Bois-des-Pins : une cité de 5 000 habitants relevant de la commune de Hydra, sur les hauteurs d’Alger. Depuis juillet dernier, elle occupe les unes de la presse nationale et même internationale. Enquête.
La dernière médiatisation en date remonte au jeudi 2 août. Les affrontements entre les habitants protestataires et les policiers ont fait plusieurs blessés. A l’origine de cette situation, la décision de la Wilaya d’Alger de construire un parking à étages sur un espace vert de plus de 11 000 mètres carrés.
Les résidants s’opposent au "projet". Ils le qualifient "d’illégal" et livrent aux forces de l’ordre des "batailles" rangées pour dire : "Touche pas à mon jardin". La justice est saisie par les deux parties sur fond de tension extrême. Pendant ce temps, la société en charge de la réalisation du projet poursuit son "massacre à la tronçonneuse". La course contre la montre est engagée. "Le retard dans la réalisation du projet est évalué à près d’une année, d’où l’urgence de rattraper le temps perdu le plus vite possible", dit-on. 10 avril 2010. La wilaya d’Alger lance un avis d’appel d’offres national et international pour l’étude de faisabilité pour la réalisation de trois parkings dans la capitale, dont un à Hydra. Le site choisi : la forêt des Bois-des-Pins. Un espace vert de prés de 11 000 m2, séparant la commune de Hydra de Bir Mourad Raïs. Le processus administratif finalisé, la wilaya d’Alger attribue le projet à l’entreprise de promotion immobilière Batigec. Cette dernière, faut-il le rappeler, a été rachetée en 2006 par la société belge Electro Term International. Elle a été choisie parmi neufs soumissionnaires nationaux et internationaux, dont le groupe égyptien Orascom et les groupes portugais Constructora Abrantina (1,38 milliard de dinars), serbe Putevi Uzice (1,288 milliard de dinars) et turc Aslan Yap (1,549 milliard de dinars). D’une capacité de 400 véhicules, le montant de la réalisation s’élève à 14 millions d’euros, soit près de 1,4 milliard de dinars, alors que le délai de réalisation a été fixé à quinze mois.
Affrontement féroce
7 juillet 2011. Le projet de construction du parking entamé fait face à une opposition farouche de la part des habitants de la cité des Bois-des-Pins. "Le projet de construction d’un parking sur l’assiette du jardin Bois-des-Pins est illégal", soutient le comité des sages de la cité dans un appel lancé le 8 juillet dernier. Pour le comité, "la loi sur l’urbanisme est bafouée. Les procédures légales requises par la loi sont ignorées. La population n’a jamais été consultée. C’est un projet basé sur l’illégalité et la force". Le bras de fer engagé se transforme en véritables batailles rangées entre les résidants protestataires et les forces de l’ordre.
"Malgré toutes les démarches et autres protestations pacifiques que nous avons engagées, on a eu droit en guise de réponse à la réquisition de la force publique contre une population pacifique qui n’a jamais nui à l’ordre public", explique M. Abdelghani M’henni, un des animateurs du comité de sages. Les habitants de la cité Bois-des-Pins parlent de "crime abominable" perpétré contre un espace vert constitué d’une centaine d’arbres centenaires (pins, eucalyptus et oliviers) et 80 autres plus jeunes plantés par les habitants. L’indignation est totale. L’affrontement est dès lors inévitable. La population, décidée à "protéger" son espace vert, engage des affrontements féroces avec les agents de l’ordre. Ils dénoncent même la volteface du wali d’Alger, qui quatre ans avant, "il avait signé une circulaire dans laquelle il recommandait la prise en charge et la protection de l’espace naturel forestier des Bois-des-Pins".
"Nous sommes les véritables propriétaires"
Les habitants de la cité des Bois-des-Pins s’appuient sur plusieurs arguments pour faire valoir leur droit. Ils se considèrent comme les propriétaires légitimes de cet espace vert. "Des documents en notre possession que nous avons versés à la justice attestent du bien-fondé de notre démarche. Depuis des années, nous avons protégé notre espace vert et nous avons milité pour qu’il ne soit pas détourné. Nous nous sommes même mobilisés pour faire face à la moindre tentative de construction illicite sur notre site", explique-t-on. En effet, à l’origine, c’est une société immobilière française dénommée Zannettacci, dont les deux sièges se trouvaient à Paris et à Alger, qui était propriétaire du terrain Bois-des-Pins. Dans la convention signée avec les futurs acquéreurs des habitations situées sur le site il s’agit de "propriété dans l’indivision". Autrement dit, une convention type en notre possession stipule que "M. X est propriétaire dans l’indivision d’un terrain situé sur le territoire de la commune de Birmandreis, au lieudit Parc d’Hydra", actuel Bois des Pins. "Cette attribution a été faite au soussigné pour lui permettre d’avoir un titre de propriété qui doit être joint à son dossier de demande de prêt à la construction", lit-on dans le document. Un autre acte notarié, dont une copie est en notre possession, portant signature de Joseph Renucci notaire à Alger, agissant au nom de la société civile de Bois des Pins, évoque dans la convention signée avec un autre bénéficiaire, le nommé Nechachbi Mohamed, "l’indivision d’une parcelle de terrain à bâtir situé sur le territoire de la commune de Birmandreis, quartier d’Hydra, non loin du marabout de Sidi-Yahia".
Démarches contradictoires
Sur la base de ces documents, les habitants de la cité Bois-des-Pins revendiquent la propriété du site. "Aucun autre document n’a annulé les nôtres. Nous lançons un défi aux autorités locales et de wilaya pour apporter le contraire de ce que nous avançons. Ce terrain, nous le revendiquons pour le maintenir en l’état et le préserver comme espace vert", ajoute-ton. "Faux !!!", rétorque les services de la wilaya d’Alger. "Le projet de parking du Bois-des-Pins est un projet d’intérêt public dont le terrain (la forêt) appartient aux Domaines. C’est un projet destiné à la construction d’un bien public, en l’occurrence un parking de dix étages. (…) Il n’y a aucune affaire de famille", explique-t-on au niveau de la wilaya d’Alger. L’objectif recherché : lever toutes les équivoques et évacuer ainsi "les rumeurs qui ont jusque-là donné à cette affaire une dimension qui n’est pas la sienne". "Dans cette histoire, il y a plus de manipulation que de vérité. Pour notre part, nous disons que dès son achèvement, le parking en question sera exploité par l’Etablissement de wilaya de gestion des parkings et de stations urbaines (EGTCU)", ajoute-t-on.
Pourtant, cette entreprise de wilaya a délégué sous forme de concession de gestion plusieurs de ses sites à des intervenants privés, à l’image du parking Besier et celui situé à Didouche-Mourad. Au niveau de la commune de Hydra, on refuse de faire le moindre commentaire sur la question. Nos multiples tentatives de prendre attache avec le président de la municipalité sont restées vaines. "Le président n’est pas là. Mais nous transmettrons vos doléances", nous informe-t-on au niveau du secrétariat du P/ APC de Hydra. Et pourtant quatre ans avant, soit le 2 mai 2007, une décision portant n° 891 et signée par le wali d’Alger, M. Mohamed El Kebir Addou, stipule dans son article 1 que "l’espace naturel forestier dénommé Bois-des-Pins est mis sous la responsabilité de l’APC de Hydra", alors que dans l’article 4, il est indique que "cet espace propriété de l’Etat est incessible, inaliénable et insaisissable".
Violation des lois ?
La démarche initiée par la wilaya d’Alger est-elle conforme aux lois relatives "à la gestion, la protection et le développement des espaces verts ?". Dans son courrier adressé aux walis délégués, aux présidents des APC, aux directeurs du conseil de wilaya et des établissements Epic et EPA, traitant de la question de la "délivrance des autorisations d’abattage et de traitement des arbres", l’ex- SG de la wilaya d’Alger, M. Zitouni, rappelle que "la gestion et le développement des espaces et des bandes vertes en zones urbaines et périurbaines de la capitale passent incontestablement par la préservation et la sauvegarde des arbres qui les composent". Mieux encore, il affirme que "le caractère d’utilité publique de certains projets d’infrastructures ne saurait justifier les défrichements systématiques des espaces verts ou l’abattage des arbres d’alignement dont certains sont des sujets centenaires, devenus avec le temps des éléments indissociables du patrimoine communal».
Dans le même document, ce responsable rappelle que "toute intervention sur les arbres, quel que soit le mode de traitement préconisé (abattage, couronnement, élagage, taille, etc.) est assujettie à une autorisation préalable du président de l’APC territorialement compétent". Pour sa part, le président d’APC territorialement compétent doit transmettre pour avis à plusieurs autres responsables dont le directeur des forêts de la ceinture verte. La loi 84/12 du 23 juin 84 modifiée et complétée, portant régime général des forêts, stipule dans son article 2 que "le patrimoine forestier est une richesse nationale. Le respect de l’arbre est un devoir pour tous les citoyens". L’article 17 de ladite loi indique que "le défrichement consiste au sens de la présente loi, à réduire de la superficie du patrimoine forestier à des fins autres que celles permettant son aménagement et son développement", alors que l’article 18 stipule pour sa part qu’"aucun défrichement ne peut avoir lieu sans autorisation préalable délivrée par le ministère chargé des forêts après avis des collectivités locales concernées et après reconnaissance de l’état des lieux".
Questions : dans le cas échéant, la direction des forêts a-t-elle été consultée ? Si tel est le cas, quel était son avis ? Pourquoi les autorités de la wilaya d’Alger ont violé leurs propres lois ? Y a-t-il eu pression pour faire aboutir le projet de parking du Bois-des-Pins ? Pourquoi s’est-on précipité pour le réaliser au détriment de la paix sociale ? Autant de questions qui restent pour le moment sans réponses.
Abder Bettache
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