De notre bureau de Paris,
Khadidja Baba-Ahmed
Lorsque le cultuel occulte le reste et occupe quasiment le débat
Le contenu du débat qu’a engagé Halim Benatallah, ministre chargé de la Communauté en visite en France, était quelque peu étonnant, pour ne pas dire surréaliste.
C’est à boulets rouges que de très nombreux intervenants ont visé la Mosquée de Paris et interpellé les autorités sur la nécessité de pallier la gestion calamiteuse de cette mosquée et la nécessité de «faire débarquer» ses actuels responsables, à commencer par son recteur, Dalil Boubeker. A entendre les intervenants qui se sont succédé à la tribune lors du ftour-débat organisé par le consulat général dimanche soir, «le culte en France est sinistré dans tous les domaines et la cause du sinistre, c’est la Grande Mosquée de Paris». Pour le recteur de la mosquée de Myrha (18e arrondissement parisien) qui a livré ce constat, la Mosquée de Paris est «une mosquée des affairistes et des hommes d’affaires ». Le propos est on ne peut plus direct. Plus mesuré dans le ton mais néanmoins tout aussi accusateur, Ghaleb Benchikh, qui commence par souligner «qu’il ne s’agit pas de demander au gouvernement algérien de faire une captation des consciences», s’indigne cependant de l’indigence intellectuelle et des fêlures morales» qui ont pris corps. Et comme pour désigner les responsables de cet état, il glisse : «Alors que la Grande Mosquée de Paris était considérée comme la plus grande en Europe, l’on parle à peine aujourd’hui de la mosquée du 5e arrondissement parisien ». Il s’agit donc de perte de terrain et d’influence de la mosquée qu’évoque aussi Abderrahmane Dahmane et dont la responsabilité incombe, selon lui, «au gouvernement algérien qui n’a jamais voulu enlever les responsables actuels». Mieux encore, rappelant le système retenu par le gouvernement français de l’époque pour désigner les délégués qui élisent les représentants au Conseil français du culte musulman (CFCM), dont le nombre devait être proportionnel à la surface des lieux du culte, Dahmane considère que «les Algériens ont signé l’accord de la honte qui fait mal à une communauté qui a perdu de son influence». Pour les intervenants, il est temps de mettre un terme à cette situation et «laisser place aux compétences car nous sommes capables, a encore dit Benchikh, d’être pourvoyeur d’un islam des lumières», un islam qui ferait la jonction avec l’Etat laïque dans lequel il devra évoluer. «Il nous faut, dit par ailleurs le responsable de la mosquée Myrha, des états généraux pour désigner ceux qui vont nous guider» et débarrasser «d’un recteur qui ne sait même pas faire la prière» et cesser aussi l’envoi par Alger d’imams incultes. C’est dit et ça a pris beaucoup de temps dans le débat. Est-ce à dire que le problème central qui se pose actuellement à la communauté algérienne se résume à la pratique cultuelle. Assurément non, puisque des intervenants, peu nombreux il est vrai, ont fait entendre leurs voix sur des questions qu’ils considèrent primordiales.
«Ne faisons pas du culte la question centrale de l’immigration algérienne»
C’est là le cri poussé par Akli Mellouli, responsable de l’Espace franco-algérien qui rappelle au ministre que la chance il est d’avoir une force de 3 à 4 000 élus franco-algériens sur lesquels il peut compter et qui peuvent constituer un lobby, à même d’être «un véritable socle pour construire notre avenir ». Quant au diagnostic que se propose de faire avant tout programme le secrétaire d’Etat, Mellouli lui répond que celui-ci est déjà fait et qu’il est temps que l’on commence à travailler sur des sujets, la mémoire par exemple, qui peuvent nous faire avancer. La coprésidente de ce même espace, Chafia Matelenchta, qui ne nie pas un problème de culte, lui donne cependant une tout autre dimension, celle qui devrait «nous interpeller » et qui concerne tous ces jeunes de milieux défavorisés, sans travail et qui sont «embrigadés» par «d’autres, déguisés en robe du soir» et qui vont en faire des terroristes. Et la Mosquée de Paris a une grande responsabilité, selon cette intervenante dans cette situation. Chafia Matelenchta clôt son intervention en s’adressant au secrétaire d’Etat sur ce qui lui paraît incompréhensible : «Lorsque vous avez évoqué le Conseil consultatif pour la communauté algérienne à l’étranger, vous avez dit “c’est un projet”, et là, je m’inquiète.» Rappelant qu’il ne peut s’agir d’un projet, dans la mesure où son décret de création a été signé, l’intervenante interroge : «Un Etat sans loi n’est pas un Etat.» En l’occurrence, ditelle, «soit on applique ce décret qui est là et qui existe, soit on dit que l’on s’est trompé», il n’y a pas deux solutions et si l’on veut instituer un bon mode de fonctionnement entre vous et nous (les associations), il est important d’agir dans la transparence la plus totale. La réponse au trouble que crée ce décret devenu par magie «un projet» a malheureusement été noyée dans un flux de généralités du ministre qui persiste et signe : «Rien ne sera fait tant qu’un diagnostic clair n’est pas établi et c’est pour cela que je suis là», dira le ministre.
Messages essentiels du ministre : pas de programme, pas de Conseil consultatif, pas de timing sans radioscopie du terrain
Qu’il s’agisse de son intervention introductive ou du contenu qu’il a donné à ses réponses aux intervenants, Halim Benatallah a voulu manifestement faire table rase de tout diagnostic antérieur et faire luimême son évaluation du vécu de la communauté. Soulignant que nul ne peut lui faire le reproche de se déplacer pour des visées électoralistes —aucune échéance électorale n’étant à l’ordre du jour — le secrétaire d’Etat informe «Je n’aurai pas d’annonce à faire aux médias, tant que je n’ai pas pris la mesure sur le terrain de ce qui ne va pas.» Il n’y aura pas non plus «de programme sans radioscopie du terrain». Quant au Conseil consultatif de la communauté, il dit «ne pas vouloir faire un effet d’affichage» d’autant, précise-t-il, «que le schéma tel que préfiguré ne fait pas consensus» et qu’il se garde bien de lui fixer un timing ayant la volonté, dit-t-il, de voir les éléments de la communauté s’y impliquer davantage. Précisant son approche de tous les aspects liés à sa nouvelle fonction, Benatallah annonce : «Je ne pense pas pour l’instant me lancer dans de grandes réflexions intellectuelles», parce qu’explique le ministre, «la communauté attend plus de pragmatisme, plus d’actions sur le terrain.» Partant de ce mode de fonctionnement, il va d’ores et déjà, dit-il, agir «touche par touche et de manière pragmatique». Quant au thème cultuel qui a accaparé le débat, il se justifie, selon le ministre, car il constitue «une priorité de notre communauté» qu’il aurait observée déjà lors de sa rencontre la semaine dernière avec la communauté à Marseille. Le cultuel reprendra-t-il le dessus lors des autres rencontres programmées avec les communautés de Vitry, Bobigny, Nanterre, Pontoise ? Sans aucun doute, ce sera le cas au dîner-débat prévu à la Mosquée de Paris demain. Là, tel que cela se dessine, les échanges seront des plus vifs pour ne pas dire plus.
K. B.-A.
Le député Rafik Hassani dénonce
C’est par la presse que j’ai été informé de la visite en France du secrétaire d’Etat à la Communauté algérienne à l’étranger. Il se trouve que, précisément, j’en suis un des députés. J’ai appris que M. Benatallah a présidé une réunion à laquelle je n’ai pas été convié. Ce passage en France du membre du gouvernement est l’étape la plus importante de sa tournée, de par la forte concentration de notre diaspora, afin, annonce-t-on, de connaître sa situation. Malgré sa redondance, l’objectif pourrait être louable s’il n’était pas revendiqué à maintes fois par le RCD, notamment à l’Assemblée populaire nationale. A plusieurs reprises, j’ai eu à exposer devant l’APN les problèmes que vit notre émigration, ses revendications. Parmi celles-ci, les transports aériens et maritimes, les conditions d’accueil, l’assurance rapatriement des dépouilles. A ce sujet, j’avais proposé la création d’un fonds que l’Etat prendrait en charge. En fait, qui rencontre M. Benatallah ? Ou plutôt, qui rencontre-t il utilement ? Est-ce en ignorant le député de l’émigration que sa mission sera assurée du succès ? Faut-il rappeler à ceux qui ont été chargés de son organisation que la seule représentation légale et légitime de notre communauté demeure son député. En l’ignorant, c’est aussi faire peu de cas d’une institution de la République qu’est l’Assemblée populaire nationale, dont les faiblesses ont été par ailleurs dénoncées par le RCD, précisément à cause de ce genre de procédé. Si l’objectif est l’instauration d’un Conseil consultatif national de la communauté algérienne à l’étranger, on peut comprendre que l’on veuille écarter toute «fausse note» dans la recherche d’une clientèle opportuniste qui n’aurait pas, en tout cas, l’aval de cette communauté.
Député de l’émigration