Un scénario inédit, séduisant presque. A rebours de sa réputation de sinistre police politique, le DRS, héritier de l’ancienne Sécurité militaire, du MALG, endosse depuis 2010 les beaux rôles, passant, depuis, pour le défenseur de la veuve et de l’orphelin, le nettoyeur des écuries d’Augias, le sauveur de la République menacée par des légions de pourris. Et au DRS de se mettre en scène. Sans complexe : « Un général des ‘‘services’’ traque Chakib Khelil à Rome», titrait la gazette Ennahar ; « Bachir Tartag, le général du DRS aux commandes de l’opération ‘‘mains propres’’», lit-on sur le site de TSA (Tout sur l’Algérie), qui consacre un article panégyrique, ode à la gloire de cet officier du contre-espionnage sentant la nitroglycérine à cert lieues à la ronde.
«Il y va, certes, du souci de soigner leur image, mais ce n’est pas exclusivement de ça dont il s’agit», estime l’ancien ministre et diplomate Abdelaziz Rahabi. «C’est que, quelque part, on a pris conscience que la corruption et les pouvoirs enflant des puissances de l’argent constituent véritablement une menace à la sécurité nationale», ajoute-t-il.
Cinquante-deux ans au pouvoir. Grands collectionneurs de mandats illimités devant l’Eternel, le président Bouteflika et le général de corps d’armée, Mohamed Mediène dit Toufik, le chef du Département du renseignement et de la sécurité, affichent au compteur du pouvoir plus que l’âge officiel de la République algérienne. «Oui, il faudrait une révolution. Un changement total. Qu’ils partent tous… Bouteflika, Toufik (….), qu’ils cessent enfin de régler son compte à l’Algérie.» Mohamed Mechati, 92 ans, parmi les derniers survivants du Comité des 21 révolutionnaires ayant déclenché la lutte armée, le 1er Novembre 1954, n’a pas que ces mots en rafale, incandescents pour raconter son Algérie laissée exsangue par un demi-siècle de gouvernance par l’incurie et la corruption. Le Vietnam, dit-il, ravagé par une guerre d’indépendance de 20 ans, trois fois plus longue que la guerre de libération, a réussi son décollage économique : «150 milliards de dollars à l’exportation. Alors que nous… »
El Mouradia, mardi 21 mai. 23 jours après l’AIT, l’accident ischémique transitoire ayant terrassé le 27 avril dernier le président Bouteflika. Un «mini-AVC» — aux séquelles politiques décidément majeures — survenu, dit-on, des suites d’une «colère noire» provoquée par la mise en accusation, par le DRS, de son frère et conseiller, Saïd Bouteflika, dans des affaires de grosse corruption. «C’est du cinéma tout ça», glose Mechati. «Bouteflika, c’est dans sa nature : Il ne peut s’empêcher de manœuvrer, de ruser (…) à chaque fois que ses projets sont contrariés.» Ruser y compris avec et/ou par la maladie. Les quartiers présidentiels respirent le vide dans et autour du palais d’El Mouradia. La Présidence fonctionne en mode pilotage automatique. L’armée de conseillers à la Présidence, les «hommes» et la fratrie du Président, ce qui en reste, non encore déboulonnés par le DRS (Rouguab, son secrétaire particulier, le général Touati, conseiller à la sécurité, Abdelatif Rahal, conseiller diplomatique, etc.), s’avèrent incapables de (ré) animer la scène en l’absence de l’hyper-Président hospitalisé au Val-de-Grâce, à Paris.
Les décrets s’entassent à la Présidence piaffant une hypothétique signature. Mais c’est de France, puissance étrangère, sur un lit d’hôpital, que certains de ces décrets sont signés.
ça ne fait pas scandale. Au contraire. «Le président Bouteflika a signé dimanche (19 mai) un décret instituant le 22 octobre Journée nationale de la presse», indiquait le lendemain et avec aplomb un communiqué des services du Premier ministre. Pourtant, le mois de mai est synonyme de quasi-disette pour l’imprimerie d’Etat : aucun Journal officiel n’a été imprimé pendant tout le mois. Le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, pourvu de pouvoirs anecdotiques par la Constitution de 2008, fait le bouche-trous, essaie de gouverner par décrets exécutifs un pays qui ne se gouverne qu’avec des décrets présidentiels. Ben Aknoun, 2 mai. Lendemain groggy de la finale MCA-USMA. Le derby a viré au combat de gladiateurs.
Gouverner à partir du Val-de-Grâce : mode d’emploi
Un duel à distance «Présidence vs Département du renseignement et de la sécurité» qui s’est joué sur tapis vert, par Ghrib et hooligans du système interposés. Pas d’«Ave César» entonné dans les travées du Colisée. Ce jour-là, au temple du 5 Juillet, pas de banderoles déployées sollicitant un 4e mandat au président Bouteflika. Le footeux scénario a tourné au vaudeville.
Lieu prisé, point de chute d’agents du DRS, le club de tennis les Palmiers à Ben Aknoun est situé à quelques bornes du QG du DRS et de son redoutable «Service central de la police judiciaire», le SCPJ, créé officiellement le 9 février 2008 par décret présidentiel !
La décapitation judiciaire — pour corruption — du management de Sonatrach à la mi-janvier 2010 a marqué l’apogée du SCPJ et de son armée d’enquêteurs formés à l’étranger et passant depuis pour les «déboulonneurs» en puissance des hommes du clan présidentiel.
Attablé à la cafétéria du club, l’intellectuel des «services», Mohamed Chafik Mesbah, ancien officier du DRS, conseiller du président Zeroual, ne désespère pas de voir «muter» le général Toufik «en un Iouri Andropov». Autocrate réformateur russe, patron du KGB (1967-1982), architecte des réformes de la glasnost et de la perestroïka en ex-URSS, Andropov restera dans les annales pour avoir systématisé l’internement psychiatrique des opposants et surtout pour avoir livré une guerre implacable à la corruption, n’hésitant pas, une fois devenu SG du Parti communiste, à limoger de hauts dignitaires du régime.
Les cadres du DRS «exaspérés» par les lignes rouges
Mesbah réfute la thèse des luttes de clans au sommet de l’Etat. Une «thèse réductrice d’un phénomène amplement plus complexe», considère-t-il. Mesbah préfère le vocable aseptisé de «crise de gouvernance», même s’il admet que le président Bouteflika a, dès son accession au pouvoir, voulu mettre au pas et le DRS et l’armée devenue complètement «soumise» depuis la démission de l’homme fort de l’ANP, le général Lamari en juillet 2004. La nomination du général-major Abdelghani Hamel à la tête de la DGSN (juillet 2010) obéissait, d’après Mesbah, au même plan de charge. «Bouteflika pensait avoir trouvé en le général Hamel l’homme qui succédera au général Toufik.» Le projet de créer un super-ministère de la sécurité englobant tous les services de sécurité, soutient l’analyste, n’a jamais été une fiction. «Et je me demande même s’il n’a jamais abandonné son projet.» Epaulé par son ministre de l’Intérieur, Nourredine Yazid Zerhouni, ancien numéro 2 de la Sécurité militaire, Bouteflika voulait mettre sur pied un système à la Ben Ali dont il est «adepte», conférant un rôle prépondérant à la police. Le politologue ne croit pas non plus à une stratégie marketing visant à réhabiliter l’image des «services». «Car s’il y avait une telle démarche, elle aurait été plus élaborée.»
L’explication réside, selon lui, aussi bien dans ce «rééquilibrage au profit des missions classiques des services» et surtout dans cet «état d’exaspération» générale ayant affecté les éléments des services de renseignement, dont les enquêtes avaient mis à jour des faits de corruption graves constituant une menace à la sécurité nationale. «Les cadres du DRS ont vu que leurs enquêtes n’aboutissaient pas. De 2008 à 2012, une ligne rouge était tracée, aussi bien par la hiérarchie politique que du commandement. Il ne fallait pas toucher à Ghoul, Saïdani, Chakib Khelil, s’arrêter au niveau des lampistes», précise Chafik Mesbah.
L’ex-officier souligne le rôle déterminant de «filtre» joué par l’ex- ministre de la justice, Tayeb Belaïz, dans le nettoyage des rapports d’enquêtes du DRS. «Belaïz était intervenu directement en janvier 2010 pour éviter la détention à l’ex-PDG de Sonatrach sachant que s’il avait été mis en prison, il aurait donné le nom de l’ex-ministre de l’Energie.»
BelaÏz, le «filtre» de la Présidence
«Les entités du DRS sont comme des organismes vivants ; un temps, elles doivent évacuer. Et c’est ce qui justifie le fait de communiquer à l’opinion publique les conclusions des enquêtes. C’était leur seule soupape de décompression», concut-il. Dimanche 19 mai.
«Nous ne sommes pas tous des pourris.» Youcef Yousfi, le successeur de Chakib Khelil au ministère de l’Energie et des Mines, veut laver à grande eau et par petites formules l’honneur des cadres et des entreprises de son secteur terni par les scandales en série. Les onze années de Khelil à la tête de ce ministère névralgique n’en finissent pas de répliquer. Au point qu’aujourd’hui, ses détracteurs n’hésitent plus à assimiler son action au ministère de l’Energie et à la tête de l’empire Sonatrach à de la «haute trahison».
«Les dégâts occasionnés au secteur de l’énergie et spécialement à Sonatrach mise complètement à genoux sont tels qu’il faudrait plusieurs décennies pour les résorber», assène un commandant du DRS qui a été en fonction au ministère de l’Energie avant de se faire débarqué par sa hiérarchie. «Je reste tout de même le seul officier des renseignements à avoir résisté plus de 5 ans avec Khelil», affirme-t-il, un tantinet fier. Car dès son arrivée au ministère, Chakib Khelil «déclara la guerre» aux officiers du DRS, obtenant la tête de nombreux officiers en les récusant soit auprès du commandement ou carrément en les «retournant» à son avantage.
Rédigeant quantité de rapports, l’officier dit avoir avisé systématiquement sa hiérarchie et, par ricochet, les autorités politiques de tous les actes de gestion et agissements du ministre. «Il arrivait que le président de la République demande des explications au ministre, mais celui-ci savait, dans ses réponses, arrondir les angles et enjoliver les situations.»
Un commandant du DRS : «Bouteflika était au courant de tout»
Ouverture de corridors pour les majors pétroliers ; marchés de grè à grè et corruption ; remise à flots du plan Valhyd (valorisation-hydrocarbures) datant des années 1970 et consistant en une exploitation effrénée et à l’exportation massive des ressources, politique assimilée à un pillage organisé et grandeur nature ; mise en place de la «bourse de l’emploi» par laquelle le ministre à pu chambouler entièrement l’encadrement de Sonatrach ; arrêt de la formation et privatisation de l’Institut algérien du pétrole (IAP), etc. La liste de griefs accablant Chakib Khelil est aussi longue que grave. «Pourtant, quand Khelil avait débarqué au ministère, il était vu presque comme le messie. Son aura et sa longue carrière à la Banque mondiale l’avaient déjà précédé. Mais il a débarqué avec de gros sabots et sa démarche était empreinte de collusions avec des intérêts étrangers.»
Khelil, «homme des Américains» ? L’officier dit ne pas croire à cette légende. «Non. Pas les Américains. Car hormis Abraham Spencer, dit-il, secrétaire à l’Energie dans le 1er gouvernement de George Bush (2001-2005), Khelil ne disposait d’aucune autre entrée à l’Administration américaine. Sauf que lui savait jouer de cette réputation usurpée, faisant notamment miroiter au président Bouteflika qu’il est la seule interface crédible et reconnue par les Américains». Des «Américains», Khelil, «Texan» par adoption, en a pourtant ramené dans ses bagages à l’instar de Bob Pleasant, juriste à la BM et véritable architecte de la loi sur les hydrocarbures d’avril 2005. Gelée un an après, en juillet 2006, «grâce au DRS et non à Chavez», précise-t-on, la loi en question déroulait le tapis rouge au majors anglosaxons et cassait le monopole de Sonatrach. «24 heures après la décision portant gel de la loi, Chakib Khelil s’envole aux USA.» Le gel de cette loi a marqué, selon l’officier, un tournant dans le comportement de Chakib Khelil. «C’est à partir de là qu’il a commencé à déconner, à se livrer au pillage.»
Depuis un mois, les milliardaires se réunissent au vu et au su de tout le monde avec Belkhadem, au siège du FLN, une façon de répondre aux «autres», les gens du DRS… Selon El-Watan, ils auraient édifié leur quartier général à Sidi Yahia où ils se retrouvent chaque soir pour affiner la stratégie pour le quatrième mandat de Bouteflika. Ce sont eux qui ont réussi à imposer à la tête du FLN, mercredi 20 février, l’ancien président de l’APN, Amar Saïdani, poursuivi par la justice pour détournement des fonds de l’Etat dans l’affaire de la Générale des concessions agricoles, mais protégé par Bouteflika.
Jusqu'à cette mauvaise nouvelle venue du procureur d'Alger, il dormait avec la sérénité des hommes puissants. Il en était devenu un depuis ce merveilleux jour d’avril de l’an 1999, jour de sa seconde renaissance, celle qui le fit entrer dans le monde par la grande porte. C’était un jeudi, il faisait beau et le bon peuple jouait à faire semblant d'élire un nouveau président de la république qui avait, au préalable, été élu par les généraux. Sur les conseils avisés d'un ami avocat, il avait vaguement contribué à la campagne électorale du personnage. Ne rate jamais de miser sur les chevaux gagnants, lui avait-il soufflé à l'oreille. Ton argent, je le remettrai à Koudjiti. C'est l'homme de confiance de Larbi Belkheir. Et Larbi Belkheir, tu le sais… Il fera des petits, ton argent, tu verras…
Aujourd’hui, on l’appelle "l’émir du Qatar de Annaba" et son enseigne est sur son front : député milliardaire Tliba Bahaeddine ; importateur, négociant, courtier, grossiste et vice président du groupe parlementaire du FLN, parti au pouvoir ! L'ami avocat avait vu juste : l'argent misé sur le candidat de l'armée avait fait beaucoup de petits. Il fait partie de ces nouveaux riches qui ont prospéré dans l’import et le marché informel, dans cette Algérie qui favorise l’économie douteuse au détriment de la production nationale, celle-là gangrénée par l'accumulation des capitaux non déclarés, la spéculation, l'absence de transparence, la corruption, du népotisme économique à l’ombre de Bouteflika et qui, aujourd’hui, avec l’argent du négoce, sont devenus décideurs politiques, solidement installés dans les rouages du pouvoir, forts de cette soudaine capacité à promulguer des lois et à en bloquer d'autres. Ils ont, entre autres, empêché l’adoption de l’impôt sur la fortune, décriminalisé la corruption, et stérilisé jusqu’aux lois de la République qui venait d’être votées, comme l’obligation de régler par chèque toute transaction d’un montant supérieur à 50 000 dinars ou la loi de finances complémentaires (LFC) destinée à réduire les importations. De quoi donc s’engraisserait la mafia de l’import sinon des achats massifs à l’étranger ?
Aujourd'hui, les amis de Tliba ont investi le FLN. Ils sont venus de partout, de Blida, comme Ahmed Djellat, une grosse fortune de la ville des Roses, de Tébessa, ville de l’homme d’affaires Mohamed Djemaï, propulsé député et membre du Comité central, en un tour de mains. Mieux, nous dit Said Rabia d'El-Watan, le milliardaire Djemaï sera imposé après les élections législatives du 10 mai 2012 comme chef du groupe parlementaire avant que la contestation ne fasse reculer le choix de Belkhadem. Ils viennent de M’sila, comme le milliardaire, Dilmi Abdelatif, placé tête de liste du FLN lors des élections du 10 mai 2012, de Bouira, d'où est arrivé Cherif Ould El Hocine», un autre milliardaire, ancien militant du Parti du renouveau algérien (PRA), président de la Chambre nationale de l’agriculture, propulsé membre du comité central avant de se faire élire à l’APN sur la liste du FLN et finir ensuite président de la commission de l’agriculture au Parlement, selon El-Watan. Belkhadem a ouvert ses portes jusqu'aux milliardaires d'Adrar, tel Ali Hamel, une relation de Bouteflika et bien introduit dans la zaouïa locale. Ils sont la nouvelle classe politique de l’Algérie eltsinisée. L’interface avec l’islamisme. La seconde mâchoire avec
Ces milliardaires forment l'état-major d'Abdelaziz Belkhadem et la base forte de Bouteflika.
Sous ses dehors puritains, sa barbe de grand dévot et sa gandoura blanche du vendredi, l'ancien chef du FLN ne répugnait pas à goûter de cet argent douteux que proposent, sans panache, les affairistes troubles. Il l'avait accueilli en fanfare, un matin, dans son territoire d'Annaba, finançant son séjour dans un grand hôtel, multipliant banquets et méchouis, et s'aperçut, à sa grande surprise, que le chef du FLN, appréciait ces libéralités sans trop se soucier de leur provenance. En vérité, il n'y avait rien de surnaturel à l'affaire. Dans "Les geôles d'Alger", je raconte l'incroyable histoire d'un codétenu pas comme les autres, un certain H.,homme d'affaires énigmatique et dont un des cousins, le procureur H., m'a condamné à deux ans de prison. Promoteur immobilier qu'on dit peu scrupuleux, H. s'était retrouvé à la prison d'El-Harrach à la suite d'une sombre affaire de pot-de-vin impliquant des responsables de la wilaya d'Alger avant de se voir rattrapé par une seconde plainte encore plus sérieuse, l'impliquant dans la scandale du préfet Bouricha : il avait offert villas et voitures au préfet, en contrepartie de quelques milliers d'hectares de terre incessibles de la Mitidja ! Tout autre justiciable en aurait été sérieusement préoccupé. Pas El-Hadj. Richissime et influent personnage, il était sûr de ne pas s'éterniser en prison et le laissait même entendre. Sur son portable, le soir, l'appelaient d'éminentes personnalités, dont un général très puissant et… Abdelaziz Belkhadem ! De si solides amitiés avaient rendu H. à la sérénité : il attendait sans grande impatience, le jour de sa sortie, partageant son temps entre la belote et la lecture ostensible du Coran. Il n'avait pas tort : en dépit de tous ces forfaits, El-Hadj sortit de prison, un soir d'été 2005, complètement innocenté, après seulement quelques semaines de détention.
Une page dans El-Khabar
Quelle mouche a donc piqué le procureur d'Alger pour qu’il annonce, de la sorte, le «lâchage» des amis du clan présidentiel ? Il en passe des nuits blanches, lui, Tliba, qui dormait du sommeil du juste, avec même le sentiment de l'être vraiment, du sommeil du juste, avec même le sentiment de l’être vraiment puisque, ma foi, puisqu’il était du bon côté de la barre et qu’il s’obligeait à sa zakat, ses 5 prières quotidiennes et ses pèlerinages à La Mecque d’où il revenait, cela dit, chaque fois un peu moins dévôt. Mais cela suffisait à la paix de sa conscience.
Voilà qu’avec ce foutu communiqué du procureur et cette affaire de Milan, l’arbre vacille. Avec la pègre pétrolière mondiale, celle-là qui est au cœur du scandale de BRC et qui, aujourd’hui, fait la une en Italie avec l’affaire Saipem, ils forment la seconde mâchoire qui étrangle l'économie algérienne. S’ils ont touché à Saipem, c’est qu’ils sont proches d’arriver jusqu’à eux. Un neveu trop bavard, un de ces intellectuels à la langue pendue, lui a chuchoté que cela pouvait mal se terminer pour la famille et qu’il en fut ainsi de la coterie eltsinienne qui entourait le président russe à la fin des années 90. Mais qu’avait-il à voir lui, avec les gens d’Eltsine ? A sa façon de s’accoutrer, il rappellerait plutôt un mandarin de Doha. Enfin, plus un mandarin de Doha que le puissant ministre Anatoli Tchoubaïs. Il a toujours voulu, du reste, ressembler à un mandarin de Doha. C’est en parlant d’eux que l'ancien premier ministre Ahmed Benbitour, dans un entretien à El-Khabar (10 décembre), dit : "La caste qui entoure Bouteflika a tout intérêt qu’il fasse un mandat à vie". L’ancien chef du gouvernement désignait "un groupe de personnes qui profite des largesses du président et de ses cadeaux, mais aussi de l'état de faiblesse du pays, de la corruption, de la mauvaise gestion, du gaspillage, et des immenses programmes d’investissements dont la source principale de financement sont les hydrocarbures. Ces gens ont tout intérêt que l'actuel président reste au pouvoir pour un quatrième et cinquième mandat, voire y rester à vie". Ils ressemblent à ces oligarques russes soudainement enrichis dans l’après Gorbatchev et qu’on a vus saisis de panique à l'idée de perdre leurs positions et, surtout, d'avoir à rendre des comptes, ils chercheraient à maintenir coûte que coûte Boris Eltsine au pouvoir. C’est bien vrai, ça ! Qu’ils ne touchent surtout pas à Bouteflika ! Ils vont guerroyer pour que rien ne change dans cette Algérie qui favorise, Dieu merci, l’économie douteuse au détriment de la production, surtout pas ce régime qui les préfère aux patrons investisseurs, qui leur aménage des portes cochères pour grignoter leur part de l’excédent financier : l’Algérie de Bouteflika ! Sans lui, ils ne seraient rien. Entre le premier et le troisième mandat de Bouteflika, dans un marché économiquement dérégulé, où l’on ne produit presque rien car presque tout est importé, même de la tomate concentrée en provenance…d’Arabie saoudite , les importations ont quintuplé, passant de moins de 10 milliards de dollars en 1999 à plus de 40 milliards de dollars à fin 2009 ! Et Bouteflika les préfère aux entrepreneurs investisseurs ! Comment ne pas se jeter corps et âme dans la bataille du 4è mandat ? En 2004, alors que les principaux patrons, dont Issad Rebrab, Réda Hamiani ou Omar Ramdane, réunis au sein du Forum des entrepreneurs, tergiversaient longuement (trois réunions successives) avant d'accorder leur "soutien" du bout des lèvres, à Bouteflika, eux donnaient sans compter. On ne voyait pas, en cette année-là, la formidable puissance qu’ils représentaient déjà, en coalition avec la pègre pétrolière mondiale. En 2009 déjà, pour le troisième mandat, ils s’étaient faits moins discrets, y allant encore plus franchement. Ce sont eux, les nouveaux milliardaires de l'économie informelle, qui avaient pris en charge la logistique du siège de campagne du candidat Bouteflika. Ils avaient tous payé, le soutien logistique, le transport, le traiteur, le téléphone, les supports de communication, les affiches, les posters, les tee-shirts, les fascicules… Ainsi, la «villa blanche», la compagnie de sécurité privée, les supports médias, les lignes téléphoniques mobiles, le transport et même le site internet officiel (bouteflika2009.com), appartenaient à l’homme d’affaires Rédha K., 36 ans,réputé proche du frère du Président, Saïd et dont le père, Ahmed K., avait fait fortune dans l'importation de ronds à béton dans les années 1990.
Le poing et les dobermans
Non rien ne doit changer. Et pour cela, la troupe de milliardaire sait donner du dinar et du poing. Le dinar pour se faire élire. Le dinar pour faire élire Bouteflika. Le poing pour neutraliser les adversaires de Bouteflika. Le député milliardaire Tliba Bahaeddine dispose d'hommes de main mafieux et de troupes de voyous prêts à casser de l'opposant. Selon une source proche du parti, c'est lui qui a fourni, lors de la réunion du Comité central du 15 juin dernier, les baltaguias, ces voyous qui ont empêché un bon déroulement de la réunion et permis le maintien de Belkhadem. Le poing comme avec le mouhafadh FLN de Annaba, Mohamed Salah Zitouni, adversaire de Belkhadem et un des chefs de file des redresseurs. Zitouni s'est retrouvé à l'hôpital pour traumatisme et blessure au visage. Il accuse Tliba Bahaeddine d'être le commanditaire de cet acte de violence qu'il a fait commettre par des voyous d'Annaba.
Quant au dinar, il ne manque pas. Il sert aussi à achèter des voix qui en feront les édiles de la nation, le droit de siéger dans les plus hautes instances de l'État, dans les assemblées et probablement au sein même du conseil des ministres. L’argent de l’informel sert à ça : corrompre et pervertir le choix populaire. Inutile pour le citoyen électeur de désigner ses représentants au sein des instances de l'État. Les nouveaux riches le font à sa place. Pour eux, les élections ne sont qu'un souk où tout se monnaye, la place de député, de maire, de chef de parti ou de ministre. Les choses ont atteint un tel stade de gravité que même la Commission nationale de surveillance des élections locales (Cnisel) vient de reconnaître que les municipales du 29 novembre 2012 – tout comme les législatives de mai 2012 - ont été perverties par "l'argent sale" qui a "influencé lourdement sur le résultat du scrutin". Mais qu'ils soient pervertis par l'argent sale ou les fraudes politiciennes, quelle différence ? Aujourd’hui tout a un prix, disent-ils. Même le FLN d'Abane Ramdane et Ben M'hidi ! C'était couru, diraient certains. Le parti avait commencé par l'hégémonisme et le recrutement des malfrats chargés de liquider les adversaires, dont les hommes de Messali Hadj. Il retourne à ses malfrats. Oui, chaque chose a un prix.
Tliba Bahaeddine s’est distingué en fin novembre 2012 en s’offrant une page publicitaire en couleur dans un grand quotidien algérois et dans laquelle il exhortait le président Abdelaziz Bouteflika à se présenter pour un quatrième mandat. Une non réélection de Bouteflika serait une catastrophe sans nom pour eux. La page publicitaire achetée par Tliba dans El-Khabar, appelant Bouteflika à se présenter en 2014 était le signe d’une nouvelle stratégie. Finie la discrétion ! Depuis un mois, ils se réunissent au vu et au su de tout le monde avec Belkhadem, au siège du FLN, une façon de répondre aux "autres", les gens du DRS… Selon El-Watan, ils auraient édifié leur quartier général à Sidi Yahia où ils se retrouvent chaque soir pour affiner la stratégie pour le quatrième mandat de Bouteflika. Ce sont eux qui ont réussi à imposer à la tête du FLN, mercredi 20 février, l’ancien président de l’APN, Amar Saïdani, poursuivi par la justice pour détournement des fonds de l’Etat dans l’affaire de la Générale des concessions agricoles, mais protégé par Bouteflika. Amar Saïdani, comme Mohamed Bouricha, wali de Blida, comme Mohamed Rédha Hemche, neveu de Chakib Khelil ministre de l’Énergie, et chef d’orchestre des plans de détournement de l’argent de Sonatrach et des contrats douteux, Saidani est le prototype de kleptocrates venus dans le sillage de Bouteflika. C'est ça, l'esprit de "famille" !
Mohamed Benchicou
Prochain article : Plus forts que le DRS ?
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