé “élection”. Ici, le recours aux guillemets s’impose, donc, pour éviter de confondre ce type d’opérations autoritairement orientées avec une consultation libre visant à départager entre des personnes ou des projets soumis aux mêmes règles de concurrence.
    Rien ne symbolise mieux que le fonctionnement parlementaire ce maniement sémantique qui fait que, parfois, les termes finissent par désigner leur exact contraire. Il en est ainsi, par exemple, du vocable “amendement”. Désignant, en principe, l’action par laquelle l’institution législative impose la modification, la suppression ou l’ajout d’un ou plusieurs articles dans un projet de texte avant son adoption. Or, dans la loi sur l’audiovisuel qui vient d’être plébiscitée par nos députés et sénateurs, la commission concernée a rejeté tous les amendements d’élus, mais a favorablement accueilli… l’amendement proposé par le gouvernement. L’amendement en question consistait à préciser que les futures chaînes pourraient être non pas seulement thématiques, mais aussi “plurithématiques”. Confondue de prohibition de l’information générale envers les radios et télévisions privées, l’astuce consistait à céder sur le pluriel de thématique pour s’en tenir à l’interdiction des chaînes généralistes. Cette loi participe de la “réforme” qui a justifié la restructuration maison du paysage politique, l’encadrement autoritaire du processus électoral et le début d’éradication du mouvement associatif.
    Les “réformes” liberticides n’ont pas connu leur total accomplissement du fait que la “révision constitutionnelle” n’est pas encore allée à son terme. On ne sait pourquoi. Les élus, non plus. Tout comme ils ignorent pourquoi on les a privés du plaisir d’applaudir le bilan triquinquennal. Mais cela ne fait pas partie de leur mission de parapheurs automatiques, de comprendre les fondements de l’organisation du “travail parlementaire”. Mais, y a-t-il quelque chose à comprendre d’une scène politique voguant entre comique et non-sens ?
    Voter sans comprendre procède aussi de notre démocratie. Entre guillemets.

  • Saoudiennes, entre Twitter et djilbab

     

    Par : Mustapha Hammouche

    Une vidéo laissant deviner la scène où une femme tient tête à des agents de la “Commission pour la promotion de la vertu et la prévention du vice” a fait actuellement le buzz sur la Toile. La jeune Saoudienne proteste contre les vigiles qui voulaient la refouler d'un centre commercial : “Vous n'êtes pas responsables de moi, et le fait que je mette du vernis à ongle ne vous concerne pas.” Elle précise même qu'elle resterait là juste pour savoir ce qu'ils “pourraient bien lui faire”.
    Cette initiative rappelle celle de sa compatriote Manal al-Sharif, qui, l'année dernière, à la même époque, avait mis en ligne un clip la montrant en train de conduire un véhicule. Cette jeune consultante en sécurité informatique chez Aramco fut condamnée à 10 coups de fouet avant d'être… graciée par le roi.
    L'archaïsme du statut de la femme en Arabie Saoudite n'est plus à décrire ou à dénoncer. Il n'a été observé dans aucune société parmi les plus sexistes répertoriées dans les annales anthropologiques. Mais il convient d'observer l'écart géologique qu'il y a entre la nature des libertés dont les Saoudiennes sont privées et la modernité des moyens dont elles disposent couramment et dont elles usent parfois pour exprimer leur protestation quand, parfois, elles en ont l'audace.
    Le roi vient de leur accorder le droit de vote et de candidature aux élections municipales (qui se tiennent parfois bien après l'échéance, les prochaines étant prévues pour 2015, et dont la moitié des membres sont nommés), mais leur refuse toujours le droit de prendre le volant. Or, ce droit constitue la première revendication des Saoudiennes. Comme plus de la moitié d'entre elles sont diplômées et comme la société est inondée de moyens électroniques et de gadgets de communication, le hiatus devient insoutenable entre une frange sociale disposant des dernières innovations en matière de TIC et une société qui veut les maintenir en dehors d'un espace public dédié aux seuls hommes.
    D'ailleurs, dans les débats que suscitent ces “incidents”, les hommes saoudiens condamnent à neuf contre dix ces actes de protestation et les revendications anti-islamiques de leurs auteures. Ainsi, certains internautes, parce que le Net sert aussi aux hommes à exprimer leur conservatisme intégriste, ont demandé, après avoir visionné le clip “scandaleux”, l'installation de “plus de caméras” dans les centres commerciaux afin d'y renforcer… la “sécurité”. D'ailleurs, certaines bloggeuses se demandent si leurs hommes seront disposés à les conduire jusqu'au bureau de vote quand viendra le moment de faire valoir ce droit nouvellement acquis.
    On a longuement discouru sur le rôle des réseaux sociaux dans la révolte du Printemps arabe, mais on attend la contribution à une rupture tectonique avec une morale d'un autre millénaire qu'attendent des Saoudiennes maintenues dans l'obscurité “pré-civilisationnelle” à l'époque du village planétaire.