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islamisme

  • Algérie: Les islamistes, les nationalistes, et autres lampistes...

     

     

                                                  
                    
     
                   Je crois qu'il serait ardu de faire un état des lieux de la scène politique en Algérie. Parce que dans la réalité, il n'y a pas de scène politique,  si ce n'est une certaine agitation, dont les ressorts sont tout ce qu'on voudra, sauf politiques, dans l'acception noble du terme. 
    Grosso mode, et pour faire simple, l'Etat algérien est une mafiocratie, très bien organisée, et qui a mis à son service tous les mécanismes institutionnels, et toute la société dite civile du pays.
    Les pouvoirs, quels pouvoirs ?
      
               Le législatif, dont on sait de quelle façon sont élus ses députés et ses sénateurs, comment il fonctionne, et les lois scélérates qui sont à son actif, ne peut en aucun cas être qualifié de pouvoir. C'est le trompe-l'oeil le plus caricatural qu'on puisse imaginer. 
      
                     Le judiciaire n'est pas mieux loti. Totalement inféodé à l'oligarchie qui dirige le pays, il se distingue par son extrême docilité, et pire encore, par la corruption débridée qui le ravage. 
      
                     L’exécutif est peut-être le seul pouvoir qui mérite son nom,  non pas parce qu'il exécute les lois votées par le législatif, mais les oukases que lui transmettent les vrais décideurs de ce pays. 
      Il est la façade la plus visible du pouvoir, mais la façade seulement. Il est chargé aussi, parce qu'il faut bien que ce pays fonctionne, un tant soit peu, du côté technocratique des choses, puisqu'il faut bien qu'il y ait de l'eau lorsqu'on ouvre le robinet, du courant électrique quand on appuie sur l’interrupteur, des routes, des trains, une administration qui fonctionne tant bien que mal. 
    Derrière lui se tiennent les vrais maîtres du pays, qui lui font faire ce qu'ils veulent. Parmi ses missions, la plus importante est de gérer la paix sociale, ou plutôt de l'acheter. C'est ainsi qu'une part de la prodigieuse manne financière lui est confiée, pour colmater les fissures qui se font jour dans l'apathie des masses populaires. Il est donc chargé de distribuer des crédits à une partie de la jeunesse, d'augmenter les salaires des membres des services de sécurité, de faire construire des logements, de gérer le Big Bazar qui se tient sur les trottoirs, d'injecter des devises étrangères dans les circuits de l'import-import, et d'une manière générale d'entretenir l’anesthésie générale qui maintient la jeunesse dans l'hébétude. Pour permettre aux maîtres de ce pays, de vaquer en toute quiétude au pillage.

    Mais qui sont ces maîtres ?  
      En fait, et depuis que les prix du baril ont flambé, et que l'Algérie s'est mise à engranger des sommes colossales d'argent, plus de mille milliards de dollars en une douzaine d'années, la structure du pouvoir s'est beaucoup transformée. Ce n'est plus cette junte, constituée d'une douzaine de généraux, qui a tout le monopole de la décision. Il s'est aggloméré autour d'elle une foule d'acteurs de premier plan. Nous pouvons affirmer, je crois, que le noyau de ce régime est désormais constitué de plusieurs chefs de l'armée, dont ceux du DRS continuent d'être les principaux décideurs, du chef de l'Etat, dont la gestion de la caisse commune lui a permis de devenir le pater-familias, de membres de sa famille, particulièrement l'un de ses frères, et de nouveaux riches connectés à des puissances supranationales. Le fait nouveau est que cette nouvelle conformation, d'un même régime, a mis fin à une certaine dualité qui a fait fureur, pendant le premier mandat du Président, et la première partie du second, entre le clan présidentiel et les chefs du DRS. Il y a toujours quelques frictions, entre les uns et les autres, entre les différents clans, mais elles ne sont plus structurelles, si je puis dire. Elles ne sont plus dictées par une lutte au leadership, mais juste par des différends sur le partage de la rente. Aujourd'hui, il semble que le clan présidentiel ait pris un certain ascendant, mais les forces sont très équilibrées. La suprématie du Président Bouteflika ne s'est imposée que pour des considérations pratiques, et très vénales. Parce que c'est lui qui tient les cordons de la bourse. Il est devenu une sorte de parrain, qui distribue les parts du butin aux uns et aux autres. Il délimite notamment les brisées, les monopoles non dits, les grosses commissions sur l'armement, les nominations aux représentations étrangères, l'attributions des grandes lignes de crédit, et autres gros privilèges du genre. Il semble que ce soit son frère Saïd qui gère, sur le plan pratique, ces attributions que le régime a consenti aux Bouteflika. Sinon, hormis donc quelques petits accrochages, communs à toutes les familles, il n'y ait pas entre les uns et les autres de conflit majeur.
      L'intrusion des lobbies financiers est le seul facteur réellement important dans cette nouvelle reconfiguration. Jusqu'à ces dernières années, ces nouveaux milliardaires étaient le plus souvent des prête-nom, au mieux des associés, des généraux et de leurs parentèles. Mais leurs fortunes, qui se chiffrent en milliards de dollars, les services qu'ils peuvent rendre, et leur proximité avec des partenaires étrangers très importants, ont fini par les propulser à un rang de membres à part entière dans la prise de décision. Quoique ! Puisque certaines attributions continuent d'être la chasse gardée de certains généraux et du clan présidentiel, comme la désignation des Ambassadeurs, par exemple. 
    C'est cela, d'une façon lapidaire, la scène politique algérienne.

    Les partis politiques, quels partis ?

                  Les autres vitrines politiques, comme les partis et la société civile, d'une manière générale, sont confinées dans un rôle de simples figurants. Tout ce qui est demandé à tout ce beau monde est de faire du vent. Et ils  le font très bien. Puisqu'ils réussissent à donner le change, à faire croire qu'il y a une vie politique dans ce pays. Le récent feuilleton du FLN, autour de Belkhadem en est l'illustration la plus tonitruante. Celle du MSP, des remises en cause du leadership dans les autres partis, et des scandales qui éclatent par-ci, par là, sont de la même veine.

      L'islamisme peut sembler échapper à ce vaste consensus. Mais ce n'est qu'un leurre. Une fausse impression. 

      D’abord parce qu’il n’y a pas un islamisme, mais des islamismes. Trois, principalement.
     Les salafistes...
                     Celui des Salafistes, qui croient pouvoir restaurer le Califat universel, maître du monde, et Ombre de Dieu sur terre, est un courant d’idées qui ne repose que sur des chimères, dont tout un chacun sait qu'elles n'ont aucune chance de pouvoir se réaliser.
    Cette mouvance, la seule  qui dispose d’une vraie base militante, même si celle-ci fluctue en fonction de ses succès, est cependant redoutée d’une partie importante de la société, qui craint de devoir abdiquer sa vision d’une société moderne, et de sa liberté de conscience. Les leaders de ces mouvements savent que leur succès relatif est conditionné par l’extrémisme qu’ils affichent. C'est leur seul fond de commerce. Ils sont, toutes proportions gardées, comme les extrêmes-droites occidentales.    
      Pour garder leur charisme, ils sont contraints de puiser dans les réserves de rejet de l'autre, de le stigmatiser, de multiplier les harangues puritaines et outrancières qui leur rallient le plus gros de leurs troupes.
      Ce projet est techniquement irréalisable. Il ne pourra jamais, à mon sens, se cristalliser en un véritable modèle de société, autrement que par la manière forte. S’ils prennent le pouvoir, ces Salafistes se trouveront face à une levée des boucliers qu’ils ne pourraient réduire que par la force brutale. Et il est objectivement plus facile à un régime comme le nôtre, plutôt qu’à un éventuel régime salafiste, de se maintenir à la tête de la société par la violence. Parce que, dans le cas algérien, le régime alterne la corruption des masses avec la répression. La répression seule ne pourrait tenir qu’un temps. Or, si le salafisme recourt à la corruption de masse, en supposant qu'il prenne le pouvoir, et qu’il ait les moyens de corrompre les foules, il serait  en contradiction flagrante avec ses postulats les plus essentiels. Et ce sera sans compter avec l’environnement international qui agira sur lui, pour le pousser à des extrêmes qui lui seraient fatals.  
    L'islamisme qui bouffe...                     
                   Le second est l’islamisme-maison, ou l’islamisme domestiqué, comme c'est le cas du MSP, par exemple.  Dont Boudjera a dit que Dieu a recommandé de se faire de l'argent, et de ne pas craindre de l'étaler. Verset à l'appui. Contrairement aux Salafistes, ses adeptes s’habillent en complet veston, et ils revendiquent un islam qu’ils disent adapté à la modernité. Sous le prétexte d’entrisme, ils disent vouloir changer le système de l’intérieur, en s’y ménageant une petite place, et en jouant du facteur temps pour prendre la totalité du pouvoir. A ce moment seulement, disent-ils, pour faire patienter leurs électeurs, ils pourraient envisager une application graduelle de la Charia. C’est un courant qui a été totalement assimilé, et dont le régime   a corrompu les leaders. Il faut dire qu’ils ne demandaient pas mieux. Sa seule base militante est constituée de gros, moyens et petits trabendistes. C’est l’archétype même de l’hypocrisie, érigée en théorie sociale. L’islam est pour ce courant opportuniste un juteux fond de commerce. Ses leaders savent qu’ils ne pourront gouverner que s’ils font acte d’allégeance au régime dominant, et qu’ils s’en font la vitrine, quitte à y perdre toute crédibilité. C’est ce qu’ils firent, sans se faire prier, et c’est ce qu’ils continuent de faire. La mangeoire est leur Mecque.
    Le Néo-islamisme...
                  Le troisième courant islamiste, le plus intéressant, et le seul viable à mon avis, est celui de l’islamisme qui se revendique de la démocratie. Mouvement élitiste, composé majoritairement d’universitaires, il est le pendant des démocraties chrétiennes. L’idéal politique qu’il prône est d’adopter sans réserve tout ce qui est positif dans les démocraties occidentales.  Ce courant est le plus craint du régime. L'affaire Dhina procède de cette logique.
     
      Il préconise, mais avec beaucoup de prudence, d’adopter les grands principes démocratiques occidentaux, tels que la séparation des pouvoirs, le suffrage universel comme seule source de légitimité, le respect des Droits de l’Homme, hormis ceux liés à l’homosexualité et aux droits d’héritage de la femme, et surtout de susciter un large débat autour des grandes questions relatives à l’application de la charia, tels que les châtiments corporels, la polygamie, la liberté de conscience, et autres sujets du genre. Elitiste par excellence, il n’a pas de base militante importante. Ce qui le contraint à ne pas couper le cordon ombilical avec la mouvance salafiste. Il rejette la laïcité en des termes très plausibles, en affirmant que c’est un concept né d’une conjoncture donnée, dans une société donnée, dont le parcours historique l’a amenée naturellement à séparer la religion de l’Etat, et que ce concept n’est pas applicable en l’état pour les pays musulmans. Les théoriciens de ce courant soulignent que dans l’histoire occidentale c’est l’Etat, l’empire romain, qui a installé le rôle de l’Eglise dans la société, pour pouvoir mieux s’en servir, alors que dans celle des musulmans, c’est la religion qui a installé l’Etat, le Califat, pour en faire un outil autant politique qu’éthique de la gestion sociale.     
      Ils affirment que le modèle occidental peut-être partiellement transposé dans les sociétés musulmanes, tant que son contenu ne soit pas  susceptible d’aller à contre-courant du parcours historique propre à la nation, ni d’entrer en conflit avec l’identité musulmane. Cette approche repose principalement sur des considérations civilisationnelles. Elle est d’autant plus intéressante qu’elle ne recoure pas au clivage systématique, à la théorie de l’affrontement, chère aux salafistes, mais au contraire, à une étroite collaboration entre les civilisations, pour l’avènement d’une nouvelle société mondiale, où l’humanité apaisée, pourra vivre en harmonie, sans ethnocentrisme mais sans mimétisme. 
      Le discours de cette mouvance insiste sur le fait que le système démocratique occidental, même s’il est le moins mauvais de ce qui existe, ne peut donc être importé dans sa globalité, et il considère, que par bien des égards, le système occidental est une démocratie vidée de sa substance initiale, que c’est une démocratie dégénérée, dont les adeptes ont oublié le sens premier, celui qui est censé permettre à tous les hommes de vivre en harmonie, sans qu’une minorité parmi eux n’opprime tous les autres, par des moyens de plus en plus sournois. Les leaders de ce courant de l’islamisme politique se servent de la déliquescence des mœurs en occident pour stigmatiser ceux parmi les démocrates les plus radicaux, si je peux dire, qui tissent eux-mêmes les liens qui vont servir à les ligoter, dans des systèmes complexes où le modèle devient l’antithèse de leur propre idéal, où la valeur absolue consiste à ne pas se laisser régenter par une quelconque valeur ; et où les valeurs qui avaient cours pendant les générations précédentes sont perçues comme autant de carcans qu’il faut desserrer.
      Cette mouvance, une sorte de néo-islamisme, qui se cherche encore, tente de bâtir une doctrine fondée sur les grands principes démocratiques, qui ne soient pas en contradiction avec le Coran. Une vsion islamiste qu'ils voudraient délestée délicatement des commandements les plus anachroniques de l’islam. Et c’est précisément là que les idéologues de ce courant butent. Ils craignent de divulguer leur pensée à la multitude, parce qu’ils savent qu’ils pourraient provoquer une levée des boucliers chez des fidèles qui continuent de croire que la Charia est valable en tout lieu et à toute époque, et qu’elle doit être appliquée dans ses moindres dispositions.     
      Autant dire qu’il sera très difficile à cet islamisme là de s’imposer sur la scène politique sans ruser, et sans procéder par étapes. Ce qui serait source de déviation, d'accommodements,  où la  politique politicienne prendrait le dessus. Ce Néo-islamisme, parmi les autres mouvements islamistes, demeure, à mon sens, le seul conforme à une vision d’une société libérée de ses lourdeurs et de ses mythes réducteurs, tout en restant attaché aux valeurs qu’il souhaite ériger en principes fondateurs. Mais il ne s’assume pas, et louvoie.  
      Il s’obstine à ne pas couper les liens ambigus qui le lient au mouvement salafiste intégriste, et il prône un système économique ultralibéral, c'est-à-dire ancré au système financier dominant. Ce qui sera rédhibitoire, dans les prochaines années, pour des populations qui chercheront à se libérer d’un système économique en fin de ressources. L’avenir sera aux courants de gauche, et même d’extrême-gauche, profondément humanisés néanmoins, qui ne rejetteront ni les valeurs de démocratie vraie, ni celles spirituelles et religieuses.
                 
    Les autres...                    
                  Je ne m’étendrai pas sur les mouvances laïques algériennes, qu’elles soient de gauche ou de droite. Elles ne peuvent pas, de toute façon, se déployer en l’état des choses. Elles n'ont pas de véritable ancrage dans la société. Leurs adeptes, même s’ils sont dans une logique qui se défend, ont une vision importée en kit, qu’ils croient pouvoir transposer sur une société qui attend juste qu’on lui greffe un concept dont elle ne comprend rien, puisqu’elle n’en a vécu aucune des vicissitudes qui ont amené des pays comme la France à adopter la laïcité. 
            La laïcité, en Algérie, pourrait devenir envisageable si les Algériens avaient vécu une phase théocratique, foncièrement, et institutionnellement théocratique. C’est cela je crois, qu’à voulu expliquer le sociologue  Addi Lahouari, quand il parlait de régression féconde. Si les élections  qui avaient donné la victoire aux islamistes du FIS n’avait pas été annulées, les Algériens auraient vécu un processus politique qui les aurait peut-être convaincu de la nécessité de séparer la Mosquée et l’Etat. La laïcité se serait imposée en tant qu’impératif démocratique, et non pas comme une coquetterie intellectuelle.
                                           
         Je ne m’attarderais pas davantage sur les projets d’autonomie, ou de fédéralisme, sur la base des appartenances ethniques, parce qu’en l’occurrence ce serait contre-productif et tout à fait inadapté aux exigences vitales que nécessite la situation du pays.  Contre-productif, parce que cela ne ferait qu’aggraver les dissensions ethniques qui ont été envenimées par le régime, et cela ne règlerait rien, parce que la crise est autrement plus profonde, et complexe, pour que l’on prétende la régler par un tel découpage.  
                                      
        Les autres partis politiques en Algérie ne représentent rien. Ce sont des coquilles vides. Ou plutôt des tonneaux vides. Partis dits nationalistes et qui ne sont rien d’autre que des ramassis de profiteurs, pendus aux lèvres de leurs maîtres, ils continuent à exploiter le filon de la révolution algérienne, et ils tournent comme girouettes au vent. Ils sont les seuls à ne pas savoir qu'ils sont exécrés de la population. La fraude électorale est le seul recours qui leur permet de continuer à faire du vent.
     
       La foule des autres petits partis que le régime a laissé émerger, et qui se résument souvent à leurs propres dirigeants, sont des boites à fric, qui permettent à ces derniers de se faire de petites situations. Ce sont de vulgaires pique-assiettes. Il y a même un parti qui se dit Trotskyste, qui a réussi la gageure de se comporter à l’exact contraire de son discours, et dont les leaders passent leur temps à grappiller ce qu’ils peuvent, pour les camarades, pour la famille, pour les vieux jours.
      
               Dans cette grosse bouillabaisse, qui n’a de politique que le nom, il y a un parti de gauche, qui aurait pu s’imposer sur la scène, et rallier à lui un grand nombre d'Algériens. Le régime a réussi à le circonscrire, et même à en faire un parti-maison. L’attrait de la mangeoire a été le plus fort. 
     
                Sinon, c'est le vide ! Il y a bien quelques vagues initiatives, ici et là, qui tentent d'exister, mais elles se perdent dans un océan d'indifférence. L'heure est à la grande bouffe. Et tout le monde se marche dessus, pour tenter de grailler quelques restes. Et cela durera tant qu'il y aura de l'argent. Le jour où il n'y en aura plus, il faudra se planquer. Parce que c'est toujours le plus petit qui se mouille.

    D.Benchenouf

  • Islamisme et opportunisme

     

    Par : Mustapha Hammouche

    Au dernier jour du soulèvement d’octobre 1988, alors que la répression avait fait des centaines de victimes, tuées, torturées parmi les jeunes manifestants, les militants islamistes dormants convergent vers le centre d’Alger en tentant de drainer un maximum de jeunes dans leur sillage. Ils viennent de déborder les adolescents sortis crier leur ras-le-bol d’un système de caste, peu soucieux de la condition populaire et dont ils subissent l’injustice dans leur vie quotidienne.
    Plus récemment, les révolutions de Tunisie, d’Égypte et de Libye ont révélé ce réflexe caractéristique des islamistes qui consiste à surgir sur le champ de bataille pour détourner un combat que d’autres ont initié et pour lequel ils ont payé.
    Le mouvement indépendantiste touareg vient de se faire coiffer au poteau à Tombouctou, à Gao et ailleurs dans l’Azawed par des groupes islamistes qu’il croyait héberger en bonne entente. Et l’objectif nationaliste du MNLA s’est transformé en opération de terreur islamiste avec la finalité d’instaurer la charia au Mali.
    Quelle que soit l’obédience, les entreprises politiques à base islamistes cultivent toujours un attentisme tactique. En attendant la faille. Selon les moyens du mouvement, la voie “démocratique”, l’entrisme institutionnel comme la violence terroriste sont employés pour exploiter la chute d’un ordre finissant et pour prendre les devants sur un ordre nouveau.
    Et comme le pouvoir constitue la fin et la religion le moyen de toute force islamiste, aucune voie n’est exclue par principe : le crime comme la charité, l’alliance avec le diable comme la guerre entre “frères”.
    Cette nature opportuniste leur permet d’exploiter les moments de faiblesse des États, des communautés et des personnes. Comme des charognards, ils sont les premiers à débouler dans un domicile mortuaire. Supposés maîtriser les rites funéraires, l’occasion est trop bonne pour se prévaloir tacitement de cette compétence qui les place en médiateurs entre le défunt et le rite, entre le monde et l’au-delà. C’est l’occasion de marquer l’autorité qui devrait caractériser leur rapport au profane, fut-il savant. Qu’importe, en effet, puisqu’ils ont la compétence ultime. Ils le lui ont déjà fait valoir par la      Fatiha du mariage ; ils le lui rappellent à chaque funeste occasion. Ils sont aussi les premiers arrivés sur un site de catastrophe naturelle : c’est connu, l’activisme caritatif est la première étape du prosélytisme intégriste. On ne convertit facilement que les plus faibles, économiquement ou psychologiquement.
    C’est véritablement une disposition particulière de la culture islamiste que d’être là au bon moment, c’est-à-dire au moment où les obstacles à leur hégémonie — l’État, les mouvements politiques et sociaux, les consciences individuelles — sont ébranlés.
    Le détournement spectaculaire de l’offensive du MNLA, en même temps qu’il dévoile la naïveté stratégique d’un mouvement pourtant historique, rappelle à quel point l’opportunisme est constitutif de l’islamisme.

  • Tunis 2012: Piètre discours de Bouteflika

     

     

     

    Bouteflika à son arrivée à Tunis Bouteflika à son arrivée à Tunis

    Tunis 2008: Bouteflika s'est dit fier de Ben Ali, "grand bâtisseur d'un État moderne". Tunis 2012: Le survivant des Révolutions arabes salue la fierté du peuple tunisien dans l'accomplissement de sa Révolution. Une fierté à double-veste...



    Piètre allocution que celle de Bouteflika à Tunis, en cet An I de la Révolution du Jasmin. Se sachant invité compromis, dictateur survivant  de ses congénères déchus. Ben Ali a fui son pays dans l’attente de son extradition; Moubarek condmané par la la justice de son pays après avoir annoncé son départ sous la liesse de la Place Tahrir; Kadhafi  tué dans sa déroute, lui qui avait menacé son peuple de pires châtiments. A Tunis, il donnait l’image d’un revenant d’un autre âge, se brouillant d’époque, allant tantôt à celle d’un Roi sans divertissement, sans cour, ne représentant ni son peuple, encore moins les Révolutions arabes, tantôt à celle d’une nouvelle race de révolutionnaires, inconnue de lui et pour laquelle il a joué le rôle d’un revenant, suscitant plus de la pitié que de l’admiration.

    La retransmission des discours qui se sont succédé à Tunis sur, entre autres canaux, la chaîne privée Hannibal qui a failli être fermée au lendemain de la fuite de Ben Ali, le montrait assis, séparé de Moncef Merzouki, le Président par intérim et Moustapha Abdeldjalil, éloigné du Président du CNT libyen, regardant dans le vague, applaudissant presque en catimini les orateurs représentant leur révolution respective avec entrain et le verbe haut.

    Son discours, bref et insipide pour une aussi importante cérémonie a laissé planer ses anciennes et récentes amitiés et soutines de dernières minuets avec Ben Ali et les autres: Il a été l’ami de Ben Ali jusqu’au bout, jusqu’à désespérer de le voir tenir bon aux émeutes de Sidi Bouzid ; il a tenu aussi le glaive du dictateur libyen aux temps fastes où ce dernier régnait sur la ligue arabe et l’a assuré de son soutien inébranlable alors même que, retranché dans son bunker de Dar El Aâzizia, il menaçait son peuple de génocide. Il n'a pu que faire de l'Algérie un refuge doré à sa famille pour "raison humanitaire". Il n’avait pu faire de même pour la révolution du peuple pharaonique. Que dira-t-il alors dans son discours ?

    Décalé comme sa présence honteuse en ces lieux et temps de la chute de ses amis aux mulitples mandats, magnat de la corruption, son discours était aussi d’une autre ère qui, à l’époque de Ben Ali, ne faisait que "saluer", "s’incliner devant", "s’émerveiller de", "consolider", "consacrer", des autoglorifications mutuelles dont ils étaient les seuls à se délecter. Point de toute cette phraséologie triomphaliste, creuse et insipide.

    D’abord, à aucun moment, Bouteflika ne  s‘est impliqué dans le contenu de son discours ; ce qui eût paru incongru et pour le moins étonnant pour l’assistance et Moncef Merzouki, le maître des céans. Bouteflika a marqué une distance calculée, tactique ou stratégique dans ses références à la Révolution tunisienne, usant de la deuxième personne du pluriel et jamais d’un "nous" implicatif; usant rarement d'un "nous" greffé à la victoire du peuple tunisien : "Votre révolution" , "Votre peuple saura édifier" , "Votre contribution à…" : "En Algérie, nous sommes optimistes quant à la victoire du peuple tunisien, lui souhaitant la réalisation des ses aspirations à l’édification d’un avenir prospère. [...] La Tunisie recèle de grands atouts et d’énormes potentialités à même d’amorcer une nouvelle étape de son histoire ».

    Ensuite, cette distance dans le propos face une révolution si proche et si ressemblante dans ses causes a été sans doute relevée par Moncef Merzouki qui le fixait de son regard d’aigle, se tenant fermement le menton. Jusqu’au moment où le Président par intérim s’est quelque peu relâché lorsque Bouteflika, vers la fin de son allocution, a lâché le mot "Algérie" pour être sitôt fondu dans "Le grand Maghreb arabe", se faisant le chantre d’une union disparue, mise en ruines par la révolution du Jasmin "L’union du grand Maghreb Arabe" , une construction virtuelle, un concept vieillot, faisant partie des ressassements de l’ère dictatoriale d’un Maghreb des prisons, de la corruption et de la négation de l’Etat de droit. De cette image fort choquante pour l’An I de la révolution tunisienne qui s’inscrit dans un autre Maghreb hors de sa "grandeur"  despotique et aux antipodes de son "arabité" idéologique et démagogique, de cet épouvantail de "Grand Maghreb arabe" si cher à Kadhafi, aucun orateur n’y a fait référence, parlant et insistant plutôt sur les nouvelles expériences de leur pays respectif. Ce "Grand Maghreb arabe" s’est invité dans le discours de Bouteflika comme le ferait un naturaliste, spécialiste de l’évolution des espèces, qui parlerait, d’une nouvelle ère des dinosaures.

    Le dernier de l’espèce n’a pas manqué d’être ainsi de son ère. Aucune énergie, aucun élan, bafouant sur quelques mots dans un discours aussi court et sans doute appris par cœur. Toute honte bue, le survivant au déluge, s’est même cru un instant, être, en 2008, époque récente, où, après un amendement de la Constitution et briguant un troisième mandat, il s’était rendu à Tunis, fêter son " imposture"  avec son "homologue"  ( en ce temps-là, ce terme était diplomatique) Ben Ali, d’autant que son voyage, le signe de "la solidarité tuniso-algérienne" s'inscrivait sous l'aura de la commémoration du cinquantenaire de la tragédie coloniale de Sakiet Sidi Youcef village martyr bombardé par l’armée française le 8 février 1958. S’adressant en termes dithyrambiques, cette année-là, à Ben Ali, Bouteflika n’a pas tari en qualificatifs élogieux, dont il fut si avare dans son petit discours de 2012 : "Les Tunisiens sont en droit d’être fiers de ces réalisations et acquis accomplis sous la direction éclairée du président Zine El-Abidine Ben Ali qui a fait de la Tunisie un Etat moderne, avancé, ouvert, attaché à son authenticité et à ses valeurs nationales, fidèle à ses nobles principes, enraciné dans son environnement maghrébin, arabe, islamique et africain et conciliant parfaitement authenticité et ouverture."

    Comment, en l’espace d’à peine trois années, cette supposée "fierté du peuple tunisien" à l’égard de Ben Ali qualifié de bâtisseur d’un Etat moderne, peut-elle, en si peu de temps, être appliquée à la Révolution du Jasmin par Bouteflika dont la même fierté a manqué en cet An I

    RM

  • Contrechamp


    À propos de l’avenir de l’islamisme

    Par : Mustapha Hammouche

    Quand Abdallah Djaballah dit qu’il “pense que le courant islamiste a toutes ses chances d’arriver au pouvoir, à condition de tenir des élections libres et transparentes”, il faut le croire. Pour cette fois-ci.
    Même si Louisa Hanoune veut rassurer. “Les Algériens n’ont pas oublié que ce sont les islamistes qui sont derrière la tragédie nationale”, dit-elle. Avec un degré de sincérité qu’il faudrait mesurer. Car si les Algériens oublient, tous les jours, ce que la porte-parole a fait pour le FIS, pourquoi n’oublieraient-ils pas, un jour de vote, ce que le FIS leur a fait ? Si nous vivions sur l’empire de la mémoire, comment pourrait-il encore y avoir une place pour un parti trotskyste, révolutionnaire et parlementaire, internationaliste et protectionniste, allié de l’intégrisme et chantre du modernisme ?
    L’expansion de la culture de l’oubli est à la base de tout le mouvement de régression que nous subissons depuis le début de l’indépendance. Pour conjurer toute contestation, le pouvoir organisa l’encadrement politique, policier et médiatique de la société, dans la stricte finalité du monopole de son historiographie. Elle s’arrête à son apothéose, en 1962. Plus rien ne se passera, sinon les réalisations des dirigeants de légitimité révolutionnaire restés au service de la nation qu’ils ont libérée. La loi sur l’information qui sera bientôt votée va inclure l’interdiction de parler d’histoire, sinon dans sa version officielle, dans la presse.
    L’École, avec le concours d’un islamisme bienvenu car décervelant, se chargera de formater les générations de l’indépendance à l’assimilation indiscutable du discours du tuteur.
    Entre incantation islamiste et lyrisme révolutionnaire, les Algériens perdent le sens du présent et de l’avenir. Ils finiront par se souvenir de la légende et de l’épopée, jusqu’à les sacraliser, mais pas du passé immédiat.  
    Puisque, pour une fois, la chef du PT fait œuvre de mémoire, rappelons qu’il n’y a pas que “la tragédie nationale” et ses dizaines de milliers de morts à conjurer. Le FIS a été jusqu’à nous interdire la cigarette, la parabole et… la lecture de journaux, là où il pouvait le faire !
    Cela ne nous empêche pas de nous engager, par centaines de milliers dans son œuvre rédemptrice : ce qu’il y a de tragiquement efficace dans le terrorisme idéologique, c’est que la victime, en se soumettant, se transforme en bourreau et soumet, à son tour, d’autres victimes. Il n’y a qu’à voir le nombre de vigiles de la foi qui occupent les institutions et sillonnent l’espace public en quête de vices à redresser. La liberté aussi s’apprend.
    Autrement, elle est redoutée en ce qu’elle comporte son corollaire, la responsabilité. Alors, quand la liberté de choisir est acquise, on élit un autre autoritarisme pour abattre un autoritarisme en place. Pour des électeurs dépouillés d’ambition citoyenne, et donc d’ambition politique pour leur pays, le tout est de voter contre. Alors tuteur providentiel pour tuteur providentiel, la légitimité de source divine l’emporte sur la légitimité de source historique ou politique.
    Là est l’avenir de l’islamisme, en Algérie comme ailleurs en Afrique du Nord.
    M. H.
    musthammouche@yahoo.fr

  • Radical ou modéré, c’est l’islamisme

    islamisme=brute sans sucre rajoute' ou light

    Par : Mustapha Hammouche

    “Nous n’avons aucun a priori sur les partis à référence religieuse dès lors qu'ils respectent les règles du jeu démocratique et les droits de l’Homme”, vient de dire Claude Guéant à la veille de son arrivée à Alger.
    Nos partenaires, par ailleurs inquiets du  péril vert qui frappe à leurs banlieues, semblent chercher le moyen de s’accommoder des résultats des urnes du Printemps arabe. Certes, la souveraineté populaire, qui s’exprime à travers ces élections, mérite d’être respectée comme telle. Mais, il n’est pas nécessaire d’en rajouter en évoquant un islamisme compatible avec les droits de l’Homme.
    L’invention de “l’islamisme modéré”, concept de pure mystification, qui s’opposerait au “radicalisme” n’est pas le fait des islamistes. Il est le fait de ceux qui nous incitent à nous en accommoder. Même si certains mouvements et partis assument tacitement l’étiquette de “modérés”, il n’y a qu’un seul islam politique, celui qui prescrit de substituer aux principes humains d’organisation de la société les directives divines telles que formulées par ses prédicateurs.
    Mais si l’appréhension est perceptible, on s’accoutume lentement à la fatalité du fondamentalisme comme successeur nécessaire du despotisme militaire et rentier dans les pays musulmans. L’expérience algérienne, encore vécue comme une illustration de la faute à ne pas rééditer, sert d’argument tacite à la nécessité de s’accommoder de l’arrivée des islamistes au pouvoir dans les pays voisins. Cette expérience est d’autant plus redoutée que la rupture du processus électoral a été reniée, dans sa portée politique et historique, par la pratique politique ultérieure en Algérie même ; en se déjugeant de fait, elle a condamné un acte de sauvegarde républicaine comme faute contre la démocratie.
    Chez nous, l’islamisme n’est plus combattu que dans sa manifestation terroriste armée. Il n’a pas remis en cause le système de contrôle des mœurs sociales et des consciences individuelles. À l’heure où l’on fait croire que l’islamisme n’as pas pris le pouvoir en Algérie, un jeune est condamné à cinq de prison, sur délation d’un vigilant voisin, pour apostasie. Les Algériens sont surveillés, dans leur pratique des rites, dans leur expression, dans leur tenue et dans leur consommation, par un grand frère qui associe les institutions de l’État zélé dans sa fonction de gardien de la rigueur religieuse et une société où sévissent de patentés vigiles. L’Algérie, qui voulait s’en prémunir, s’est retournée contre elle-même pour faire la pédagogie de la fatalité islamiste !
    En dépit de la véritable leçon algérienne — l’effet meurtrier de la tolérance de l’intolérance —, la convergence pour un islamisme de région est en marche.
    À l’inverse de son collègue de l’Intérieur, la ministre française de la Jeunesse, Jeannette Bougrab, ne se fait pas d’illusions : “Le droit fondé sur la charia est nécessairement une restriction des libertés, notamment de la liberté de conscience.” Cette conviction l’amène à une claire position : “Je ne soutiendrai jamais un parti islamiste. Jamais. Au nom des femmes qui sont mortes, de toutes celles qui ont été tuées, notamment en Algérie ou en Iran.”
    Elle n’a visiblement pas cette capacité d’oublier qui fait le lit de toutes les compromissions.
    M. H.
    musthammouche@yahoo.fr