Nous sommes à la veille de l’anniversaire du 05 octobre 1988, et voilà qu’un quart de siècle plus tard le peuple algérien s’apprête à renouer avec le printemps des hommes libres.
Par crainte de manifestation, la police antiémeute sur les dents.
L’arrestation de Yacine Zaïd, un syndicaliste et militant des droits de l’homme, par des forces occultes, d’un pouvoir aussi occulte, a mis fin à la solitude des militants indépendants, des organisations citoyennes et des partis politiques en rupture avec la façade démocratique. Autrefois atrophiés par l’apesanteur de l’ombre de la terreur qui planait sur les demeures des esprits, tel un vautour de son aire en surplomb guettant les mollesses de sa proie ramollie, comme aimait à le rappeler l’ami des hommes libres, le regretté Tahar Djaout.
En effet, l’arrestation brutale et injustifiée de Yacine Zaïd, qui rentre dans le cadre d’une offensive préventive du pouvoir contre la société, pour la dissuader contre toute tentative de soulèvement, a provoqué une réaction massive des hommes et des femmes qui luttent pour la liberté et la dignité, déterminés à en finir avec un système de pouvoir autoritaire et illégitime, cynique et méprisant. Peine perdue, car la tentative de dissuasion de la part du pouvoir a provoqué contre toute attente un effet contraire à l’objectif attendu.
Plus que des appels à la libération de Yacine Zaïd, des militants de tous les horizons se sont solidarisés autour de cet événement dans une mobilisation citoyenne sans précédent, pour exhumer toutes les frustrations nées des privations des libertés fondamentales auxquelles elles étaient acculées, et qui étaient refoulées depuis près d’un quart de siècle. Dans un premier temps, le Collectif des familles de disparus en Algérie (CFDA), la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’Homme (LADDH), le Réseau Euro-Méditerranée des Droits de l’Homme (REMDH), le Syndicat national autonome du Personnel de l’administration publique (SNAPAP) et le Réseau des avocats pour la défense des droits de l’Homme (RADDH) ont dénoncé collectivement et immédiatement son arrestation. Pendant ce temps-là, la nouvelle, telle une traînée de poudre a inondé instantanément dans un méga buzz les réseaux sociaux algériens sur la toile. Le lendemain de son arrestation, une rencontre a été organisée à Alger, qui a vu pour la première fois s’asseoir autour d’une même table, depuis les marches de la CNCD en 2011, deux partis politiques en rupture avec le système de pouvoir, le Parti pour la laïcité et la démocratie (PLD) et le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD). Se sont réunis également autour de cette table des mouvements citoyens, comme l’Observatoire algérien pour la défense des Droits de l’Homme (OADH), le Réseau pour la défense des libertés et de la dignité (RDLD), Tarwa N’Fatma N’Soumer (TFS) et bien d’autres associations de la société civile. C’est pratiquement toutes les organisations qui luttent pour la fin du système politique algérien qui se sont réunies à cette occasion dans une jonction sans précédent. Un appel à des rassemblements devant l’ambassade d’Algérie à Paris a également été lancé pour exiger des autorités algériennes la libération immédiate et sans conditions de Yacine Zaïd, qui devraient avoir lieu à partir de ce week-end.
Par ailleurs, une pétition a été mise en ligne pour réclamer la libération immédiate de Yacine Zaid, et demander au pouvoir algérien de cesser immédiatement le harcèlement et les poursuites judiciaires contre les défenseurs des droits de l’homme.
Ce que le mouvement national pour une alternative démocratique, initié par les cadres dissidents du Parti des forces socialistes (FFS) prévoyaient dans leur projet de conférence nationale s’est réalisé spontanément à cette occasion. Une jonction d’une telle ampleur laisse présager une poursuite du mouvement pour un objectif plus large, qui a toujours constitué les attentes du peuple algérien et qui n’attendait qu’un tel facteur déclenchant pour se réaliser. Si la revendication principale de cette mobilisation est bien évidemment la demande de libération immédiate et sans conditions de Yacine Zaïd, la poursuite prévisible de ce combat s’inscrit naturellement dans la revendication permanente et légitime des Algériens, qui exige l’instauration d’un véritable état de droit. À même de garantir plus de démocratie, de liberté et de justice, dans le cadre d’une rupture radicale avec le système politique existant, responsable du chaos qui règne, avec son lot de corruption, d’illégitimité des institutions, du sous-développement dans tous les domaines, de l’arbitraire politique et de la répression qui en découle.
La contre-offensive du pouvoir n’a pas tardé. Le militant et membre de la Fondation Matoub Lounes, Aziz Hamdi, Aziz Hamdi a été arrêté mercredi soir, surpris en train de distribuer des tracts, appelant aux rassemblements prévus ce jeudi en soutien à Yacine Zaïd, et conduit au commissariat de Bab Ezzouar. Une autre tentative d’arrestation a été orchestrée contre le militant de droits de l’homme Farès Kader Affak ce jeudi, qui s’est soldée par un échec et qui a contraint le pouvoir à la retenue, pour un retrait tactique devant le constat de la détermination des militants engagés dans cette mobilisation. C’est ainsi qu’il a laissé faire les rassemblements prévus ce jour à Alger. La question que le pouvoir doit se poser en ce moment est de savoir, si l’éruption du volcan qui vient de se réveiller, va-t-il s’éteindre de la retombée de ses propres cendres ? Ou bien va-t-il embraser tout le pays et emporter toutes les certitudes de stabilité, qu’il a peiné de réaliser à coups de fausses réformes, faux changement de gouvernance et par une reconsidération conséquente de la distribution de la rente ?
Dans la perspective où le pouvoir aura réussi à contenir cette offensive citoyenne, en libérant les militants qu’il a arrêtés, il est certain que cette mobilisation aura été une expérience de plus pour l’opposition au système, qui va lui servir de référence à des probables actions ultérieures pour précipiter le soulèvement total de la population. Cette expérience se mesure au fait, que le rendez-vous a déjà été pris et la jonction entre les différents segments de la société qui résiste a été réalisée et largement intériorisée.
Dans son retrait tactique, prenant toutes ses précautions, le pouvoir a réévalué la formation et l’équipement des brigades anti-émeute par Nicolas Sarkozy pendant son mandat présidentiel, qui ne semble pas trop le rassurer devant l’ampleur et la détermination de cette mobilisation citoyenne et qui lui fait craindre un embrasement général. Cette hypothèse, qui lui fait courir des risques pour sa survie, l’emmena dans la panique et la précipitation à lancer un appel d'offres international pour acquérir un nouveau matériel antiémeute par les canaux du ministère de la Défense.
Dans ces conditions, le printemps algérien a-t-il commencé, près d’un quart de siècle après le printemps avorté ? Dans cette perspective, le pouvoir va-t-il être lâché par ses souteneurs occidentaux et connaître le sort de la Syrie, c’est-à-dire devenir un nouveau front pour les enjeux qui opposent le camp de l’Ouest contre la Chine et la Russie, ou alors l'Algérie connaîtra-t-elle une situation inédite, dont la solution émergerait de forces patriotiques de l’intérieur même du système et lui éviter le chaos ?
Youcef Benzatat