12.- Dans le cadre, de la bonne gouvernance, l’organisation internationale Transparency International dans son indice de perception de la corruption dans son rapport annuel paru le 17 novembre 2009, classe, ironie de l’histoire, l’Algérie et l’Egypte sur un même pied d’égalité comme les pays connaissant un haut degré de corruption avec un score déplorable de 2,8 sur 10, tous les deux se retrouvant à la 111ème place sur 180 pays. L’on sait que les auteurs de l’IPC considèrent qu’une note inférieure à 3 signifie l’existence d’un « haut niveau de corruption au sein des institutions de l’Etat » et que des affaires saines à même d’induire un développement durable ne peuvent avoir lieu, cette corruption favorisant surtout les activités spéculatives. Ainsi, l’Algérie par rapport à 2008, chute de 3,2 à 2,8 sur 10 allant de la 92ème place en 2008 à la 111ème en 2009, perdant 20 places, ce qui la ramène à l’année 2005 où elle avait obtenu une note de 2,8 sur 10. Toujours au niveau des rapports internationaux, une récente étude datant de mars 2010 réalisée par la Global Financial Integrity (GFI) et publiée à Washington DC (USA), a classé l’Algérie au troisième rang au niveau continental, des pays ayant un haut débit de sortie financière illicite. Intitulée « les flux financiers illicites en provenance d’Afrique: ressource cachée pour le développement », l’étude s’est concentrée davantage sur les sorties financières illicites d’une seule source » mauvaise évaluation des prix du commerce ». Réalisée sur la période s’étalant de 1970 à 2008, cette étude a relevé que l’Afrique a perdu plus de 1,8 billions de dollars de sorties financières illicites en plaçant le Nigeria au sommet de l’échelle avec 89,5 milliards de dollars, suivi de d’Egypte (70,5), l’Algérie (25,7), le Maroc (25), et l’Afrique du Sud (24,9). Ainsi, le flux massif de capitaux illicites hors de l’Afrique dont l’Algérie est facilité par un système d’ombre financier mondial, comprenant les paradis fiscaux, territoires à secret, les sociétés déguisées, les comptes anonymes et des fondations fictives Selon la même étude, cette sortie de fonds épuise les réserves en devises, accroît l’inflation, réduit les rentrées fiscales, annule l’investissement, et compromet le libre-échange. Son plus grand impact a été relevé, notamment, sur ceux qui sont au bas des barèmes de revenus dans leurs pays, la suppression des ressources qui pourraient être utilisées pour réduire la pauvreté et la croissance économique. Ce rapport insiste sur la nécessaire transparence pour restreindre la tendance de cette sortie de fonds et également la concertation internationale autour de ce phénomène, car, s’il y a des pays corrompus il y a forcément des pays plus corrupteurs que d’autres.
13.- Face à cette situation, nous assistons tant à une instabilité juridique perpétuelle qu’à un changement de politique économique, facteurs liés, qui limitent les secteurs dynamiques et découragent les entrepreneurs publics et privés dans le cadre de l’allocation sectorielle d’investissement, les orientant vers les activités spéculatives. Du point de vue organisationnel, après les sociétés publiques (1965/1997), en 1988, l’Etat crée 8 fonds de participation qui étaient chargés de gérer les portefeuilles de l'Etat et en 1996, 11 holdings en plus des 5 régionaux avec un Conseil national des privatisations. En 2000, nous assistons à leurs fusions en 5 méga holdings et la suppression du Conseil national des privatisations. En 2001, l’Etat algérien dissout les holdings et met en place des sociétés de gestion des participations (SGP) chargées à la fois de la privatisation et les capitaux marchands de l’Etat, dont 11 établissements financiers relativement autonomes. Lors de différents Conseils de gouvernements tenus durant toute l'année 2007, une nouvelle organisation est proposée par le ministère de la Promotion de l'Investissement, ( les deux grandes sociétés hydrocarbures Sonatrach et Sonelgaz, régies par des lois spécifiques n’étant pas concernées), articulée autour de quatre grands segments : des sociétés de développement économique qui relèvent de la gestion exclusive de l’Etat gestionnaire ; des sociétés de promotion et de développement en favorisant le partenariat avec le secteur privé international et national ; des sociétés de participation de l’Etat appelées à être privatisées à terme ; et enfin, une société chargée de la liquidation des entreprises structurellement déficitaires. Courant février 2008, cette proposition d'organisation, qui n'a pas fait l'unanimité au sein du gouvernement et certainement au niveau de différentes sphères du pouvoir, est abandonnée. Aussi, après la feuille de route que s’était tracée l’ex ministre de l’Industrie et de la Promotion des investissements (MIPI), n’ayant pas recueilli le consentement, annonce officiellement fin 2009, la dissolution prochaine des SGP devant revenir à l’ancienne tutelle des Ministères. Parallèlement, l’on assiste au gel des privatisations, dont d’ailleurs , le bilan est dérisoire faute d’un non consensus au niveau des différentes sphères du pouvoir , puisque 477 sociétés ont été privatisées depuis 2003 sur plus de 1200 jusqu'au premier trimestre de l'année 2008 concernant des unités marginales, ayant permis au trésor public seulement 140 milliard de dinars (1,8 milliard de dollars). Cette évolution organisationnelle des capitaux marchands de l’Etat, ne peut être séparée des différentes politiques économiques entre 1963/2010. Ainsi face à cette situation le gouvernement algérien depuis 2009 entreprend une nouvelle réorientation de sa politique économique.
En conclusion, les nouvelles mesures projectionnistes permettront–elles de relancer l’outil de production et les entreprises nationales, pourront-elles répondre aux défis liés à la réalisation du programme de développement national 2010/2014 de 286 milliards de dollars analysé précédemment ? Doit-on continuer toujours d’assainir ou n’est-il pas préférable de projeter des investissements nouveaux pouvant tenir tête à la concurrence internationale ? Les entreprises locales profiteront–elles de cette situation de rente pour pousser à une meilleure intégration et combien d’entreprises publiques et privées locales ont –elles des laboratoires de recherche appliquée digne de ce nom y compris Sonatrach ? Aussi, de plus en plus d’experts algériens recommandent qu’au lieu de cette vision juridique peu opérante des 49/51% lui soient substitués la balance devises excédentaire et l’apport technologique et manageriel pour tout investissement étranger. A cela s’ajoute la nécessaire cohérence et visibilité qui sont les principes cardinaux du monde des affaires. Faute de quoi, ces mesures auront un impact très mitigé sur l’accumulation c'est-à-dire le développement futur du pays. Après une période d’ouverture 2000/2007, depuis 2008/2010, l’Etat algérien affiche nettement une volonté de retourner au tout Etat gestionnaire en restreignant les libertés économiques. Le pouvoir d’Etat veut tout régenter, limiter l’autonomie des entreprises publiques, soumette le secteur privé local à sa propre logique et également limiter le secteur privé international avec une logique essentiellement administrative juridique- (participation majoritaire dans le capital) invoquant le contrôle des secteurs stratégiques sans délimitations précises. Toutes les actions depuis 2009, semblent aller dans ce sens, comme en témoigne le gel de l’autonomie des entreprises publiques avec une gestion administré, les gestionnaires publics attendant les ordres d’en haut et de surcroît sans planification stratégique des autorités de tutelle. De nombreuses sociétés à capitaux publics sont retournées depuis 2009 dans le giron des ministères de tutelle, mettant fin de fait à leur autonomie. Ce retour au dirigisme inquiète les gestionnaires du secteur public. Selon nos enquêtes auprès des gestionnaires publics, les réponses fréquentes sont les suivantes : « nos clients sont nos chefs. Ils nous donnent du travail et des ordres. On ne peut pas les contredire, contester une décision, ou refuser un projet parce qu’il n’est pas rentable. On ne peut pas traiter avec eux sur une base économique ; le dirigisme signifie que le politique va primer sur l’économique. Plus inquiétant, des informations font état de la volonté du gouvernement de réduire au maximum les prérogatives des gestionnaires publics au profit des ministres. Cette politique fait peur aux gestionnaires publics qui prennent le moins possible d’initiatives pour éviter de se retrouver en prison. Or la définition de l’entreprise et du manager c’est la prise de risque et sans cela l’on ne peut aller à l’innovation et conquérir des marchés où la concurrence internationale est vivace. Et dans ces conditions est-il possible de préparer l’après hydrocarbures ? Il s’agira d’éviter les graves dérives et dangers de l'économie prédatrice et mafieuse afin qu’entre 2010 et 2015, l’Algérie puisse doubler le produit intérieur brut, soit 320 milliards de dollars à prix constants 2010, avec une diminution des sections rentes si elle veut éviter de graves dérives sociales et politiques. Pour cela la bonne gouvernance à tous les niveaux sera déterminante. Les réformes impliquent donc une société où domine un Etat de droit, où c’est la norme du droit qui devrait reprendre sa place pour légitimer le véritable statut de la citoyenneté. Le passage de l’Etat de « soutien » à l’Etat de droit est de mon point de vue un pari politique majeur car il implique tout simplement un nouveau contrat social et politique entre la Nation et l’Etat. En bref, la présentation du bilan économique 2004/2009 avec le manque de visibilité entre 2010/2014 du gouverneur et du premier ministre devant le parlement montre clairement un paradoxe : une aisance financière, du moins à court terme, grâce à des facteurs exogènes et non d’une bonne gouvernance et des inquiétudes pour l'avenir de l’Algérie.
Docteur Abderrahmane MEBTOUL
Expert International, professeur d’Université