Le régime algérien ne fait pas les choses à moitié. Bouteflika va mener la campagne électorale par relais interposés. Sa cour s’en occupera. C’est dit officiellement par le premier ministre.
On était un pays immobile, on patauge désormais dans l’absurdie. Eh oui, Bouteflika n’est pas obligé de faire la campagne électorale, nous assure le premier ministre sans risque d’être démenti. N’était en fait la gravité de ce précédent, et de bien d’autres, on aurait esquissé volontiers un sourire. Mais là, l’heure est grave. Très grave. Elle renseigne sur la folle volonté de ceux qui tiennent la présidence de ne rien céder. Tout le pouvoir et rien d’autre. Quel qu’en soit le prix ! Mohamed Chafik Mosbah ne déclarait-il à RFI il y a quelques jours : "Ce que je suppose c’est que l’entourage de Monsieur Bouteflika mettra l’Algérie – je m’excuse du terme, s’il est un peu excessif – à feu et à sang pour empêcher son élection."
A l’heure où un dictateur, Victor Ianoukovitch est chassé par les manifestants en Ukraine, le premier ministre Sellal nous annonçait sa bonne nouvelle : Bouteflika restera au pouvoir pour cinq ans encore ! La terre tremble, les Algériens retiennent leur souffle.
Décidément les tenants du pouvoir ont la mémoire courte ; ils sont de mauvais élèves. Le sort que fut celui de Ben Ali, Moubarak ou Kadhafi eut pu leur donner à réfléchir, mais non. Trop sûr de leur puissance et de la machine répressive pour revenir à la raison.
Il y a des moments où l’histoire bégaie, où les hommes, malgré la débauche de piété dont ils font montre à certaines occasions, font comme s’ils étaient éternels, des dieux.
Au bout de 15 ans, trois mandats, un viol de la Constitution, Bouteflika, très malade, n’entend pas bouger de la présidence. Pour ce faire, le clan au pouvoir s’emploie depuis des mois à repousser les limites de l’entendement politique jusqu’au ridicule.
C’est triste, l’Algérie, ce parangon de la lutte anti-coloniale, est devenue la risée. Une caricature. Dans la presse internationale, on se gausse déjà d’un fantôme que personne ne voit, « n’ayant plus toutes ses capacités » et de ce clan qui présente un candidat invisible !
C’est encore plus triste parce que des Algériens et des Algériennes par goût immodéré du pouvoir, par intérêt, sont complices de cet état de fait. L’histoire retiendra que Saïd Bouteflika, Abdelmalek Sellal, Amara Benyounès, Amar Ghoul Abdelmadjid Sidi Saïd, Bensalah et tout le marigot présidentiel ont participé à la plus grande arnaque électorale de l’Algérie. On ne se rappellera de rien d’autre mais de cela. Aujourd’hui et demain, même si l’assurance les étouffe, leurs noms seront associés à celui de Marcel-Edmond Naeglen, de triste mémoire.
Le match est vendu !
Cette pseudo-élection est cousue de fil blanc. Une centaine de postulants à l’ADN politique folklorique tente pitoyablement d’exister et une administration rompue à la fraude et à la manipulation.
Le résultat est pourtant connu d’avance. D’ailleurs, le pouvoir n’a même pas fixé la date précise du second tour. Et la pseudo-présidentielle est déjà prévue deux jours avant la fin de l’actuel mandat. C’est dire…
Mais que faire pour arrêter ce hold-up électoral ? Le silence de la majorité ne veut pas dire approbation de ce qui se passe. La réponse devrait être pacifique et citoyenne. L’urgence est de dépasser les divergences secondaires pour aller vers l’essentiel : les fondements intangibles qui permettent d’enclencher une période transitoire pour enfin bâtir une vraie démocratie.
Paralysée, éclatée par les menées du pouvoir et de sa police politique, l’opposition ou ce qui en reste, n’arrive plus à mobiliser les foules, ou du moins à se faire entendre. Reste la société civile, cette entité surveillée dans ses moindres réunions par la police politique fait, elle, peur. Certaines personnalités nationales qui font consensus pourraient appeler à un mouvement transversal autour de leur personne pour une véritable transition démocratique. Autrement, il faudra s’attendre à une autre période de glaciation. Et à un réarmement de la crise avec tout ce qu’elle pourrait entraîner comme risques majeurs et incertitudes.
"Tab jnana", avait-il dit
Quelqu’un se rappelle-t-il cette déclaration faite à Sétif – Tab jnana – où le désormais candidat à un mandat à mort confiait qu’il était temps pour sa génération de céder le pouvoir aux nouvelles ? Bien sûr, le contexte a changé depuis, les révolutions sont passées par là avec leurs fortune et infortune, le pouvoir a plus que jamais assis son autorité et sa mainmise sur tous les leviers de l’administration. Du moins le croit-il, car les exemples des révolutions qui ont balayé d’une chiquenaude les pouvoirs les plus autoritaires sont encore frais. Mais le clan au pouvoir, trop sûr de lui, de ses relais, sa propagande, de sa puissance financière, ne semble pas encore prêt à envisager une telle hypothèse.
Hamid Arab