Le quatrième mandat du dissensus
Par : Karim Kebir
Elles sont de plus en plus nombreuses les voix hostiles à un quatrième mandat du président Bouteflika. Le concert pour un changement à la tête de l’État s’est étoffé au fil des mois, même si le Président garde l’essentiel de ses soutiens.
Dernière sortie en date, celle du général en retraite Hocine Benhadid hier qui a appelé le président Abdelaziz Bouteflika à partir “dignement” sans briguer de 4e mandat. “Voilà ce que je demande au président Bouteflika : il est venu avec le slogan (...) ‘fierté et dignité’, alors qu'il se retire avec (ce) slogan (...), dignement et laisse l'Algérie reprendre son souffle”, a déclaré M. Benhadid, ancien patron d'une des régions militaires, dans un entretien avec les quotidiens El Watan et El Khabar. Pour cet officier qui dit s'exprimer au nom de plusieurs collègues, cette personne “malade” et “otage de son entourage (...) ne peut garantir la stabilité” du pays.
Selon lui, le frère du Président, Saïd Bouteflika est “le premier et principal acteur” du clan présidentiel, tandis que “le chef d'état-major n'a aucune crédibilité et personne ne le porte dans son cœur”. Deux jours plus tôt, trois personnalités nationales et non des moindres, Me Ali Yahia Abdennour, Ahmed Taleb-Ibrahimi et le général à la retraite, Rachid Benyellès, se sont prononcés contre un éventuel quatrième mandat du Président qu’appellent de leur vœux ses multiples soutiens. “Nous, signataires de la présente déclaration, disons non à un quatrième mandat de M. Bouteflika et appelons toutes les forces saines de la nation — notamment celles attachées à la justice sociale et à la moralisation de la vie politique — à exprimer leur refus par tous le moyens pacifiques qu’ils jugent utiles : prises de position individuelles et collectives, recueil de signatures, pétitions, déclarations, appels, etc., comme nous leur demandons, en cas de maintien de cette candidature, de boycotter massivement le simulacre de l’élection que le pouvoir en place projette de tenir”, ont-ils écrit dans une déclaration rendue publique avant-hier.
Cette salve intervient au lendemain de la tempête politico-médiatique provoquée par les propos du secrétaire général du FLN, Amar Saâdani, au site TSA, et dans lesquels il chargeait le patron des services de renseignement, accusé à demi-mot de “s’opposer à un quatrième mandat du président Bouteflika”. Quelques jours plus tôt, c’est le RCD qui sonnait le tocsin. “Les réformes promises au début de l’année 2011 et la révision de la Constitution mille fois annoncée ont été réduites à des artifices visant à pérenniser un pouvoir politique condamné par l’Histoire. L’incapacité manifeste du chef de l’État à assumer depuis fort longtemps ses fonctions signe la déchéance du système et appelle à une alternative crédible.
Les suppliques à un mandat supplémentaire marquent le paroxysme de la régression sur fond d’indignité”, relevait le RCD dans les résolutions de son conseil national. “Le Mouvement (MSP) est contre sa présentation (à l’élection présidentielle, ndlr), compte tenu de notre position politique appelant à la limitation des mandats présidentiels”, soutenait, pour sa part, dans un entretien à un confrère le président du MSP, Abderazak Makri. Ancien ministre et cadre du RND, Nouredine Bahbouh, à la tête d’une nouvelle formation politique créée à la faveur de la nouvelle loi sur les partis, a estimé lundi au Forum de Liberté qu’“un quatrième mandat risque de mener le pays vers le chaos”. Même constat chez Mohand Tahar Yala, général en retraite et candidat à la prochaine élection présidentielle. “Le système Bouteflika a créé un véritable gouffre entre le citoyen et le pouvoir, et déstabilisé l’Algérie sur le plan politique et social”, estime-t-il.
Figure emblématique de la Révolution, Djamila Bouhired avait prononcé en novembre dernier un violent réquisitoire contre Bouteflika. “Si Abdelaziz Bouteflika se présente pour un quatrième mandat, je descendrai dans
la rue pour manifester contre lui”, avait déclaré Djamila Bouhired au journal El Qods El Arabi. Elle avait ajouté qu’“elle descendra dans la rue pour aussi dénoncer le mal fait à l’Algérie”.
Peu avant son départ inattendu de la tête du RND, l’ancien chef de gouvernement, Ouyahia, s’était déjà interrogé si un nouveau bail pour Bouteflika pouvait servir l’Algérie. Si, en 2004 et 2009, des voix éparses s’étaient élevées pour éviter une reconduction de Bouteflika à la magistrature suprême, la liste des mécontents du règne de 15 ans de Bouteflika est de loin plus importante à la veille de cette élection présidentielle pas comme les autres. Elle serait même appelée à s’élargir dans les prochains jours.
K. K