Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

la démocratie

  • Pourquoi des Algériens s’opposent à la démocratie

     

    Par : Mustapha Hammouche

    La fraude électorale a une autre conséquence que celle de faire élire le candidat du pouvoir : elle cache les vrais scores des prétendants. Y compris celui du gagnant. On ne pourra donc jamais mesurer la popularité du Président “élu”. Car il en a une, tout de même. Et qui ne peut se réduire à ceux qui ont exprimé publiquement leur attachement à son règne, en faisant campagne ou en fêtant sa victoire. Il reste à en mesurer l’ampleur.
    Pour cela, l’on peut tenter l’exercice suivant : se poser la question de savoir dans quel cas l’on pourrait trouver un intérêt à une prolongation de l’ordre régnant, et, donc, voter pour le maintien du régime.
    Voici, donc, quelques “rentes de situation” qui, en quelque sorte, illustrent les raisons du vote conservateur : “Je vote pour le statu quo parce que je suis moi-même ‘élu’, et je ne voudrais pas voir mon statut menacé par une remise en cause du système de la fraude” ; “J’occupe une fonction acquise grâce à des interventions, mais je ne voudrais pas que l’on vienne m’appliquer des critères de mérite qui me disqualifieraient” ; “Je suis bien placé pour me sucrer, et je ne voudrais pas que l’on vienne soulever le couvercle sur le système de corruption qui nous enrichit” ; “J’ai une activité qui prospère grâce au gré à gré, et je ne souhaite pas que soient rétablies les règles de transparence des marchés” ; “J’exploite des terres de l’État obtenues en concession gratuite, et je ne souhaite pas qu’on me demande un jour de les acheter ou de les louer si je veux en disposer” ; “J’importe divers produits, et je ne veux pas qu’on se mette à contrôler la régularité de mes procédures ou la conformité de mes articles” ; “Je suis entrepreneur en bâtiment, et je voudrais continuer à sous-traiter mes chantiers à des tâcherons non déclarés qui, eux-mêmes, ne déclarent pas leurs personnels temporaires” ; “J’occupe une position qui me permet de faire payer les citoyens pour obtenir leurs autorisations, agréments et autre quitus, et je ne veux pas perdre le filon” ; “Je suis vendeur au noir, et pourvu que ça dure !” ; “Je suis marchand ambulant avec un véhicule Ansej que je ne compte pas rembourser, et je m’installe librement sur n’importe quel bord de route pour faire commerce de mes fruits et légumes !” ; “Je suis épicier, et je ne souhaite pas être tenu d’afficher les prix de mes articles” ; “Je suis marchand de poisson, et je ne voudrais pas que l’on m’impose des règles d’hygiène” ; “Je suis gardien de parking sauvage, et je voudrais que l’on continue à fermer les yeux sur mon racket”… La liste de “profils” conservateurs pourrait être rallongée à loisir !
    Après tout cela, l’on ne peut que se demander : “Que peut la motivation politique contre des arguments aussi convaincants ?”
    Cela dit, il n’est pas non plus écrit que le changement de régime changerait mécaniquement cette culture “réconciliatrice” : anarchie contre   “paix civile” ; affairisme contre soutien. Ce deal tacite se fait sur le dos du pays, de ses ressources, de son économie, de son image, de sa sécurité, de son civisme, de son environnement… Il hypothèque sa perspective démocratique, sa démocratie, ses possibilités de développement et diffuse en lui une culture de l’individualisme qui tue le sentiment de communauté nationale, le fondement premier d’une nation.

    M. H.
    musthammouche

  • Esthétique de la démocratie

     

    Par : Mustapha Hammouche

    La démocratie, faute de la vivre, on peut toujours en savourer le spectacle. Et quel scénario peut, mieux que l’élection présidentielle américaine, illustrer le spectacle émouvant de la vie démocratique ?
    On pourra ergoter sur l’imperfection pratique du procédé américain, observer, par exemple, que la majorité des “grands électeurs” n’est pas la majorité populaire, lui opposer des modèles concurrents. Mais, en attendant de désigner l’étalon parmi les modèles en cours, le modèle américain a ceci de démocratique : il semble faire consensus et reposer sur l’unique valeur de liberté.
    Ses tares mêmes, comme les disparités procédurales entre États, par exemple, sont le fait du respect de la liberté. D’ailleurs, le président n’a pas le monopole de son jour d’élection : on y élit concomitamment une partie des sénateurs et on s’y prononce sur des dizaines de questions à travers différents États. Chaque État est libre de poser ses questions démocratiques comme chaque Américain est libre de concevoir son Amérique. Mais pas sans la liberté. Là aussi, on peut toujours faire des discours sur la liberté de censurer les idéologies concurrentes à la démocratie, invoquer le Maccarthysme. Mais la contestation peut-elle s’en prendre à la liberté ? N’est-ce pas dans la tolérance de l’intolérance que se noue la faillite de nos tentatives démocratiques ?
    Voilà plus de deux siècles qu’une nation née sur les ruines de nations indiennes massacrées, passe son histoire à se libérer. De colonie, elle s’émancipe en État souverain avant de se défaire de son système esclavagiste, au prix d’une guerre intestine, et de dépasser plus tard de son résidu raciste, pour se donner, enfin, un président noir qui, s’il n’est pas descendant d’esclave, est fils d’immigré africain. On pourra encore relever les limites nationales du consensus américain. L’ombre d’Hiroshima, du Viet-nam, de l’Irak et de l’alignement pro-israélien injuste envers la nation sans État des Palestiniens. Mais cela ne fera que de l’ombre sur le sacrifice américain dans le combat contre la puissance nazie ravageuse et sur le rôle des États-Unis dans l’affirmation du mouvement de décolonisation.
    Cette histoire, en ombres et lumières, n’a pas entamé l’idée de rêve américain, conception nécessairement positive de l’avenir, cette étrange idéologie qui force ses adeptes à se projeter toujours dans le meilleur, même si beaucoup connaissent, y compris au quotidien, le pire.
    Ce jour de mardi 6 novembre américain, qui, chez nous, correspond à la nuit, une de nos nuits qui, pour la plupart d’entre nous, se ressemblent toutes, valait la peine d’être vécue, même à distance, par procuration. Elle vaut son pesant de leçons.
    Ne serait-ce que pour constater que c’est possible. Que “le rêve américain”, ce n’est pas une formule, un slogan de chapelle, une illusion, Tout un peuple y met un contenu concret, commun ; nul ne peut se l’approprier et en priver d’autres concitoyens. Il suffit d’être Américain pour prétendre partager le rêve et croire à ce rêve pour tous pour prétendre être Américain. Autant d’allant, soutenu et amplifié par la technologie ; autant de foi, diverse et forte, alliée au data net, c’est simplement beau.
    C’est beau, la démocratie quand elle se conjugue avec la modernité.

     

  • La démocratie toujours muselée

     

     

    20 ans après l’arrêt du processus électoral

     

    Taille du texte normaleAgrandir la taille du texte

     


     

     

     

     

    Les officiels algériens ne cessent de dire que l’Algérie a bien connu son Printemps arabe, et qu’elle a été le précurseur dans la région à connaître l’ouverture démocratique.

     

    Ces mêmes officiels évitent toutefois de dire que la parenthèse démocratique a vite été refermée sur une expérience d’ouverture qui aura été de courte vie et au souffle coupé. Mais l’histoire est là pour marquer de son verdict ce que l’on veut arracher à la mémoire.
    L’histoire a ce pouvoir de nous rattraper avec son lot d’événements pour réclamer au souvenir cette fameuse page signant l’arrêt d’un processus démocratique. Aujourd’hui, l’Algérie rappelle donc à sa mémoire ce qui a été présenté comme la «démission volontaire» de Chadli Bendjedid un certain 11 janvier 1992. Chadli Bendjedid, démission ou coup d’Etat ? L’histoire a inscrit qu’il a bel et bien été contraint par l’armée à déposer sa démission. Dans le langage juridique, une telle action ne peut être jugée que comme un coup d’Etat ; une armée respectueuse de la Constitution n’étant pas habilitée à arrêter un processus électoral et encore moins exiger d’un Président de le faire. Au-delà de cet acte justifié par ses initiateurs comme un barrage à la montée de l’intégrisme, il aura sans conteste signé l’avènement d’une ère de violence terrible.


    COUP DE FORCE


    Vingt années auront été écrites dans les pages de l’histoire d’une Algérie tourmentée, une Algérie qui peine à ce jour à sortir du règne des coups de force, une Algérie qui n’a finalement sauvegardé ni la République ni la démocratie. Vingt ans est l’âge d’une génération d’Algériens qui n’aura connu que la violence, le mal-vivre et le désespoir. Le constat est terrible, mais on ne peut en faire l’économie si l’on veut éviter que d’autres générations ne soient sacrifiées. Des erreurs de jugement sont possibles, mais ne pas les reconnaître est plus dangereux dans la mesure où l’on refuse de tirer les leçons d’un passé qui se conjugue malheureusement toujours au présent. Certains diront aujourd’hui, nous avons eu raison de nous opposer à l’arrêt du processus électoral, d’autres diront que c’était inévitable mais que l’armée n’a pas tenu sa promesse de préserver la démocratie, le fait est que vingt ans plus tard le bilan est là pour jeter à la face du régime son entière responsabilité d’avoir plongé le pays dans le chaos. 200 000 morts, plusieurs milliers de disparus, le contentieux est lourd et le jugement sans appel. Chaque goutte de sang d’innocents algériens versée appelle justice. Les vaines tentatives de passer sous silence ce qui s’est passé de longues années durant, traduites par les concorde et charte dites pour la paix et la réconciliation nationale, ne réussiront pas à tairer le questionnement de la mémoire tant que la vérité et la justice n’auront pas dit leur mot.


    PARENTHÈSE DÉMOCRATIQUE


    La parenthèse démocratique a été bien courte et sacrifiée au carrefour des calculs d’une caste dont le seul souci est de pérenniser un régime. La parenthèse démocratique, brandie aujourd’hui comme un trophée par les officiels du pays, n’a pas eu raison du régime qui depuis 1962 continue de peser de son poids oppressant sur l’Algérie. Le régime avait trente ans en 1992, il en compte 50 ans aujourd’hui, et le hasard veut que l’on se retrouve à la veille d’élections législatives. Ironie du sort ou juste logique, le régime s’est aujourd’hui allié aux islamistes, les rendant fréquentables et les devançant même en appliquant la charia par le truchement de lois et de pratiques destinées à ancrer dans la société algérienne des divisions d’ordre dogmatique. L’on est tenté de dire «1992-2012, même combat ». Choisir entre le pouvoir et les islamistes semble être la seule équation que le régime impose aux Algériens. La coalition pouvoir-islamistes est si naturelle qu’il est aisé de déduire que c’est à la démocratie qu’on a toujours voulu faire barrage et non à l’intégrisme.  

     

     

    Nadjia Bouaricha